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Grève reconductible au Lycée Professionnel Bouvet de Romans (Drôme) Entretien avec deux militants CGT
Contexte socio-économique
Les contre-réformes mises en place par les divers gouvernements de droite comme de gauche ont engendré chômage, précarité et pauvreté d’un nombre de plus en plus grand de familles, que la crise qu’ils veulent nous faire payer va encore aggraver. Elles sont les principales causes de l’échec scolaire qui conduit bon nombre d’enfants des quartiers populaires vers les lycées professionnels plutôt que vers les filières générales.
Romans, sinistrée par la disparition de la mono-industrie de la chaussure, cumule toutes les tares du système. De son savoir-faire d’antan, il ne reste qu’un musée et le triste privilège de compter 2948 chômeurs sur 13 848 actifs, avec un taux de chômage le plus élevé de Rhône-Alpes (21,3%) et 6445 RMIstes. Le chômage dans la tranche d’âge 16-25 ans approche les 50%. C’est dire combien l’enseignement professionnel est largement sollicité et combien chaque coupe drastique dans les moyens financiers et humains est vécue par les enseignants comme une mise à mort de leur mission.
Les gouvernements se succèdent, les promesses de valoriser les LP ne sont que des effets d’annonce, la situation se dégrade, la violence s’amplifie, les enseignants s’inquiètent et revendiquent par la lutte les moyens de leur mission, surtout qu’ils officient en ZEP, donc avec des élèves en grande difficulté.
Les raisons immédiates de la grève
Pour Au CLAIR de la lutte, deux enseignants syndicalistes CGT ont bien voulu expliquer les motifs de leur grève, tirer un premier bilan et développer sur les questions que soulève la rigueur budgétaire qui prévoyait de priver leur LP de 30h, au lieu d’assurer des cours normaux, décents, en sections CAP.
« Le conseil d’administration du 8 février 2010 avait voté contre le TRMD (tableau récapitulatif des moyens par discipline) car les enseignants refusent de renoncer en partie aux objectifs qu’ils s’étaient fixés dans le contrat d’objectifs en ce qui concerne les CAP (dédoublement des sections en enseignement général afin de permettre aux élèves un meilleur suivi individuel et, de ce fait, leur éviter l’échec). Alors que l’école prône la réussite scolaire, ces élèves issus prioritairement de SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté), 3e d’insertion, EREA (établissement régional d’enseignement adapté), voire UPI (unité pédagogique d’intégration) ont besoin d’une pédagogie différenciée et d’un suivi personnalisé. Or la DGH (dotation horaire globale) pour la prochaine rentrée va nous contraindre à travailler avec des classes à effectifs importants en enseignement général (24 élèves) et à modifier nos méthodes pédagogiques pour faire toujours plus de la discipline et de la gestion de conflits que de l’apprentissage individualisé. De plus, de violents incidents récents au sein du LP nous font craindre le pire quant aux relations adultes/élèves dans les temps à venir.
Notre grève reconductible est le fruit de plusieurs AG des personnels à l’initiative d’une intersyndicale CGT-Éducation, FSU, SNETAA (Syndicat national d’enseignement technique - action autonome) et non syndiqués, notamment celles du 12 février et 2 mars 2010, qui se sont alarmées des conditions annoncées pour la rentrée 2010 dans leur lycée, avec une dotation (DHG) qui entraîne un manque de 30h. La DHG réduite qui nous est attribuée pour la rentrée 2010 va nous obliger à renoncer en partie aux objectifs que nous nous étions fixés dans le contrat d’objectifs.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un préavis de grève reconductible à compter du lundi 8 mars 2010. Notre grève n’est pas une grève corporative car nous refusons que les élèves soient les victimes de la rigueur budgétaire et de la rentabilité. Pour mémoire, ce sont 16 000 emplois qui seront rayés de la carte à la rentrée prochaine et nous refusons que les plus défavorisés paient cette politique de casse. Ils ont besoin de toute notre attention. Si ce funeste projet était mis à exécution, ce serait la fin des petits groupes de travail de 12 élèves. On passerait du simple au double et ce sont sept classes de CAP qui seraient concernées, soit un peu plus de 70 élèves. »
Grève reconductible et victoire partielle
C’est sur ces bases que, pendant une semaine, le LP Bouvet a fait grève à 80%, avec un haut niveau de conscience des enjeux et une détermination sans faille, demeurée intacte toute une semaine, régénérée chaque jour par une AG. Face à une telle agression, les enseignants ont bien compris qu’une seule journée pour faire « pression » et obtenir satisfaction était mission impossible. C’est pourquoi la première AG des personnels s’est prononcée pour une grève reconductible.
Ils ont essayé, à contre-courant, de militer pour la solidarité et la convergence des luttes (appel aux personnels enseignants des LP). Ils n’ont eu de cesse de populariser l’arme de la grève comme moyen de lutte pour la défense des intérêts matériels et moraux des élèves.
Après la récupération de 13h, le LP Bouvet va redonner confiance dans la capacité d’action contre les agressions des Fillon, Chatel, Sarkozy.
C’est la totalité du secteur public de l’Éducation qui est visée : 16 000 emplois supprimés et une avalanche de contre-réformes (loi LRU instaurant l’autonomie des universités, suppression d’heures et de matières de cours dans les collèges et lycées, réforme du lycée, masterisation, scolarisation de la petite enfance en péril…).
Forts de cette première victoire, même si elle est partielle, les enseignants du LP Bouvet ont démontré que la lutte paie, obligeant le rectorat à revoir sa copie. Mais surtout ils préparaient, dans les meilleures conditions, la prochaine bataille contre le gouvernement (abrogation RGPP, retraite, pouvoir d’achat, emplois).