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      Analyse critique du programme du « Nouveau front populaire », troisième partie

      Par Luc Raisse ( 5 juillet 2024)
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      « Les mois suivants » : les « transformations »

      Nous poursuivons ici l’analyse critique du programme du Nouveau Front populaire. Après la première partie, consacrée aux mesures de la « rupture » des « 15 premiers jours » ((https://tendanceclaire.org/article.php?id=1940) et la deuxième partie où sont présentées celles des « 100 premiers jours » ou « été de la bifurcation » (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1942), la troisième et dernière partie fait la liste des réformes des « mois suivants », visant à des « transformations » plus profondes. S’agissant du cœur du programme, nous n’allons plus les examiner une par une, mais soulever un certain nombre de problèmes posés par leur logique générale et notamment les obstacles, voire les impasses auxquels elles risquent de conduire.

      L’introduction de cette troisième partie commence par préciser, à juste titre, que les mesures des deux premières ne peuvent être qu’un début : « une fois ces grands chantiers lancés, tout reste à faire pour tout changer ! » De plus, cette « tâche du gouvernement et des députés du Nouveau Front Populaire » se mènera « en lien constant avec la société mobilisée, notamment les syndicats, associations, collectifs. L’ambitieux programme législatif de transformation que le Nouveau Front Populaire se fixe pour les mois suivants est largement issu des propositions et revendications produites par cette société mobilisée ». Il est indispensable en effet de s’appuyer sur les revendications de ces organisations, qui les ont élaborées depuis des années par leur activité concrète et l’expertise ainsi acquise. Cependant, il faut aussi et plus encore tenir compte des revendications et aspirations des travailleur/se-s, des opprimé-e-s et des jeunes eux/elles-mêmes, qui pour la plupart ne sont pas dans ces organisations, mais au contraire tenu-e-s à l’écart par la société actuelle. Il faut tout faire pour les amener à participer à la vie politique, à entrer en lutte, à s’organiser et s’auto-organiser. Pour cela, il faut notamment leur donner de l’espoir en réalisant les mesures annoncées pour l’été, sans reculer d’un pouce, au risque de décevoir une fois de plus et de renforcer encore l’extrême droite. Malheureusement, le cap fixé par l’introduction est bien abstrait : « La cohérence globale [du NFP] c’est l’application pleine et entière du programme suivant : liberté, égalité, fraternité. Son cap c’est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. » Cela n’est évidemment pas possible sous le capitalisme, que le NFP ne remet pas en cause. C’est pour le moins illusoire de prétendre « tout changer » si l’on ne touche pas à la base même de notre société : le mode de production capitaliste qui détermine pour l’essentiel les conditions de vie actuelles. Cependant, les mesures proposées, si elles étaient appliquées, seraient pour la plupart dans l’intérêt des travailleur/se-s, comme les précédentes, et mériteraient donc notre soutien critique. Tout ce qui va dans ce sens est bon à prendre, mais il faudra en fait le prendre par la lutte et s’en prendre aux capitalistes. Il faut être déterminé à s’affronter à ceux-ci car ils sont puissants, ils détiennent le pouvoir économique et sont eux-mêmes organisées (dans des syndicats comme la FNSEA pour le milieu agricole, les chambres de commerce et d’industrie, le MEDEF, la CGPME...) et leur idéologie est largement diffusée via les médias de masse qu’ils contrôlent (de CNEWS jusqu’au journal Le Monde)...

      Les capitalistes et les riches se laisseront-ils faire les poches ?

      On se réjouit que le NFP s’engage non seulement à hausser le SMIC à 1600 euros, le point d’indice des fonctionnaires de 10%, etc., mais aussi à recruter massivement des fonctionnaires dans les différents secteurs utiles à la population (quoique sans fixer le moindre chiffre), à « réparer les services publics » et à garantir leur accès pour toutes et tous, à construire 200 000 logements publics par an, à défendre et améliorer le régime des intermittents et en créer un nouveau pour les artistes-auteurs, à promouvoir un « sport populaire » par la rénovation et la construction d’équipements sportifs supplémentaires et l’augmentation des budgets, etc., à augmenter le budget de la culture à 1% du PIB, à augmenter les moyens pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, à dépolluer les cours d’eau en faisant contribuer les industriels, à augmenter les moyens pour protéger la forêt et la biodiversité, à dépolluer et décontaminer les sols et les eaux aux Antilles, en Guyane et en Polynésie, à indemniser les victimes du chlordécone et des sargasses... et à prendre tout un ensemble d’autres excellentes mesures.

