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Dix ans après le début de la crise : en finir avec les mythes antilibéraux !
Les mythes ont la vie dure. Une certaine doxa antilibérale s'est imposée dans notre milieu, non seulement chez les antilibéraux mais aussi chez les anticapitalistes. Voilà ce qu'on nous assène depuis des années :
-
les profits explosent : la crise ne touche pas les capitalistes mais uniquement les travailleurs
-
les revenus de la propriété (surtout les dividendes) explosent alors que l'investissement est bloqué : autrement dit, les capitalistes se gavent et n'investissent plus malgré des profits exorbitants
On comprend pourquoi les antilibéraux véhiculent ces mythes : ils servent leur programme politique qui a besoin de ces mythes pour ne pas apparaître pour ce qu'il est : une escroquerie politique. En effet, si ces thèses sont vérifiées, alors le programme antilibéral est rationnel : il faut réorienter les profits vers l'investissement en bridant la finance, et la croissance repartira ! Le problème du capitalisme ne serait pas l'insuffisante rentabilité du capital, mais l'insuffisance de la demande : il faudrait donc augmenter les salaires, les dépenses publiques, pour stimuler l'investissement des entreprises et faire exploser la croissance ! Bien évidemment, si ces thèses ne sont pas vérifiées, le programme antilibéral keynésien s'effondre : toutes les mesures de relance ne feraient qu'aggraver la crise de rentabilité du capital et mèneraient dans une impasse totale très rapidement.
Il est très facile de tester la véracité de ces thèses et de prouver qu'elles sont totalement farfelues. Pour les appuyer, les antilibéraux tronquent les faits, utilisent des études partielles sans les comprendre, ou sans vouloir les comprendre.
Encore dernièrement, notre milieu s'appuie sur une étude du cabinet "Janus Henderson" qui évoque une explosion des dividendes. Sauf qu'il s'agit des dividendes d'une petite partie des entreprises, qu'il s'agit des "dividendes bruts" alors que ce sont les dividendes nets qu'on doit comparer aux profits. En effet, les entreprises distribuent des dividendes, mais elles en reçoivent également. L'envolée de ces dividendes croisés est un indicateur de la financiarisation des économies (les entreprises possèdent de plus en plus des actions d'autres entreprises, d'où ces flux croisés), mais pas de la hausse des dividendes par rapport au profit.
Il existe une source exhaustive et fiable (en tout cas relativement à toutes les autres) pour mesurer les profits, l'investissement, les revenus de la propriété distribués par l'ensemble des entreprises : la comptabilité nationale établie par l'Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3547646 .
On a l'égalité comptable suivante fort simple :
Profits des entreprises + Endettement = Investissement + Revenus nets de la propriété + Impôts et transferts
Expliquons rapidement cette égalité comptable : avec leurs profits, les entreprises investissent, rémunèrent les capitalistes (versement de dividendes et d'intérêts), et paient des impôts (nets d'éventuels transferts reçus comme les aides publiques à l'investissement). Si ces dépenses excèdent leur profit, elles doivent s'endetter.
Regardons quelques évolutions depuis le déclenchement de la crise pour les sociétés non financières (SNF) : la valeur ajoutée des SNF est passée de 995 à 1.186 milliards entre 2007 et 2017 (+19%), les salaires sont passés de 629 à 778 milliards (+24%) et les profits sont passés de 367 à 408 milliards (+11%). Autrement dit, les profits ont augmenté moins vite que les salaires, et la part des profits dans la valeur ajoutée (taux de marge) est passée de 36,8% en 2007 à 34,4% en 2017. Où est l'explosion des profits ?
Entre 2007 et 2017, l'investissement (acquisition d'actifs) a augmenté de 23% (passant de 245 à 301 milliards) ; les revenus de la propriété ont baissé de 42% (passant de 57 à 33 milliards) et à l'intérieur de ceux-ci les dividendes nets versés ont baissé de 30%. Enfin, les impôts et transferts payés ont baissé de 5% (passant de 88 à 83 milliards).
Autrement dit, il s'est passé exactement l'inverse de ce que les antilibéraux nous racontent : la part de l'investissement dans le profit a augmenté (passant de 67% à 74%) et celle des revenus de la propriétés a chuté (passant de 16% à 8%). Autrement dit, l'explication de la faiblesse de l'investissement ne réside pas dans une soudaine envolée des revenus de la propriété... qui se sont dans la réalité effondrés.
Enfin, entre 2007 et 2017, le taux de profit qu'on peut estimer grossièrement comme le profit divisé par le capital fixe investi a chuté de trois points (passant de 20,9% à 17,9%). Le taux de profit après impôts a également baissé, mais moins en raison des baisses d'impôts accordées aux entreprises.
Ces données vont sans doute surprendre bon nombre de camarades. La manipulation des chiffres par les antilibéraux est en effet assez incroyable et mériterait une analyse sociologique pour la décortiquer ! Chacun pourra en tout cas vérifier aisément ces chiffres qui sont publics et disponibles sur le site de l'Insee.
Il est urgent que notre parti fasse une critique radicale de la doxa antilibérale. La crise du capitalisme est une crise de rentabilité dont le soubassement est la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. La financiarisation n'est pas une cause de la crise : c'en est un symptôme. Les bulles de capital fictif ne doivent absolument pas être assimilées à du profit : le profit est la différence entre les ventes et les coûts de production. Quand des camarades nous expliquent que nous vivons une grande crise et les profits sont au plus haut, c'est une aberration. Le taux de profit est le thermomètre de l'économie capitaliste : il ne peut pas y avoir de crise avec un taux de profit florissant ! En outre, le mythe antilibéral d'une grève de l'investissement de capitalistes qui se gaveraient de dividendes relève d'une vision complotiste, et non d'une analyse matérialiste. Les capitalistes ne peuvent pas "choisir" de cesser d'investir pour se gaver : la loi de la concurrence impose aux capitalistes d'investir une part importante de leur profit (et relativement stable sur le long terme) pour rester compétitifs ! Mais les réformistes et populistes cherchent à nous faire croire que le problème est que les capitalistes ont perdu leur vertu et qu'il faudrait remplacer le mauvais capitalisme par un bon capitalisme qui investit ses profits
Les faits sont pourtant têtus et corroborent pleinement les analyses marxistes. Il n'y a qu'une seule façon de sortir des crises dans le cadre du capitalisme, et cela se fait forcément au détriment des travailleurs : il faut une dévalorisation massive du capital constant (capital investi dans les moyens de production) et du capital variable (baisse des salaires) pour redresser le taux de profit, condition sine qua non d'une reprise de l'accumulation. Il nous faut donc combattre les mirages antilibéraux : pour sortir de la crise par le haut, il n'y a qu'une seule alternative à la purge capitaliste : l'expropriation des capitalistes et le contrôle des travailleurs sur les moyens de production.