[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Les femmes : victimes spécifiques du capitalisme

    Par Anne Brassac ( 6 novembre 2008)
    Tweeter Facebook

    Il est difficile de nier que, dans la plupart des pays industrialisés, la situation des femmes a beaucoup évolué. En France la quasi-totalité des inégalités juridiques hommes/femmes ont été supprimées : en 1944, le droit de vote a été conquis ; depuis 1965, le mari n’est plus le « chef de famille » et la femme peut exercer une profession et ouvrir un compte sans son l’autorisation ; en 1975 a été instauré le divorce par consentement mutuel ; en 1983 ont été votées les lois Roudy sur l’égalité professionnelle hommes/femmes ; depuis 2001, le nom de famille des enfants peut être celui de la mère. Par ailleurs, les droits des femmes concernant leur propre corps ont aussi beaucoup progressé : depuis 1967, la vente de contraceptifs est autorisée ; en 1975, la loi Veil a autorisé l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sous certaines conditions (il ne s’agit pas encore d’avortement complètement libre : il est autorisé pour les femmes dites « en situation de détresse » avant 10 semaines de grossesse et demande un véritable parcours du combattant entre les différents entretiens et délais ; par ailleurs la loi n’est voté que pour cinq ans renouvelables) ; depuis 1980, le viol est qualifié de crime par la loi ; depuis 1992, la loi pénalise les violences conjugales et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail ; en 2001, une nouvelle loi est votée sur la contraception et l’IVG qui rend possible l’avortement des mineures sans autorisation parentale. Enfin, le travail des femmes qui seul peut leur assurer une indépendance économique a considérablement augmenté : le taux d’emploi des femmes de 15 à 64 ans en 1975 était de 53,3 % et est de 65,3 % en 2007 (1).

    Cependant, malgré ces progrès manifestes, qu’en est-il de la situation réelle des femmes ? Leur condition a-t-elle évolué au même rythme que la loi ? Les discours qu’on entend communément sur le sujet semblent affirmer que les inégalités seraient le produit de certaines « mentalités » qu’il faudrait simplement faire « évoluer ». Il s’agit au contraire de cerner quelles inégalités réelles demeurent entre les hommes et les femmes, en quoi notamment celles-ci peuvent être des victimes particulières du système capitaliste qui, s’il en a besoin, n’hésite pas à remettre en cause les acquis des luttes pour les droits des femmes.

    Augmentation du taux d’activité des femmes, mais travail particulièrement précarisé

    Si, comme nous l’avons vu, la différence du taux d’emploi hommes/femmes a considérablement diminué, il faut regarder de plus près ce que cette réalité recouvre : « Comment travailler, mobiliser, agir, revendiquer et prétendre changer une réalité que l’on ne considère pas dans sa totalité[…] C’est en faisant l’effort d’aller au delà d’une analyse globale que l’on peut mesurer ce que vivent réellement les femmes et de quelles manières les inégalités se reproduisent et se perpétuent » (2). En effet parmi les travailleurs qui subissent les attaques de la bourgeoisie, certaines catégories sont encore plus exposées.

    Concernant le taux de chômage, si l’écart entre les hommes et les femmes a diminué (il est passé de 4 % en 1990 à 1,1 % en 2007), celles-ci continuent à être plus touchées : il est de 8,5 % pour les femmes en 2007 contre 7,4 % pour les hommes (3). Mais ces chiffres ne permettent pas encore de saisir la réalité du sous-emploi des femmes. Il est vrai que, de façon générale, la bourgeoisie a intérêt à ce qu’il y ait du chômage, car cela exerce une pression à la baisse sur les salaires. Cependant, lorsque les chiffres du taux de chômage sont trop élevés, la bourgeoisie peut le faire baisser artificiellement en renvoyant les femmes dans leurs foyers. Dans l’éditorial de la revue Agone (n° 26), Béatrice Vincent, citant Margaret Maruani, explique ainsi comment a été construite une image « socialement acceptable » du chômage féminin : « En créant l’allocation parentale d’éducation (APE) en 1985, les pouvoirs publics ont sorti des centaines de milliers de femmes des chiffres du chômage. […] La mesure est neutre en apparence, mais dans les faits elles s’adresse aux femmes qui représentent 98 % des allocataires. Ces femmes sont en majorité des chômeuses ou des femmes en situations très précaires, en CDD ou à temps partiel. Elles ont fait le choix entre toucher 3 000 francs pour rester chez soi à garder les enfants ou 3 000 francs pour être caissières ou femmes de ménage, tout en payant pour la garde des enfants. »

    Dans cette citation est évoqué un autre aspect de ce que subissent de nombreuses femmes : le travail précaire. 5,2 % des actifs travaillent à temps partiel « subi », dont 80 % de femmes, ce qui revient à 8,6 % de femmes en situation de temps partiel imposé contre 2,4 % pour les hommes (4). Il s’agit essentiellement des domaines du nettoyage et de la distribution. Présenté le plus souvent comme un moyen pour les femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale (puisque les hommes, quant à eux, n’ont pas à être confrontés à ce dilemme), le temps partiel est en réalité le meilleur moyen pour l’employeur de concilier bas salaires et horaires flexibles.