      Mais tout cela aurait un énorme coût. Certes, les économistes et les responsables du NFP, après quelques cafouillages entre les partis, ont fini par se mettre d’accord sur un « chiffrage » général de leur programme (dans un document intitulé : « Programme du NFP : notre proposition macro-économique »). Il coûterait 25 milliards d’euros pour le deuxième semestre 2024, 100 milliards en 2025, 150 milliards en 2026, 150 milliards en 2027... Mais on nous annonce que cela serait compensé à la fois par différents impôts supplémentaires sur les profits, les transactions financières et les riches (surtout les plus riches des riches) et par les effets des dépenses publiques sur la consommation des ménages qui, en France, assure déjà la moitié de la croissance, de sorte que celle-ci serait dynamisée et rapporterait donc de nouvelles recettes à l’État. Or ce chiffrage pose beaucoup de problèmes, voire relève largement de la fantaisie.

      En effet, il ne tient pas compte de l’inflation, dont la prévision est déjà très incertaine aujourd’hui, mais qui remonterait en flèche avec les mesures d’augmentation des salaires et des dépenses de l’État. Il ne s’appuie pas non plus sur des prévisions de croissance, qui sont de fait impossibles car les mesures annoncées par le NFP, s’il les appliquait réellement, conduiraient bien des capitalistes à retirer leurs capitaux, voire à fuir eux-mêmes à l’étranger : il y aurait donc des licenciements, des fermetures d’entreprises et une fuite des profits avec leurs capitaux. En fait, le NFP fait comme si les capitalistes et les riches allaient bien tranquillement rester là à attendre qu’on leur fasse les poches ! Pourtant, il est évident que ce ne sera pas le cas et que, dans une économie mondialisée, sans contrôle des flux de capitaux, sans mesures drastiques pour empêcher les fermetures d’entreprises et entraver la fuite des riches, le NFP n’aura pas les moyens politiques pour mettre en œuvre les réformes promises, mais devra faire face à une crise économique majeure. Il faut en fait défendre un programme d’expropriations des capitalistes, à commencer par les secteurs stratégiques, d’une part, et par ceux qui voudraient fermer leurs entreprises, licencier ou désinvestir leurs capitaux, d’autre part.

      Une politique économique favorable aux travailleur/se-s et à l’environnement est-elle compatible avec le capitalisme ?

      Sur le plan de la stratégie économique, le NFP propose certes quelques mesures qui limiteraient les effets de la déréglementation des dernières décennies et la gabegie des grandes entreprises. Par exemple, il veut « réglementer la banque et la finance pour éviter de nouvelles crises et financer l’économie réelle » – même si, en fait, il se limite en la matière à vouloir « augmenter les réserves des banques pour faire face aux risques climatiques » et à refuser tout « financement des banques pour les énergies fossiles en commençant par les nouveaux projets ». De même, il promet d’« encadrer la sous-traitance, garantir la responsabilité du donneur d’ordre et mettre en place des quotas de sous-traitants issus du tissu de TPE/PME et de l’artisanat local ». Mais, là encore, le NFP semble ignorer que les capitalistes n’accepteront pas ces restrictions à leur liberté d’entreprendre et d’échanger et iront donc investir ailleurs, avec à la clé des licenciements et des fermetures d’entreprises. Que fera alors le gouvernement du NFP ?

      Il prétend certes vouloir « engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, technologies de pointe, voitures électriques, panneaux solaires, etc.) » Mais le NFP ne veut pas plus créer de nouvelles entreprises publiques qu’il ne veut exproprier des privées. Il compte donc sur le bon vouloir des capitalistes, qui pourtant n’ont cessé de fermer des usines et de délocaliser pour réduire leurs coûts face à la concurrence internationale. En fait, pour attirer les capitaux, il ne faut surtout pas faire la politique proposée par le NFP, mais celle de... Macron. Celui-ci, en effet, par sa « politique de l’offre », c’est-à-dire ses cadeaux fiscaux et ses exonérations de cotisations sociales, a réussi à accroître (même si c’est moins que ce qu’il prétend) les investissements étrangers en France. Mais ce ne sera pas le cas du NFP s’il met réellement en œuvre les mesures qu’il annonce : l’abrogation des réformes Macron, l’augmentation des salaires, le renforcement des droits des travailleurs et des travailleur/ses, etc., sont évidemment contradictoires avec les intérêts des capitalistes.

