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Que nous disent les films de SF ?
Comme toutes les œuvres culturelles, la science-fiction reflète plus ou moins l’idéologie ambiante. Il n’y a pas forcément grand-chose à en dire quand il s’agit juste d’un décor exotique pour une trame classique. On peut y trouver, comme ailleurs, des romances à l’effet dramatique parfois original (Passé virtuel) mais souvent cliché, des thrillers sans intérêt (Event horizon) et des déchaînements d’effets spéciaux innovants (Matrix) ou kitschissimes (Enthiran). Et comme dans tous les genres (voire plus encore ?) l’infériorisation des femmes est flagrante1.
Mais comme la SF se projette dans le futur, elle est fortement liée au genre de l’anticipation. Et dans ce cas elle s’appuie souvent sur des tendances de la société présente pour en tirer des scénarios imaginables. Et plus le lien avec la tendance présente sera clair, plus l’anticipation fera réfléchir…
Des Lumières au cauchemar
L’effet des horreurs du 20ème siècle est très net. Alors que la SF jusqu’à la Belle-Epoque est souvent optimiste, et même « positiviste » (Jules Vernes, les frères Rosny…), après deux guerres mondiales, la SF voit plutôt des nuages à l’horizon. Néanmoins on peut noter que dès les débuts de la SF, avec par exemple La Guerre des Mondes de HG Wells (1898), le récit de SF peut se faire un réceptacle des critiques. En effet, ce roman, plusieurs fois adapté sur d'autres médias, décrit la colonisation brutale de la Terre (surtout de l'Europe) par une civilisation extra-terrestre. L'auteur dénonçant ici bien évidemment, les crimes des expéditions coloniales de son époque.
Dés les débuts du cinéma, la science-fiction est à l'honneur, la première adaptation du roman de Mary Shelley, Frankenstein, sort ainsi en 1912. On pourra aussi noter le film soviétique Aelita sorti en 1924, racontant l'histoire d'une révolution sur Mars, ou encore le chef d’œuvre de Fritz Lang (politiquement très ambiguë), Metropolis. De fait, ce genre, cinématographique comme littéraire, a jusqu'à récemment (comme d'autre pans de la culture populaire) été marginalisé et s'est développé essentiellement dans les cultures underground.
Sans surprise, les années 1950 et 1960 ont produit des films en lien avec la guerre froide, que ce soit sur Terre (Dr Folamour, La jetée) ou sur Mars (Red planet Mars, The sky calls). Mais c’est surtout les expériences de totalitarismes qui ont eu l’effet le plus durable. Car si les premiers films étaient surtout des adaptations de romans sombres directement issus des années 1940 (1984, Fahrenheit 451), ce thème a perduré jusqu’à aujourd’hui.
Le cinéma des années 1950 est également un cinéma de traumatisme, nucléaire en particulier. Hollywood génère alors une production ultra-massive de séries B (voire Z) sur les manipulations nucléaires, incarnées presque toujours par une profusion de monstres géants (Tarentula, Les Monstres Attaquent la Ville pour les plus connus). Mais c'est surtout au Japon, et avec l'émergence des Kaiju-Eiga (littéralement films de monstres) popularisé par le premier Godzilla (ゴジラ 1954, par Inoshiro Honda) que le cinéma japonais va exorciser et représenter de façon souvent très crue le traumatisme de la guerre et des bombes atomiques. On notera aussi dans le cinéma états-unien de cette époque, une métaphore souvent reprise à la fois de la crainte communiste mais aussi une dénonciation de la paranoïa McCarthyste comme dans Bodysnatchers (sorti en France sous le nom L'Invasion des Profanateurs de Sépultures). Même si très souvent, les studios ne s’embarrassent pas de discours politique, et préfèrent représenter des films de genre à la mode (parfois très bon comme Creature From Black Lagoon).
Le renouveau d'une science-fiction utopiste se fera essentiellement par l'arrivé des séries télévisées, et notamment la célèbre série Star Trek de Gene Roddenberry en 1966, proposant une utopie post-capitaliste, débarrassée du racisme et du sexisme ou une équipe d'explorateurs cherchent à nouer des contacts pacifiques et étudier d'autres planètes.
