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    Nouveaux éléments sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État contre Mossadegh en Iran

    histoire Iran

    Lien publiée le 7 août 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    » Opération Ajax : Nouveaux éléments sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État contre Mossadegh en Iran (les-crises.fr)

    Dans son nouveau livre, Ervand Abrahamian affirme que de nouvelles preuves montrent que le complot visant à renverser Mossadegh en 1953 était bien ficelé et qu’il était en préparation depuis longtemps.

    Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

    Mohammad Mossadegh, ministre-président d’Iran, à l’aéroport de Schiphol, le 28 mai 1952 (Archives nationales néerlandaises/Creative Commons)

    L’implication des États-Unis dans le coup d’État de 1953 en Iran n’est pas discutable, mais on continue à se battre sur l’étendue de cette implication et sur l’importance des rôles des États-Unis et du Royaume-Uni.

    Selon une récente vague de récits révisionnistes, le rôle des États-Unis n’était pas si important, mais des centaines de documents publiés par le gouvernement américain en 2017 ont confirmé le point de vue standard selon lequel le rôle des États-Unis fut important et même crucial pour le renversement du Premier ministre populaire, Mohammed Mossadegh.

    L’éminent historien de l’Iran, Ervand Abrahamian, a publié un nouveau livre qui passe en revue les informations divulguées dans ces documents déclassifiés du gouvernement. Dans ce livre, intitulé « Oil Crisis in Iran : From Nationalism to Coup d’État » (La crise du pétrole en Iran : du nationalisme au coup d’Etat, NdT), Abrahamian explique que les documents montrent une implication beaucoup plus importante des États-Unis dans la politique intérieure iranienne dans les années précédant le coup d’État que ce qui avait été reconnu auparavant. « Une comparaison rapide entre la version 2017 de Foreign Relations of the United States, 1952-54, Vol. X, Iran, 1951-54 (FRUS) avec la version de 1989 portant le même titre indique que ces documents ont été retenus pendant si longtemps précisément parce que le département d’État était réticent à admettre une implication aussi poussée. »

    Abrahamian a également découvert que l’administration Truman a soutenu l’éviction de Mossadegh du pouvoir lorsqu’il a refusé de céder sur la nationalisation du pétrole, et qu’ils ont ouvert la voie au coup d’État qu’Eisenhower a approuvé. Il détaille les interventions répétées des États-Unis dans la politique iranienne pendant la crise pétrolière, notamment l’ingérence dans plusieurs élections du Majlis. Il le fait pour réfuter les récits révisionnistes qui ont tenté de minimiser le rôle des États-Unis, pour faire la lumière sur les continuités de la politique américaine à l’égard de l’Iran sous Truman et Eisenhower, et pour déterminer autant que possible ce qui motivait réellement le soutien des États-Unis à la destitution de Mossadegh.

    L’histoire classique de la raison pour laquelle les États-Unis ont soutenu le coup d’État est que Washington craignait de perdre l’Iran au profit du communisme, et cette interprétation s’est fortement appuyée sur les justifications de la Guerre froide que les responsables politiques concernés ont eux-mêmes présentées. Cependant, comme le montre Abrahamian, les gouvernements américain et britannique se sont concentrés, dans les années qui ont précédé le coup d’État, sur la prévention de la nationalisation du pétrole et sur la nécessité d’empêcher l’Iran de créer un précédent qui, selon eux, serait appliqué ailleurs dans le monde. Les États-Unis avaient également des raisons de mettre en avant la peur du communisme comme facteur principal, car ils avaient besoin d’une feuille de vigne pour justifier l’intervention.