      Du reste, le NFP ne veut pas mettre fin aux subventions des entreprises privées par des fonds publics, mais seulement « conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise, les inscrire dans une stratégie industrielle publique » et « exiger le remboursement des aides en cas de non-respect des contreparties ». Mais pourquoi faudrait-il que l’argent public continue de financer les profits privés, même sous conditions ? Comme les gouvernements de « gauche » de Jospin et de Hollande, le NFP est non seulement incapable de sortir du cadre du capitalisme, mais il continue en outre de s’inscrire dans cette forme particulièrement répugnante du capitalisme assisté !

      Enfin le NFP s’engage à « créer un pôle public bancaire s’appuyant sur la caisse des dépôts et des consignations et la banque publique d’investissement qui aura notamment pour tâche d’affecter la collecte de l’épargne réglementée vers les besoins sociaux et écologiques ». On ne voit pas bien ce que cela changerait par rapport à aujourd’hui, puisque la caisse des dépôts et la BPI sont déjà des banques publiques et que les livrets d’épargne sont déjà censés servir aux besoins sociaux, notamment au logement social ou à la rénovation énergétique. Ce dont nous avons besoin pour financer une économie qui satisfasse les besoins, ce n’est pas d’un « pôle public » aux attributs limités et subissant la concurrence des banques privées françaises (presque toute de puissantes multinationales), mais d’un monopole public bancaire et d’une planification économique globale ! Pour cela, il faut exproprier les banques privées sans indemnités ni rachat et nationaliser sous le contrôle des travailleur/se-s et de la population.

      C’est un tel monopole public qui permettrait de « soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective »

      C’est seulement pour l’eau que le programme du NFP propose de « passer à la gestion 100% publique » par des « régies locales », avec à la clé « la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la vie et la tarification progressive et différentielle selon les usages ». Le problème, c’est que programme du NFP ne dit pas comment il va réaliser cet objectif, alors que la plupart des grandes communes et regroupements de communes (31% d’entre eux, regroupant 60% de la population) confient la gestion de l’eau, qui leur revient officiellement, à de grandes entreprises privées, comme Véolia et Suez, avec à la clé des coûts excessifs pour les usager/ère-s et une négligence de l’entretien conduisant au gaspillage de l’eau. Or le programme NFP ne dit nullement qu’il va exproprier ces entreprises, ni même imposer la rupture de leurs contrats avec les communes. Au mieux, il pourrait alors attendre que ces contrats arrivent à échéance, mais ils durent longtemps, parfois 20 ans ! Pourtant, Véolia, Suez et Cie, se sont bien assez enrichies sur le dos des usager/ère-s. Pour réparer dans tout le pays les canalisations dont elles ont négligé l’entretien, et parce que c’est une urgence écologique, il faut les exproprier, leur confisquer leurs moyens techniques et logistiques et intégrer leurs salarié-e-s dans la fonction publique territoriale. C’est ainsi seulement qu’on pourrait imposer des régies 100% publiques, mais aussi directes, sur tout le territoire (dans les communes ou les regroupements volontaires de communes).

      Peut-on mener une politique favorable aux travailleur/se-s sans rompre avec l’OMC et l’Union européenne ?

      Le NFP prétend vouloir non seulement « annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) » et « renoncer à l’accord du Mercosur », mais carrément « mettre fin aux traités de libre-échange » – sans qu’on comprenne bien cependant s’il s’agit de rompre les traités passés entre l’UE et le reste du monde ou au sein même de l’UE. Dans les deux cas, il est inconséquent : dans le premier, cela reviendrait en fait à sortir de l’OMC, mais le NFP ne le dit jamais ; dans le second, on impliquerait de sortir de l’UE, vu qu’elle est tout entière, depuis ses origines et dans toute sa logique, fondée sur la garantie et la promotion du libre-échange. Or le NFP inscrit en fait sa politique dans le cadre de l’UE. Ou plutôt, il prétend la réformer. Mais les mesures qu’il propose en ce sens sont en fait largement contradictoires avec la logique même de l’UE : comment les autres États, c’est-à-dire les bourgeoisies des autres pays de l’UE, pourraient-ils les accepter ?

