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La chute de Bachar al-Assad, après les succès militaires d’Israël, ouvre la voie à une reconfiguration du Moyen-Orient favorable aux impérialistes occidentaux
La chute surprise et rapide de Bachar al Assad est une victoire différée du soulèvement populaire syrien de 2011, qui s'est poursuivi en partie sous les formes de la guerre civile. Si ce sont des islamistes radicaux qui l'ont emporté militairement, avec le soutien de la Turquie, cela est arrivé avec le soutien massif de la population syrienne, qui voulait avant tout la chute du dictateur sanguinaire. Cela donne une situation contradictoire : le pouvoir est aux mains d'islamistes radicaux sur lesquels on ne peut se faire aucune illusion, d'autant qu'ils essaient de montrer patte blanche aux impérialistes occidentaux, mais le peuple syrien aspire plus que jamais à la démocratie, aux droits humains et sociaux, et n'acceptera certainement pas la mise en place d'un nouveau régime oppressif et réactionnaire. Il est crucial qu'il trouve les voies de l'auto-organisation, en tout indépendance à l'égard du nouveau pouvoir et en refusant l'ingérence militaire et politique l'État d'Israël et des impérialistes (voir notre article précédent). De ce point de vue, l'expérience des Kurdes du Rojava est précieuse pour tout le peuple syrien, qui peut s'inspirer du modèle du confédéralisme démocratique mis en place dans cette région de la Syrie, en même temps que les forces démocratiques kurdes combattaient Daesh et les milices islamistes au service de la Turquie (nous y reviendrons dans un prochain article).
S’il est évident que l’impérialisme occidental cherche dès aujourd’hui à reconfigurer la Syrie selon ses intérêts propres, il n’en demeure pas moins que rien n’est encore joué : la situation est toujours ouverte et le sort de la Syrie repose entre les mains de sa population, mais aussi, par extension, entre celles des populations de toute la région (au Liban, en Iran, en Israël et au Rojava en particulier). L’affaiblissement structurel de l’Iran et conjoncturel de la Russie sont deux éléments qui vont évidemment profiter au bloc occidental. Pourtant, la détermination politique du peuple syrien montre que rien n’est joué et qu’il faut, en révolutionnaires, le soutenir absolument contre toutes les puissances étrangères qui cherchent à tirer profit de la situation, mais aussi contre les dirigeants islamistes qui sont arrivés au pouvoir.
La chute du régime de Bachar al-Assad : un nouveau coup très dur contre « l’Axe de la résistance »
« L’Axe de la résistance » est le nom de l’alliance de différents groupes de l’islam politique à majorité chiite, dirigé par l’Iran. L’alliance est dirigée par les Gardiens de la Révolution iraniens et regroupe le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, l’ex-régime alaouite de Bachar al-Assad en Syrie, les milices irakiennes, les Houthis au Yémen. Ces groupes sont liés sur des bases politiques, idéologiques et religieuses malgré différentes tendances (le Hamas est une branche des frères musulmans, sunnites, alors que les autres composantes sont chiites, elles-mêmes divisées en plusieurs courants). « L’Axe de la résistance » a pour objectif de mener à terme la révolution islamique internationale, et se dote d’un soutien mutuel en cas d’action offensive ou défensive. C’est la raison pour laquelle, dès le 8 octobre 2023, le Hezbollah, de façon autonome mais avec l’accord de l’Iran et quoiqu’avec regrets1, a intensifié significativement son engagement armé contre Israël, suivi ensuite par les Houthis avec, pour leur part, un engagement peu exposant2 mais efficace dans la perturbation du trafic maritime mondial3.
Le motif principal de l’engagement de certaines composantes de l’Axe est l’entrée en guerre totale d’Israël contre le Hamas à Gaza et, plus largement, contre le peuple palestinien dans son ensemble et sa résistance armée en particulier. Le génocide à Gaza, qui dure depuis plus d’un an, a été le tremplin d’Israël pour attaquer le Liban4 au motif d’y viser spécifiquement le Hezbollah. Les attaques très dures menées contre celui-ci5 ont complètement capté son attention, au point de le contraindre à déserter ses autres zones d’influences, notamment en Syrie.