Cette utopisme de SF cohabite néanmoins avec une critique de la technologie très forte, ainsi le roman La Planète des Singes de Pierre Boule, rend compte d'une humanité dégénérée par la technologie, ayant régressé face à une civilisation de grand singes (avec une division raciale du travail : gorilles à l'armée, orang-outang aux sciences, et chimpanzés à l'administration). L'adaptation cinématographique des années 1960 fait place à plus de nuances, et la célèbre scène finale laisse y percevoir la crainte d'une guerre nucléaire, très présente dans le cinéma de cette époque.
La nature et l’individu contre les masses
Face à des systèmes où le contrôle des populations est toujours plus perfectionné, la lutte tend à devenir celle de l’individu, de son droit à la liberté ou simplement à la singularité contre l’uniformisation.
Orange mécanique (1971) évoque le danger d’une société en décomposition devenue ultra-violente, et en même temps la violence des technologies de « redressement » dont pourront disposer les autorités. Le monde post-apocalyptique de Mad Max (1979) reprend aussi cette idée, avec une violence omniprésente.
Soleil vert (1973) exprime à la fois une peur de la surpopulation et une conscience écologiste : les sources d’aliments naturels ayant presque entièrement disparu, la multinationale Soylent sert à la population un produit à base de [SPOILER].
Dans THX 1138, que George Lucas a décrit comme une « métaphore des années 1970 », le héros se libère de la société souterraine robotisée en osant aller à l’air libre.
On doit à cette époque de très belles odes à la liberté, mais aussi un certain effacement de la représentation de la lutte de classe. Face à des masses conditionnées, les héros/héroïnes cherchent presque toujours une échappatoire individuelle.
En revanche, il y a clairement une évolution du côté des méchants : l’État n’a plus le monopole, les « mégacoporations » deviennent de sérieuses menaces2 (notamment avec le courant cyberpunk). Dans Robocop (1987) ou Tokyo Gore Police, c’est même la police qui est privatisée.
Bienvenue à Gattaca (1997) créé un vrai trouble, en étant terriblement réaliste (quasiment pas d’effets spéciaux), et en imaginant seulement la généralisation de l’eugénisme et une ségrégation des humains entre « naturels » et « parfaits ». A vrai dire, le film semble même suggérer que c’est l’introduction de cette technique qui créé l’inégalité, puisque l’inégalité entre les frères Vincent et Anton provient des choix de procréation différents de leurs parents.
L'une des thématiques récurrentes de la SF récente est le dépassement de l'humain par les machines, ainsi que les questions de transhumanismes. Dans le chef d’œuvre cyberpunk Ghost In the Shell, l'héroïne, la commandante de police Motoko Kusanagi, s’interroge sur son humanité et son devenir dans une société ou la mécanisation des corps et la connexion permanente des cerveaux à Internet a flouté les lignes entre humanité et cybernétique.
Dans un tout autre genre, le récit messianique Dune (David Lynch 1984, adapté du roman éponyme de Franck Herbert) présente lui-aussi des dépassements de l'humanité par le contact avec l'Epice, ressource naturelle indispensable aux voyages dans l'espace, et dont l'exposition prolongée transforme les individus en leur donnant d'étranges pouvoirs (qu'il s'agisse du héros lui-même, de l'ordre des Bene Gesserit ainsi que d'autre personnages et institutions du roman et du film). Si le film et le livre se présente comme un récit messianique presque mythologique, on peut y voir à travers le combat des Fremen contre les Harkonnen une métaphore de la lutte anti-impérialiste et anti-coloniale.
L'une des thématiques majeures de la SF est également celui de la science devenue folle, et du savant fou, inspirés des classiques de la SF du 19ème, qu'il s'agisse des multiples films de Frankenstein (on conseillera ceux de James Whale de 1931, sa suite, ainsi que la série de Terrence Fisher produit par la Hammer) ou encore des multiples films adaptés de Dr Jekyll et Mr Hyde, thématique de l'Homme ne pouvant se faire passer pour Dieu, que l'on retrouve dans plusieurs classiques du genre et grand succès du cinéma populaire tels que Le cerveau qui ne voulait pas mourir, ou encore Jurassic Park (adapté de l'excellent roman de Mickael Crichton). Dans le même genre, les risques liés à la technologie sont également développés dans La mouche noire (1958), et son remake La mouche (de David Cronenberg) ou un scientifique se métamorphose suite à un accident dans un test d'une machine de téléportation.
Ou encore on pourrait citer l'adaptation par Stuart Gordon (1985) de la nouvelle Re-animator de HP Lovecraft, qui illustre de façon tout a fait jouissive et gore cette tendance du cinéma à montrer les scientifiques comme des personnages a-moraux et obsédés par leur recherches plus que par le respect de l'humanité.