      Par exemple, « instaurer un protectionnisme écologique et social aux frontières de l’Europe » reviendrait à imposer que l’ensemble des États de l’UE se mettent d’accord avec une politique du type de celle proposée par le NFP et décident de sortir tous ensemble de la logique du libre-échange qui règne depuis quatre décennies : comment peut-on faire croire sérieusement à cela, qui plus est d’ici 2027 (puisque c’est l’horizon fixé par le programme du NFP) ? De même, comment peut-on prétendre que l’UE permette d’« adopter un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre les États pour mettre fin aux politiques de dumping social et fiscal », d’« instaurer une règle verte pour prioriser des investissements verts », de « taxer les plus riches au niveau européen pour augmenter les ressources propres du budget de l’Union européenne », de « généraliser de la taxation des superprofits au niveau européen », de « modifier le droit de la concurrence en Europe pour garantir le droit de monopole public au niveau national » ? C’est au mieux illusoire, au pire mensonger !

      Finalement, la seule mesure crédible proposée par le NFP au niveau de l’UE est de « passer au vote à la majorité qualifiée au conseil pour les questions fiscales ». Or ce serait une mesure désastreuse, qui pourrait rendre impossible la mise en œuvre des promesses du NFP ! Aujourd’hui, en effet, la fiscalité reste une compétence souveraine des États et les mesures fiscales au niveau européen ne peuvent être prises qu’à l’unanimité du Conseil de l’UE, le Parlement européen n’étant que consulté. Passer à la majorité qualifiée impliquerait donc que les autres États puissent imposer des mesures fiscales à la France. Autrement dit, le NFP propose aux partis de droite et du centre qui dominent en Europe de leur donner les outils pour l’empêcher de mettre en œuvre sa politique ! C’est absurde.

      La seule solution, si l’on veut mettre en œuvre la politique du NFP et notamment refuser le libre-échange, imposer une politique protectionniste (notamment pour « interdire l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales », etc.), c’est de rompre avec l’UE ! Or aucun des partis du NFP ne le veut. Même LFI, qui promettait seulement de « désobéir » à l’UE, accepte ce cadre en s’imaginant qu’on pourrait désobéir sur des dossiers particuliers, au lieu de poser la question globale de la rupture. La politique promise par le NFP se heurtera à la fois aux intérêts des capitalistes qui vivent ou investissent en France et à ceux des autres bourgeoisies d’Europe. Il n’est donc pas possible de la mettre en œuvre si l’on ne s’en prend aux uns et aux autres, ce qui implique une rupture globale.

      De nouveaux droits pour les travailleur/se-s... mais pourquoi tant de prudence ?

      Si le NFP s’engage à abroger la réforme Macron des retraites, il ne s’engage pas à rétablir le droit à la retraite à 60 ans avec un taux plein pour 40 annuités (et encore moins avec 37,5, comme avant les réformes de 1993 et de 2003). Certes, il « réaffirme l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans », mais le document « Notre proposition macro-économique » renvoie prudemment la question à une « grande conférence avec les partenaires sociaux », qui permettra de « déterminer collectivement des conditions du retour de l’âge légal à 60 ans et du nombre d’annuités associées avec une réelle prise en compte de la pénibilité et des maladies professionnelles », ainsi que du « RSA pour valider des trimestres en vue de la retraite ». Certes, on peut comprendre le souhait que les syndicats participent à définir les modalités de mise en œuvre des progrès sociaux. Mais cela peut aussi signifier qu’on laisse par exemple la CFDT bloquer toute réelle avancée : on se rappelle qu’elle était pour la précédente réforme des retraites et la formulation du texte rend de fait possible le maintien des 42 annuités instaurées par celle-ci (et que la réforme Macron remplace progressivement par 43 annuités). Par ailleurs, les mesures annoncées pour financer l’abrogation de la réforme Macron et la prise en compte de la pénibilité, des maladies professionnelles et du RSA se heurtent aux mêmes problèmes que les autres : l’augmentation des cotisations patronales, la surcotisation sur les hauts salaires et l’extension de la cotisation aux dividendes, à l’épargne salariale et aux heures supplémentaires conduiront à des désinvestissements de capitaux. Elles ne sont donc pas crédibles si l’on n’est pas prêt à imposer aux capitalistes d’autres mesures pour empêcher les licenciements et les fuites de capitaux, ce qui suppose en fait de s’en prendre à la propriété privée.