C’est aussi le cas de l’Iran qui doit composer avec une menace permanente de guerre ouverte alors que son objectif principal est d’abord d’assurer des relations diplomatiques apaisées afin de mener à terme son programme nucléaire et de lever les sanctions économiques qui fragilisent le régime – et certainement pas la libération politique de la Palestine. C’est pourquoi les ripostes iraniennes aux incursions israéliennes sur son territoire sont demeurées relativement peu impactantes et s’apparentent plutôt à des mécanismes de dissuasion.
Cette double situation a contraint ces deux forces dirigeantes de « l’Axe de la résistance » à se détourner de la Syrie, ce qui a largement profité aux membres de HTC pour prendre le pouvoir facilement, d’autant que le groupe n’a pas hésité à utiliser à son avantage des soutiens militaires divers, et en particulier le proxy turc de l’ANS (Armée Nationale Syrienne, composée majoritairement de mercenaires payés par la Turquie). Sans aucune assise populaire, avec une armée de conscrits épuisée et non payée et du fait de l’abandon du terrain par ses alliés, le régime de Bachar n’a pas pu faire face à la rébellion armée.
Immédiatement redéployées, les forces de l’armée israélienne ont été en partie transférées du Sud Liban jusqu’au plateau du Golan pour revendiquer l’avancée de la colonisation israélienne en Syrie6, appuyée par des bombardements massifs7 sur des sites notamment militaires8 afin de désarmer le pays et de le rendre inoffensif. De plus, ce renversement de situation a permis de bloquer l’axe routier par lequel circulaient jusqu’alors une partie des armes en provenance de l’Iran à destination de la Palestine (de Gaza en particulier) et du Liban – armes captées essentiellement par le Hamas et le Hezbollah. De fait, cela va réduire drastiquement la capacité militaire de ces groupes. Ici s’exprime la volonté et l’action de Benjamin Netanyahu pour remodeler le Proche-Orient en fonction des intérêts coloniaux propres d’Israël. Il mène en ce sens une politique d’extrême droite suprémaciste, dans un cadre de pensée millénariste qui se donne pour mission le « rétablissement du Grand Israël »9.
Malgré le fait que cet Axe s’oppose en partie aux Etats-Unis, il serait faux de le considérer comme un moindre mal, voire comme un allié pour l’émancipation globale des populations du Proche-Orient. Au contraire, il s’agit d’une alliance idéologico-militaire réactionnaire, qui n’hésite pas à réprimer massivement les populations sous son contrôle pour maintenir en place des régimes en place et servir les intérêts de leurs dirigeants. S’il est exact que par sa stratégie d’encerclement, l’Iran a largement contribué à exercer une pression militaire contre Israël, à aucun moment les armes fournies par l’Iran ne sont retrouvées entre les mains de la population palestinienne : ce sont les directions politiques et religieuses alliées à l’Iran qui en ont bénéficié. Si cela semble logique (on arme nos proches et pas nos ennemis), nous ne pouvons nous en satisfaire : ces directions politiques sont contre-révolutionnaires et par ailleurs militairement aventuristes et suicidaires. Le culte du martyr, en tant qu’idéologie structurante de l’action militaire de ces organisations les pousse à commettre des actions qui ne sont pas celles de la lutte révolutionnaire pour la prise du pouvoir (attentats-suicides, prises d’otages, rackets...). Si les crimes de guerre du 7 octobre ont montré que jamais la population israélienne ne sera en sécurité tant qu’elle soutiendra le pacte colonial, elle a aussi montré l’incapacité flagrante du Hamas – et par extension de « l’Axe de la résitance » – de mener le peuple palestinien à sa libération. Au contraire, le bilan est tellement dévastateur qu’il se négocie un dépouillement ignoble de la Palestine sous l’égide de l’Arabie Saoudite qui tarde de reprendre ses relations avec Israël. Sur toute la ligne, l’attaque du 7 octobre est un échec, et le fait que la question palestinienne ait réoccupé de cette façon l’actualité politique n’est en rien une victoire.
En plus de ce coup très dur pour l’Iran, un revers important pour la Russie.