Dans un tout autre genre, Starship Troopers (Paul Verhooven 1997) adapte un roman d'extrême-droite et détourne le propos pour en faire une satire de la militarisation de la société états-unienne et de la prégnance culturelle de l'armée. Cette critique de l'armée, se retrouve également dans L'Echelle de Jacob, qu'on ne spoilera pas ici.
Le retour de la lutte des classes
Dans les années 1990, sous l’effet de l’offensive généralisée des capitalistes, le fossé entre les classes se creuse. Au tournant des années 2000, et plus encore après la crise de 2008, les contre-utopies sont souvent basées sur une accentuation de la « lutte de classe ».
La ségrégation spatiale, déjà présente depuis au moins 1927 avec la ville haute et la ville basse de Metropolis, devient banale, avec par exemple les délimitations très nettes de Time out, Hunger Games , Divergente. Les riches en l'air (Gunnm) ou en orbite (Elysium) laissent même les pauvres crever sur Terre, ou, plus original, la ségrégation s’organise dans les wagons du train de Snowpiercer (2014). Dans District 9 (2009), l’exploitation d’extra-terrestres par les humains renvoie assez directement à une sorte de colonisation raciste. District 9 est d'ailleurs à ce titre très intéressant, puisque, film sud-africain, il décrit la vie d'un township (le nom lui-même vient du tristement célèbre District 6)
Le terme de lutte de classe mérite d’être nuancé, parce que les cinéastes sont rarement marxistes, et ont en général des visions très particulières de « ce qui ne va pas » dans la société.
On peut par exemple penser que la SF a tendance, dans de nombreux films, à alimenter les interprétations « complotistes » en montrant surtout la domination des élites comme des plans cachés (dans A scanner darkly, The Island…).
Dans de nombreux films post-apocalyptiques, c’est le cadre d’une nature dégradée qui « impose » une société dictatoriale, comme dans Snowpiercer où le fonctionnement hiérarchisé du train est censé être la seule façon de gérer les maigres ressources restantes. Donc paradoxalement, tout en décrivant de façon directe et crue une intense lutte de classe3, il n’y a pas vraiment de perspective à la lutte au bout du film.
V pour Vendetta (2006) a eu un grand succès en tant que symbole de lutte pour la liberté, et d’héroïsme auquel de jeunes hackers peuvent facilement s’identifier. Mais en réalité, ce film représente davantage la chute d’un régime fasciste, grâce à quelques coups d’éclats qui rallient « le peuple », mais on n’en tirera pas une critique du capitalisme en général. Le film d'ailleurs est à des années lumières du propos de l’œuvre originale, la bédé d'Allan Moore, véritable appel à la propagande par le fait. Pour dire un mot du blockbuster que tout le monde connaît, le basculement entre les deux trilogies de Star Wars est aussi le passage d'une « république » (de fait capitaliste) à un régime fasciste.
Un thème très répandu est celui du film Equilibrium (2002) où les sentiments humains sont supposés être les fauteurs de troubles, ce qui justifie la dictature insipide des « ecclésiastes ». Pire, le navet The giver (2014) propage directement le cliché des libéraux : il faut choisir entre l’égalité et la liberté, et la nature humaine incarnée par le héros finit par l’emporter en détruisant la dictature uniformisante/égalitaire.
Le cinéma de SF peut néanmoins porter des perspectives révolutionnaires. Au Japon, le film L'Empereur Tomato-Ketchup (Shuji Terayama, 1971) imagine une société ou les enfants ont renversé les adultes et imposent leur propre dictature, le film décrit un processus de libération dans ses excès et ses failles, mais est surtout une promesse de rébellion victorieuse et de transformation radicale de la vie. Dans le même thème Battle Royale II (Kinji Fukasaku, 2003) est un véritable pamphlet guévariste, multipliant les références à l'Armée Rouge Japonaise, justifiant l'utilisation du terrorisme révolutionnaire et de la guerilla. Suite directe du premier (adapté du roman de Koshun Takami sorti en 1999) lequel décrivait un régime policier sacrifiant sa jeunesse dans un sordide jeu de massacre. On pourra aussi penser au film Wonderful Days, de Kim Moon-Saeng, où s'affrontent directement deux classes distinctes dans un monde post-apocalyptique, et où la classe dominante ne recule devant aucun ravage pour continuer à perpétuer son mode de vie [SPOILER ALERT : les travailleurs se soulèvent dans un mouvement armé et gagnent !]