    C’est également seulement en tenant compte de cette réalité que l’on peut mesurer les différences de revenus hommes/femmes. Selon l’Observatoire des inégalités, si l’on prend en compte les temps partiels imposés, l’écart des salaires hommes/femmes est de 37 % (5). Si l’on compare uniquement les salaires hommes/femmes selon certaines catégories professionnelles à temps de travail égal, les écarts peuvent être encore plus impressionnants. Pour les cadres supérieurs, l’écart est de 41 % ; pour les chefs d’entreprises, de 68 % ; pour les ouvriers, de 44 % (6). De tels écarts de salaires au niveau global dans ces catégories professionnelles s’expliquent principalement par deux facteurs. Un facteur « discriminant » : pour un même poste, un patron préférera un homme qui aura moins de contraintes dues à sa vie familiale (congés maternité, congés pour enfants malades…) et le salaire d’une femme est en moyenne nettement inférieur à celui d’un homme : selon un rapport du Sénat, cette discrimination explique 15% des écarts salariaux (7). Par ailleurs, malgré les progrès réalisés aussi dans ce domaine, les femmes restent globalement moins qualifiées. Dans l’enseignement supérieur, si elles sont plus nombreuses jusqu’à la licence, elles deviennent minoritaires à partir du master, notamment à cause de conditions de vie plus difficiles pendant leurs études (8).

    On voit que si, par certains aspects, les inégalités hommes/femmes ont diminué, elles ont pu aussi prendre des formes différentes, moins visibles, mais pesant toujours sur les conditions de vie des femmes. C’est ainsi qu’Annick Coupé « insiste sur le temps partiel, qui est une question centrale dans l’histoire du droit du travail pour les femmes. Sur le plan législatif le TTP [travail à temps partiel] est institué en France au début des années 1980. […] En revendiquant le TTP comme moyen pour les femmes de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles, le mouvement syndical ne comprend pas alors qu’il s’agit d’une remise en cause directe de leur investissement professionnel et de leur place dans le monde du travail qu’il représente pourtant. » (9) L’auteure montre que la progression des droits des femmes, notamment concernant l’emploi, n’est pas continue et stable. Le tournant « néo-libéral » des années 1980 (10) marque une régression particulière concernant le travail des femmes : il n’est pas remis en cause directement, puisque très utile aux besoins de la bourgeoisie, mais très souvent précarisé, offrant ainsi aux patrons une main-d’œuvre corvéable et rendue docile par la peur du chômage.

    Fragilité des acquis obtenus par la lutte pour les droits des femmes

    Si les progrès des droits des femmes dans le domaine du travail semblent avant tout soumis aux besoins de la bourgeoisie, on peut supposer que certains acquis ne peuvent être remis en question. Il paraît difficile par exemple de revenir sur la contraception et l’avortement, qui permettent aux femmes de faire ou non le choix de la maternité et d’avoir une sexualité sans craindre en permanence une grossesse non désirée. Du point de vue de la loi, l’IVG et la contraception sont libres et accessibles à toutes. Une nouvelle loi votée en 2001, refondant les lois Neuwirth sur la contraception (1967) et Veil sur l’interruption volontaire de grossesse (1975), apporte même de réels progrès : le délai d’avortement passe de 10 à 12 semaines de grossesse, les mineures peuvent avorter et avoir accès à la contraception sans autorisation parentale (11). Mais il en va autrement dans les faits. Les restrictions budgétaires, les attaques de la bourgeoisie dans le domaine de la santé ont là aussi des conséquences spécifiques pour les femmes : l’avortement et la contraception sont les premiers sacrifiés : « Dans certaines régions, les femmes ne peuvent plus s’adresser au service public, c’est-à-dire l’hôpital, pour avorter. Elles sont obligées de se replier sur des cliniques privées où l’interruption de grossesse est souvent plus chère. Ce phénomène pénalise évidemment les femmes qui se trouvent dans les situations les plus difficiles – sans parler des mineures ou des femmes immigrées. La contraception – droit, en principe acquis au début des années 1970 en France – induit le même type d’inégalités. En effet, le remboursement de la pilule n’ayant pas suivi le développement et le progrès médical – notamment sur les nouvelles générations de pilules -, un grand nombre de femmes, en particulier les plus jeunes et les plus démunies financièrement, ne sont pas systématiquement remboursées de leur méthode contraceptive, à moins qu’elles s’en tiennent à des pilules plus anciennes, dont les qualités médicales peuvent être moindres. » (12) Dans les régions pourtant « plus privilégiées » comme celle de Paris, les délais d’attente pour un avortement sont de 2 à 3 semaines, et 4 à 5 semaines en été, et par conséquent beaucoup de femmes dépassent le délai légal (12 semaines de grossesses ou 14 semaines d’aménorrhée). « En région parisienne où 58 000 avortements sont pratiqués tous les ans, le nombre de centres réalisant des IVG est passé en quelques années de 176 à 126 et les conditions d’accueil sont parfois lamentables. » (13) Enfin les praticiens se détournent de plus en plus de l’IVG, acte médical très peu rentable puisqu’il n’a été revalorisé que deux fois, en 1994 et en 2001. Enfin, ici encore, les droits des femmes se heurtent aux intérêts de la bourgeoisie pour laquelle il est coûteux de garantir l’accès à l’avortement et à la contraception.