      De même, en ce qui concerne le temps de travail hebdomadaire, le programme du NFP reste prudent en renvoyant la question à « une conférence nationale sur le travail et la pénibilité visant au rétablissement de la durée effective hebdomadaire du travail à 35 heures, au passage aux 32 heures dans les métiers pénibles ou de nuit immédiatement et son extension par la négociation collective ». Le début de la formulation est curieux. Aujourd’hui, le temps de travail est fixé à 35 heures hebdomadaires et, si beaucoup de travailleur/se-s font des heures supplémentaires, c’est que les salaires sont rognés par l’inflation, et que, avant même celle-ci, leur augmentation était souvent infime. On peut donc espérer que l’augmentation des salaires conduise à réduire les heures supplémentaires, mais on ne saurait interdire celles-ci. Quant à l’objectif des 32 heures, il est très juste, mais pourquoi s’en remettre à la « négociation collective » ? Cela ne peut conduire qu’à le soumettre aux exigences des patrons, qui pourront faire du chantage aux licenciements et aux fermetures pour justifier leur refus de baisse le temps de travail, comme ils l’ont toujours fait. Et on se rappelle que la mise en œuvre des lois Aubry sur les 35h avait été profondément inégale, tout en conduisant les patrons à mettre en cause des acquis comme les pauses, les temps de déshabillage, ainsi que l’organisation des postes de travail, etc. Il faut revenir à la seule méthode juste et efficace : l’imposition des 32 heures par une loi ! Et, là encore, cela doit s’accompagner de la détermination à s’en prendre aux intérêts des capitalistes s’ils en profitent pour licencier ou fermer des entreprises.

      De son côté, le projet de « faire des salariés de véritables acteurs de la vie économique, en leur réservant au moins un tiers des sièges dans les Conseils d’Administration et en élargissant leur droit d’intervention dans l’entreprise » se heurtera évidemment à la résistance des patrons et, même s’il se réalise, cela n’empêchera pas les entreprises de rester capitalistes : la participation minoritaire des représentant-e-s des travailleur/se-s aux CA ne pourra pas empêcher les fermetures, les licenciements, les blocages de salaire, etc., mais brouillera leur rôle en les privant de leur indépendance par leur association de fait aux capitalistes. Au lieu de lutter pour la défense des intérêts des travailleur/se-s, ils/elles risqueront de raisonner dans les termes des impératifs du capital. Cela ne peut que nuire à la lutte de classe.

       Il est juste en revanche de vouloir « créer un droit de préemption pour permettre aux salariés de reprendre leur entreprise sous la forme d’une coopérative » et d’« accompagner les reprises des entreprises en SCOP par les salariés ». Cela peut permettre de sauver des entreprises, tout en démontrant que les travailleur/se-s sont tout à fait capables de les gérer sans patrons : les gens qui n’en sont pas convaincus peuvent alors le constater concrètement. Toutefois, ces mesures ne suffisent pas car les coopératives et les SCOP restent soumises aux impératifs et aux aléas du marché et, si les entreprises d’origine ont connu des difficultés, il est souvent difficile de les surmonter, même avec un changement de statut. Là encore, tout en permettant la gestion par les travailleur/se-s, la seule solution réside dans l’appropriation publique, articulée à une planification économique globale.

      Enfin, le programme du NFP s’engage en outre à « instaurer l’égalité salariale entre les hommes et les femmes », mais il ne dit pas comment. Pourtant, seule la contrainte peut le permettre, car les patrons ne le feront jamais tant qu’ils pourront l’éviter, et l’augmentation des coûts salariaux que cela provoquerait conduirait encore une fois à des ripostes patronales qu’il faut anticiper, au lieu de faire comme si les mesures progressistes n’avaient ni coûts, ni conséquences !

      Un programme progressiste et crucial pour les libertés et contre les oppressions – mais qui ne met pas en cause ni l’existence même de la police et ne reconnaît pas le droit à l’auto-détermination des (ex-)colonies

      Comme tout programme réformiste, c’est certainement sur les questions des libertés et sur les sujets « sociétaux » que les mesures mises en avant par le NFP sont les plus probantes. La raison en est sans doute parce que, pour la plupart, elles ne coûtent pas cher et n’impliquent pas une mise en cause directe des intérêts capitalistes. Il n’en reste pas moins qu’elles sont très importantes car il est crucial de lutter contre la réaction et le conservatisme qui, en contribuant fortement au maintien de l’ordre actuel, font le jeu du système capitaliste en général. Nous nous réjouissons donc des mesures annoncées qui, si elles étaient appliquées, nous permettraient enfin de rompre avec les dérives autoritaires des dernières années et de faire changer le climat idéologique de plus en plus irrespirable.