L’Iran se retrouve donc particulièrement exposé et affaibli depuis le 7 octobre, avec des défaites sur quasiment l’ensemble des tableaux. Les signes de volonté d’apaisement marqués par la nomination au poste de président de la République islamique de Massoud Pezeshkian à la place de Ebrahim Raïssi10, ne sont pas suffisants. De plus, le pays vit sous la menace de l’intervention américaine permanente, matérialisée par les deux porte-avions stationnés en mer Méditerranée. Enfin, du fait de l’inconnu qui règne autour de la politique étrangère – dans tous les cas hostile – que Donald Trump va mener à son encontre, l’Iran fait face à un rapport de force extrêmement puissant, qui lui est largement défavorable.
La chute de Bachar est un revers pour la Russie. Complètement accaparé par la guerre d’agression qu’il mène depuis plus de deux ans en Ukraine, dans laquelle elle progresse mais au prix d’un effort considérable, Poutine n’a pas eu les moyens ni la volonté réelle de soutenir militairement un régime si fragile que celui de Bachar al-Assad. Jusqu’alors pilier de l’influence russe au Proche-Orient, pays qui lui offrait l’accès aux « mers chaudes » et donc à son déploiement en Afrique via la base navale de Tartous11, la perte presque totale de la Syrie12 est un signe net de son affaiblissement dans la région. Il semble que le regard russe soit pour l’instant essentiellement tourné vers l’Europe de l’Est, avec des soupçons d’ingérence dans les élections moldaves et géorgiennes, attisant une réplique de type Maïdan en Géorgie. Cette activité russe peut se comprendre dans une logique de « glacis idéologique13 » : l’arrivée de Trump à la maison Blanche va très probablement modifier le sort de la guerre en Ukraine en cherchant à y mettre fin dès que possible. La question des accords de cessez-le-feu prendra nécessairement en compte les zones d’influences à se partager, afin de garantir la sécurité et les intérêts des États. Entraîner d’autres pays dans son giron permettrait à la Russie de maintenir sa sphère d’influence ainsi qu’une pression contre l’Ukraine et, par extension, contre l’OTAN. L’enjeu est donc de taille et nécessite un effort particulier, quitte à renoncer partiellement au moins à d’autres espaces.
En tout cas, il semble qu'on aille vers une victoire des impérialistes occidentaux au Proche-Orient : si le génocide à Gaza a uni la majorité de l’Assemblée générale des Nations Unies contre lui, la minorité représentée par le bloc occidental a malgré tout poursuivi ses objectifs sans aucune contrainte, avec les conséquences actuelles en Palestine, au Liban et potentiellement en Syrie.
Cette victoire n’est cependant pas totalement actée. D’abord parce que personne ne sait ce que réalisera Donald Trump lorsqu’il prendra ses fonctions. Or, ce que l’on sait déjà, c’est que Benjamin Netanyahu est hostile à HTC en Syrie et encore plus à un mouvement progressiste de la population syrienne : c’est la raison pour laquelle il a ordonné la destruction de plus de 80 % des infrastructures militaires du pays. D’autre part, il devient nécessaire pour les États-Unis de mettre fin à la guerre en Ukraine et à la guerre que mène Israël en Palestine et chez ses voisins, pour procéder à la reconstruction et à la stabilisation impérialiste des zones d’influence et des intérêts capitalistes divers. C’est à cette lumière que l’on peut lire l’évolution des négociations pour un cessez le feu à Gaza mais aussi en Ukraine. Cependant, les USA doivent composer avec le jusqu’au-boutisme des Israéliens, dont l’Iran est la cible première. Les États-Unis devront donc arbitrer rapidement pour pouvoir ensuite se concentrer sur la menace n°1 du Pentagone et de l’administration Trump, à savoir la Chine.
La reconfiguration géostratégique du Proche-Orient, cœur de l’affrontement entre plusieurs impérialismes concurrents depuis la fin la Seconde guerre mondiale, connaît donc une nouvelle phase. L’affaiblissement structurel de deux puissances régionales, l’avancée du soulèvement syrien et le génocide israélien à Gaza laissent à penser que l’ensemble de la région va vivre de nouveaux bouleversements. Sans illusions mais avec fermeté, nous défendons l’émancipation des peuples de l’ensemble de la région. Cette émancipation passera nécessairement par l'entrée des masses dans des conflits violents contre tous leurs ennemis : les impérialistes occidentaux, la Russie, l'Iran et les régimes despotiques et islamistes qui gouvernent d’une main de fer, soutenus par les un.e.s ou les autres puissances.