    Mais le droit à l’avortement est aussi menacé de façon beaucoup plus directe. Deux décrets ont été adoptés cet été concernant le statut du fœtus. Ces décrets viennent confirmer un jugement de la cour de cassation qui a cassé le jugement de la cour de Nîmes. Celle-ci avait débouté des parents demandant l’établissement d’un acte d’état civil pour des fœtus mort-nés avant le seuil de viabilité déterminé par l’Organisation mondiale de la santé de 22 semaines de grossesse ou un poids supérieur à 500 grammes. Ces deux décrets rendent désormais possible d’inscrire le fœtus dans le livret de famille en cas de fausse couche, sans limite de semaine ou de poids. Ces mesures sont un appui considérable pour les mouvements « pro-vie » qui militent pour interdire l’avortement : entre reconnaître un tel statut juridique au fœtus et le considérer comme un individu qui a les mêmes droits que tout autre, et donc dire que l’avortement est un meurtre, il n’y a qu’un pas. Dans de nombreux pays industrialisés, l’avortement est très clairement remis en cause notamment sous la pression des lobbies « pro-vie ». Il a été interdit en Pologne en 1993 ; aux États-Unis, la question est laissée aux États, qui ont été autorisés par la Cour suprême en 1989 à restreindre l’accès à l’IVG ; en Italie, sous la pression des mouvements « pro-vie » et dans un contexte très marqué par le discours réactionnaire du pape, un moratoire est réclamé sur l’avortement.

    De façon générale, et cela est certainement lié au retour dans les années 1980 de l’idéologie néo-libérale qui porte avec elle un certain nombre de « valeurs » comme la famille, les discours sur le « devoir de maternité » se portent très bien.

    Les droits des femmes ne pourront être pleinement accomplis que dans le cadre du communisme

    La progression du droit des femmes n’a été possible que parce que des luttes ont été menées pour les obtenir comme pour l’avortement, la contraception ou la lutte contre les violences faites aux femmes. La victoire obtenue au Portugal avec la légalisation de l’avortement en 2007 en témoigne. Mais ces victoires sont précaires puisque l’État bourgeois ne se préoccupe pas de les garantir faute de rentabilité ; elles peuvent même être frontalement remises en question. De même, si les besoins de la bourgeoisie ont conduit de plus en plus de femmes à travailler, ce n’est pas dans des conditions qui leur permettent une réelle émancipation. La bourgeoisie est donc incapable de défendre les droits des femmes et, défendant ses intérêts de classe, elle doit même s’y opposer par certains aspects. S’il est donc juste de se battre pour ces droits, il faut montrer en quoi ils ne peuvent être pleinement accomplis dans le cadre du système capitaliste, et posent donc la nécessité de le détruire au profit d’une société dont le but est la réalisation et l’émancipation de tous les individus : une société communiste. La défense des droits des femmes doit donc poser la question de la révolution. Mais cela implique aussi que cette question soit mise en avant par les organisations révolutionnaires, qui ne doivent pas se contenter d’attendre la révolution pour défendre l’objectif de l’égalité réelle entre hommes et femmes.


    1) http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=303

    2) Annick Coupé, « Féminisme et syndicalisme », Agone, n° 26 , p 142

    3) http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATCCF03302

    4) Observatoire des inégalités http://www.inegalites.fr/spip.php?article410&id_mot=103

    5) http://www.inegalites.fr/spip.php?article301&id_mot=104

    6) Idem.