      Cela permettrait en premier lieu aux migrant-e-s de vivre mieux. En effet, le NFP s’engage à « abroger les lois asile et immigration de Macron », à « assurer un accompagnement social et une autorisation de travailler pour les demandeurs d’asile », à « faciliter l’accès aux visas, régulariser les travailleurs, étudiants, parents d’enfants scolarisés et instituer la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour de référence » (formule qui revient à régulariser tou-te-s les sans-papiers), à « créer un statut de déplacé climatique », à « améliorer les conditions d’accueil des exilés à Mayotte et supprimer les conditions empêchant le déplacement entre Mayotte et le reste du territoire », à « mettre fin aux mesures dérogatoires sur l’étude de la demande d’asile »... De plus, le NFP s’engage aussi à ce que l’arrivée même des migrant-e-s soit moins dangereuse : il s’agit de « créer des voies légales et sécurisées d’immigration » et de « mettre en place une agence de sauvetage en mer et sur terre, dans l’attente de sa création au niveau européen et en appui de l’agence de l’Union européenne pour l’asile ».

      De plus, le NFP promet d’abroger les lois réactionnaires (contrat d’engagement républicain pour les associations, dispositifs liberticides des lois sécurité globale, séparatisme, état d’urgence, autorisation d’ouvrir le feu en cas de refus d’obtempérer), d’« interdire la reconnaissance faciale », de « protéger les lanceurs d’alerte », de «  « défendre et renforcer les libertés syndicales et associatives et en finir avec leur répression ».

      De même, il est juste d’« établir la filiation par reconnaissance comme principe par défaut, rembourser la procréation médicalement assistée (PMA), la rendre accessible aux personnes trans », de « mettre en œuvre un plan d’éradication des violences à l’encontre des personnes LGBTQI », d’« autoriser le changement d’état-civil libre et gratuit devant un officier d’état civil , de « faire face à l’offensive transphobe : lutter contre la transphobie et augmenter les moyens dans la santé pour les transitions »...

      En revanche, on regrette que le NFP n’ait presque aucune mesure pour « rompre avec la maltraitance animale » puisque, sous ce titre, il n’annonce que vouloir « sortir des fermes-usines, améliorer le bien-être animal et interdire l’élevage en cages » – et encore : en précisant que ce n’est pas pressé : « d’ici la fin de mandature » ! En attendant, des milliards d’êtres sentients (sensibles et conscients) pourront continuer à souffrir – et accessoirement les profits des capitalistes de l’élevage et de l’agro-industrie à se porter bien.

      Nous ne nous étendrons pas ici sur les mesures concernant la police et la justice : en elles-mêmes, elles seraient certes bienvenues, puisqu’elles limiteraient sans doute les dégâts commis par les policiers (rétablissement de la police de proximité, suppression de l’IGPN, récépissés en cas de contrôles d’identité, augmentation des moyens de la police judiciaire, technique, scientifiques et de la justice, amélioration des conditions de détention) ; cependant, nous contestons la logique même du programme NFP qui accepte le principe de la police professionnelle séparée de la population, alors que nous sommes pour la prise en charge de la plupart des tâches de police réellement utiles, comme des décisions de justice, par les citoyen-ne-s eux/elles-mêmes (cf. notre critique de la partie 1 du programme du NFP : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1940 et celle du programme L’Avenir en commun de LFI : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1741).

      De même, si les mesures proposées pour « les Outre-mer » amélioreraient les situations locales (principe d’un plan quinquennal d’investissement, plafonnement du prix de l’eau, rénovation des canalisations, égalité réelle à Mayotte, lutter contre les situations de monopoles (privés), principe de faveur des ultra-marins sur les postes à responsabilité et du retour des fonctionnaires d’État, enseignement des langues locales...), nous contestons le fait même que le NFP considère ces territoires comme parties intégrantes de la France, se contentant du principe de leur « autonomie ». Nous sommes pour notre part pour que les peuples puissent décider librement de leur destin et c’est tout particulièrement vrai des colonies ; or ce destin peut tout à fait être celui de l’indépendance si ces peuples la souhaitent – et les révoltes récentes en Kanaky ont montré que c’était bien la volonté du peuple kanak, comme c’est le cas aussi dans d’autres colonies de la France. Cf. à ce sujet notre critique du programme AEC de LFI : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1749).