Dans Time out (2011), l’argent est remplacé par le « temps restant à vivre » : temps qui peut être échangé, rechargé en travaillant, ou joué au casino pour ceux qui en ont à ne plus savoir quoi en faire. L’avantage de cette description (même s’il lui manque une vraie base scientifique) c’est qu’elle donne un pur caractère économique à la vie. Plus question du hasard et des plus ou moins bonnes conditions physiques des uns et des autres, l’exploitation humaine apparaît dans sa nudité. Ce qui fait dire aux personnages que « pour quelques immortels, beaucoup doivent mourir », c’est le « darwinisme capitaliste ».
Sleep Dealer (2008) est sans doute un des films de SF qui parle le plus directement de l’exploitation des travailleur-se-s. Le scénario se déroule dans une Tijuana du futur, mais derrière les techniques plus avancées, c’est toujours l’horreur capitaliste qui est décrite…
Quant aux derniers gros succès (en livre comme en film), les séries Hunger Games et Divergente, ils sont forcément intéressants. On ne parlera pas ici de qualité des films4… mais du fait que des millions de personnes sont touchées par ces deux scénarios (très proches) dans lesquels des jeunes femmes mènent une révolution contre une société de classe. Certaines estiment que « C’est quasiment une ode à la conscience politique que l’on trouve dans ces best-sellers encourageant la jeunesse à s’interroger sur ses propres valeurs et à les confronter à celles du système en place ! »
L'image de l'extra-terrestre
Dès les débuts de la SF, la possibilité d'une existence extra-terrestre se fait jour, en début d'article nous avions évoqué Aelita, ainsi que le roman de Wells, La Guerre des Mondes, et son anti-colonialisme, on ne reviendra pas sur l'émission radiophonique de Orson Welles de 1938 mais on peut revenir sur les films qui en ont été adaptés : un premier dans les années 1950, qui est une métaphore de la guerre nucléaire, ainsi que celle plus récente de Spielberg, évoquant plutôt le terrorisme.
Dans les 50's après les rumeurs concernant Roswell et la possible présence d'extra-terrestres, la prégnance de complots gouvernementaux ou la représentation des extra-terrestres comme force d'invasion supérieure proposant souvent un modèle de société totalitaire est prégnante dans le cinéma (L'attaque des soucoupes volantes, Robot Monster, Plan 9 From Outer Space, Le Village des Damnées etc.)
Il faudra attendre les années 1970 et deux films majeurs que sont Alien de Ridley Scott, où l'extra-terrestre, est un animal prédateur, ainsi que Star Wars (fortement inspiré par la série de romans Flash Gordon, adaptée en film en 1980) pour que les extra-terrestres et humains cohabitent de façon naturelle (Star Trek était précurseur - sur ce point aussi). Dans ces films les extra-terrestres ne sont pas forcément plus avancés que nous en termes de technologie, et ils ne sont pas forcément dans des organisations sociales complexes (les Alien font penser à une organisation en ruche d'insectes), chose que l'on retrouve également dans le classique The Thing, de John Carpenter, déjà remake de La chose venu d'un autre monde. De fait, les angoisses transposées sur l'incarnation de l'antagoniste extra-terrestre (quand l'Alien n'est pas un allié) sont totalement différentes, et le traitement s'en retrouve largement modifié, évacuant toute la dimension « guerre froide », de Bodysnatchers ou d'autres classiques des périodes antérieures. On pourra aussi citer le grand succès commercial Avatar (2009), transposant les codes du western dans un univers SF et évoquant les guerres indiennes. Bien loin des premières soucoupes volantes.
Il est à noter que dans la culture populaire et la contre-culture des Etats-Unis (qu'il s'agisse de théories complotistes, jeux, convention, série, film etc...) les extra-terrestres tiennent une place de choix.
1 Florence Porcel, Les rôles féminins dans les films de SF
2 http://io9.com/5217560/15-evil-corporations-in-science-fiction
3 Voir par exemple http://www.socialisme.be/fr/8970/snowpiercer-un-mariage-efficace-de-science-fiction-et-de-lutte-des-classes
4 Que certains n’apprécient visiblement pas ! http://www.meltybuzz.fr/le-bon-coin-une-annonce-improbable-pour-un-dvd-et-une-pomme-de-terre-a430554.html