Notes
1L’attaque du 7 octobre déclenchée par le Hamas semble avoir surpris ses alliés. Non préparés et organisés autour de leurs agendas propres (l’insertion en profondeur dans la société politique libanaise pour le Hezbollah, la reprise du programme nucléaire pour l’Iran), ces deux forces dirigeantes de l’Axe de la résistance se sont retrouvées en partie prises au dépourvu. C’est la raison pour laquelle la réponse militaire de l’Iran aux attaques israéliennes sur son territoire a été si mesurée, et celle pour laquelle le Hezbollah s’est limité à des tirs de roquettes dans un périmètre restreint autour de la frontière avec l'État d'Israël – avant l’offensive de ce dernier en septembre 2024
2Peu impactancte jusqu’alors : Netanyahu à ordonné des frappes contre le Yemen, visant notamment la capitale Sanaa. Le Premier Ministre israélien déclare par ailleurs qu’il réserve le « même sort que le Hezbollah » aux Houtits.
3Voir ici (https://www.bbc.com/afrique/articles/c2vy984896wo)
4Tout en prenant largement sa revanche sur sa défaite de 2006.
5En particulier la décapitation du corps dirigeant - d’abord par l’attaque aux bippers puis par le bombardement massif de la banlieue sud de Beyrouth, en particulier contre le bunker de Hassan Nasrallah, qui y a trouvé la mort.
6Voir ici la déclaration de Benjamin Netanyahu : https://www.lemonde.fr/international/live/2024/12/09/en-direct-guerre-au-proche-orient-pour-benyamin-netanyahou-la-partie-du-plateau-du-golan-syrien-annexee-appartient-a-israel-pour-l-eternite_6434801_3210.html. Il faut par ailleurs noter que le plateau du Golan est particulièrement fertile et riche en sources, ressource très importante pour un pays semi-désertique comme Israël.
7Voir ici : https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20241210-ce-que-disent-les-images-des-frappes-isra%C3%A9liennes-sur-la-syrie
8Pour Israël, qui combat des armées non-conventionnelles, ce qui relève du civil et du militaire est flou. Les exemples du génocide à Gaza et de la guerre contre le Hezbollah le montrent. Dans le premier cas, l’armée israélienne a utilisé des algorithmes pour guider ses frappes. Ces algorithmes ont estimé que, pour remplir ses objectifs (notamment la destruction de l’infrastructure militaire de la résistance palestinienne, en particulier celle du Hamas), Israël pouvait s’autoriser 100 victimes collatérales pour frapper une cible responsable du Hamas (https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/05/l-intelligence-artificielle-au-service-de-la-strategie-militaire-israelienne_6203982_3210.html). Dans le deuxième cas, la destruction du bunker ayant causé la mort de Hassan Nasrallah et la décapitation de la direction du Hezbollah a autorisé le massacre de plusieurs centaines de civils innocents au motif qu’ils étaient, là aussi, « utilisés comme boucliers humains ». (https://www.bbc.com/afrique/articles/cn5zqkzegqvo). Israël, sous couvert de frapper des cibles militaires, frappe délibérément des civils.
9Pour une vision généraliste de cette théorie, voir https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/08/proche-orient-la-patience-strategique-des-ideologues-du-grand-israel_6204640_3210.html. Pour les portraits des deux principaux ministres israélien suprémacistes adeptes de cette théorie, en poste dès avant le 7 octobre 2023, voir https://www.arte.tv/fr/videos/115065-000-A/israel-les-ministres-du-chaos/
10Mort accidentellement le 19 mai 2024, selon la diplomatie iranienne et la communauté journaliste.
11Voir ici : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/syrie-pour-le-kremlin-la-chute-du-regime-de-bachar-al-assad-est-un-revers-geopolitique-majeur
12La diplomatie russe a déclaré que la transition devait se faire le plus rapidement possible et de manière pacifique et entretient des contacts réguliers avec HTC, en particulier pour s’assurer de la sécurité de ses zones militaires.
13Par analogie au glacis militaire qui fige la ligne de front dans le Donbass.