    7) Cf. http://www.senat.fr/rap/r02-210/r02-2101.pdf, notamment p. 78 et suivantes.

    8) Cf. l’enquête de l’Observatoire de la Vie Etudiante : « Des meilleurs scolarités féminines aux meilleures carrières masculines », http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=303

    9) Annick Coupé, « Féminisme et syndicalisme » ,Agone, n° 26, p. 139.

    10) Cf. l’article de Laura Fonteyn, « Années 1980 : le triomphe de l’idéologie « néolibérale » au service de l’offensive capitaliste » dans Le CRI des travailleurs n° 31 de mars-avril 2008, http://groupecri.free.fr/article.php?id=478

    11) Voir le site de la Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception CADAC : http://www.cadac.org/spip.php?article2

    12) Annick Coupé, « Féminisme et syndicalisme », Agone, n° 26, p. 139.

    13) http://www.convergencesrevolutionnaires.org/spip.php?article1800#nh2

    Télécharger au format pdf

    Ces articles pourraient vous intéresser :

    France

    Viols de Mazan : un procès historique qui doit faire avancer la lutte contre le viol et l’impunité

    Depuis son ouverture lundi 2 septembre, le procès des viols de Mazan, dont on attend le verdict, est au centre de l’information, de nos discussions et de nos émotions. La détermination de Gisèle Pélicot, qui a décidé de refuser le huis-clos pour affronter publiquement ses bourreaux et les horribles vidéos, malgré les conditions extrêmement difficiles que cela implique, frappe les esprits. Attaquée de façon ignoble sur certains fils des réseaux sociaux, mais aussi par certain-e-s avocat-e-s des accusés, soutenue en revanche par toutes les associations féministes, traversant une haie d’honneur sororale chaque matin en arrivant au tribunal et chaque soir en en repartant, Gisèle Pélicot est devenue le symbole de toutes les femmes qui se battent pour que la honte change de camp, pour que les violeurs cessent de rester massivement impunis, pour que les femmes construisent la solidarité nécessaire qui permet aux victimes de briser le silence et d’aller jusqu’au bout des procédures judiciaires, malgré la souffrance que cela entraîne.

      Lire la suite...

    Télécharger en pdf Tweeter Facebook

    France insoumise

    Affaire Quatennens : la FI doit assumer ses responsabilités en tant qu’organisation politique

    Après la révélation par la presse de mains courantes déposées contre lui par son ex-compagne, Adrien Quatennens, député de l'Union Populaire, a expliqué avoir effectivement déjà été l'auteur d'une gifle, d'un geste brusque ayant conduit son ex-compagne à se cogner, ainsi que de textos trop insistants en contexte de rupture conflictuelle. Au-delà du contenu particulier de l'affaire elle-même, un certain nombre de conclusions politiques peuvent être retenues

      Lire la suite...

    Télécharger en pdf Tweeter Facebook

    Féminisme

    Affaire Coquerel : refuser de hurler avec les loups de la bourgeoisie ne veut pas dire refuser d’entendre la parole des femmes

    Alors qu’Éric Coquerel venait d’être élu à la tête de la commission des finances, plusieurs militantes féministes ont évoqué l’existence de témoignages concernant des comportements problématiques à l’encontre de femmes. Rapidement, un premier témoignage a été porté publiquement par Sophie Tissier : elle fait part de comportements inappropriés de la part du député tout au long d’une soirée, d’une drague « très lourde » qui n’aurait pas cessé malgré l’expression claire de sa désapprobation, de contacts trop insistants au cours d’une danse, de sms insistants après la soirée.

      Lire la suite...

    Télécharger en pdf Tweeter Facebook

    Economie

    Développer une analyse marxiste de la crise face au postkeynésianisme hégémonique dans la "gauche radicale"

    Le réformisme a une très grande faculté à se renouveler en surface pour nous vendre la même camelote. Alors que nous sommes à nouveau plongé·e·s dans une crise sévère du capitalisme (dont le déclencheur est le Covid mais dont les racines sont bien plus profondes), des économistes postkeynésiens nous expliquent qu’ils et elles ont trouvé la solution magique pour sortir de la crise, réduire les inégalités et atteindre le plein-emploi dans le cadre du capitalisme : créer suffisamment de monnaie pour financer les dépenses publiques qui permettront de « garantir un emploi » à chacun·e. La théorie à la mode est la « théorie monétaire moderne » (Modern Monetary Theory - MMT en anglais) qui prétend fonder scientifiquement ce type de proposition politique. Lire la suite...

    Télécharger en pdf Tweeter Facebook