      La promesse d’aller « vers une 6e  République »
dans le contexte d’une cohabitation est une fumisterie

      Si les mesures du programme du NFP concernant les libertés et les oppressions sont globalement progressistes et cruciales, celles consacrées aux institutions au sens strict sont toutes illusoires : l’arrivée du NFP au gouvernement sur la base d’une majorité à l’Assemblée, mais non au Sénat, et dans le cadre d’une cohabitation avec Macron, ne suffirait nullement à lui donner le pouvoir de faire passer des réformes constitutionnelles ! Il est donc vain, en particulier, de prétendre pouvoir « abroger le 49.3 » (du reste en cas de majorité relative, le nouveau gouvernement serait sans doute conduit à l’utiliser...). De même, le souhait d’« abolir la monarchie présidentielle dans la pratique des institutions » est un vœu pieux ; on suppose que cette formule alambiquée tient compte de l’impossibilité de le faire d’un point de vue constitutionnel, mais même « dans la pratique » le gouvernement n’aura aucun pouvoir d’empêcher Macron de faire ce qu’il voudra dans le cadre de ses prérogatives prévues par la Constitution. Macron pourra notamment recourir à l’article 16 de celle-ci, qui donne au président des « pouvoirs exceptionnels » lui permettant de faire ce qu’il veut (même le Conseil constitutionnel, seulement consulté, ne peut alors l’en empêcher), s’il juge (tout seul) que « les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ».

      Le gouvernement NFP ne pourra pas non plus « instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC) et renforcer le référendum d’initiative partagée en abaissant notamment le seuil de signatures citoyennes pour son déclenchement », puisque cela supposerait une réforme constitutionnelle impossible avec Macron comme président et le Sénat de droite. Quant à la promesse de « passer à une 6e République par la convocation d’une assemblée constituante citoyenne élue », elle est encore plus ridicule si l’on s’inscrit dans le cadre de la constitution actuelle. Il faudrait pour cela contourner le pouvoir du président, du Sénat et du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire réaliser un coup d’État ou déclencher une révolution politique... Ce n’est évidemment pas, hélas, ce que veut le NFP...

      Seul le souhait de « revitaliser le parlement » est plus réaliste : ce serait sans doute le cas de facto en cas de cohabitation. Enfin, la promesse d’« instaurer la proportionnelle » est juste en elle-même, mais il n’est pas sûr qu’il soit opportun de la réaliser rapidement : Macron pourra dissoudre de nouveau l’Assemblée nationale dans un an et la proportionnelle augmenterait les risques que le RN arrive au pouvoir. Or il n’est pas sûr que les mesures auxquelles le NFP s’engagent aient déjà produit tous leurs effets dans un an... Au contraire, on peut craindre d’une part que le gouvernement de gauche ne tienne pas ses promesses et, d’autre part, s’il les tient, elles entraîneront une crise économique, à moins qu’il prenne des mesures anticapitalistes, ce qui n’est nullement prévu. Les promesses du NFP concernant les institutions relèvent donc globalement de la fumisterie.

      Le programme du NFP est donc de part en part un programme réformiste, que ce soit sur les questions économiques (refus de rompre avec le capitalisme et même de nationaliser de grandes entreprises) ou sur celles des institutions et des structures de l’État bourgeois. Pourtant, les mesures proposées seraient des progrès importants pour les travailleur/se-s et les opprimé-e-s. Reste à savoir si un gouvernement du NFP les mettrait réellement en œuvre : au vu de l’histoire des partis réformistes, on peut largement en douter, ou plutôt il commencerait à en réaliser certaines, mais reculerait certainement face aux pressions des capitalistes et de leurs serviteurs dans les appareils d’État. Pourtant, dans la situation très particulière que nous vivons, le fait même que le NFP arrive au pouvoir, en battant le RN et Macron, et qu’il réalise de premières mesures progressistes, soulèverait un grand espoir parmi les travailleur/se-s et les opprimé-e-s, et cela pourrait donc ouvrir un nouveau cycle de luttes. C’est pourquoi il faut assurer non seulement la défaite du RN, mais bien la victoire électorale du NFP !

      Par ailleurs, beaucoup des mesures proposées viennent du programme L’Avenir en commun de LFI, dont nous avions fait une critique détaillée durant la campagne présidentielle de 2022.

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