    Abrahamian explique : « Pour mener des actions contre des entités et des pays non communistes, la CIA, ainsi que d’autres agences américaines, ont dû déformer les faits, déformer la réalité et recourir à un langage créatif. Ils ont dû cataloguer ces opérations comme faisant partie intégrante de la guerre contre le communisme et l’Union soviétique – autrement dit, faire de cette question une partie intégrante de la Guerre froide. »

    Les États-Unis n’avaient de toute façon pas le droit de renverser un dirigeant iranien élu, mais le gouvernement a ressenti le besoin d’en faire une action anticommuniste pour donner l’impression qu’elle faisait partie d’une stratégie plus large contre les Soviétiques. L’intégration d’un changement de régime secret en Iran dans la politique d’endiguement antisoviétique lui a conféré une sorte de « légitimité » à Washington qu’elle n’aurait pas eue autrement. Comme le gouvernement l’aurait fait en d’autres occasions, les renseignements ont été manipulés pour s’adapter à la politique qui avait déjà été décidée.

    La prétendue crainte d’une prise de pouvoir par les communistes a été utilisée plus tard comme justification officielle du coup d’État, mais la raison de celui-ci était le désir de s’opposer à une véritable nationalisation du pétrole. On craignait une sorte d’effet domino, mais il s’agissait de l’effet domino d’autres gouvernements cherchant à modifier les termes des contrats qui leur avaient été imposés par les puissances coloniales au cours des décennies précédentes. La question qui se posait aux États-Unis et au Royaume-Uni pendant la crise pétrolière était de savoir comment amener l’Iran à accepter une « nationalisation vide », c’est-à-dire d’accepter une nationalisation en principe mais en la refuserant en pratique. Il s’agirait d’une « nationalisation sans contrôle réel » et, bien entendu, cette option était inacceptable pour la partie iranienne. Alors qu’il devenait évident que Mossadegh n’allait pas se laisser berner par ce leurre évident, les États-Unis se sont alignés plus étroitement sur la position du Royaume-Uni et sont devenus plus favorables au remplacement de Mossadegh.

    Abrahamian conclut que « le coup d’État est le résultat de politiques initiées sous Truman bien avant l’avènement de l’administration Eisenhower. » Si Eisenhower est le seul à l’avoir ordonné, son prédécesseur partage la responsabilité d’en avoir jeté les bases. La réticence antérieure de l’administration Truman à approuver un coup d’État pur et simple était davantage motivée par la réticence du Shah à y participer dans un premier temps que par d’autres considérations. En d’autres termes, l’administration Truman n’a pas approuvé l’option parce qu’elle supposait qu’elle ne « fonctionnerait » pas sans la participation du Shah, et non parce qu’elle pensait que c’était la mauvaise chose à faire.

    À la fin du livre, Abrahamian s’en prend directement aux révisionnistes et note que les nouveaux documents « n’étayent pas du tout » leurs arguments. Il cite une phrase clé de l’un des documents, The Battle for Iran (La bataille pour l’Iran, NdT) : « Le coup d’État militaire qui a renversé Mossadegh a été mené sous la direction de la CIA en tant qu’acte de politique étrangère américaine, conçu et approuvé au plus haut niveau du gouvernement. » Le cœur de l’argumentaire révisionniste est que le rôle des États-Unis dans le coup d’État a été « beaucoup exagéré », mais les preuves rassemblées par Abrahamian montrent que les nouvelles informations confirment l’interprétation standard des événements et prouvent l’importance de l’implication des États-Unis.

    Pour Abrahamian, le rôle des États-Unis est essentiel à chaque phase importante. « Les nouveaux documents renforcent fermement l’opinion standard selon laquelle le coup d’État n’aurait pas eu lieu sans la participation active des Américains – en particulier la CIA et l’ambassade. » Sans l’ingérence des États-Unis dans les affaires iraniennes, il n’y aurait pas eu de coup d’État. En raison de cette ingérence, l’Iran a été condamné à 26 ans de dictature soutenue par les États-Unis, ce qui a ouvert la voie à la révolution qui a suivi. Cela ne revient pas à nier le rôle des Iraniens qui ont pris part au coup d’État, mais cela reconnaît que la participation, le financement et le personnel des États-Unis ont été essentiels. Abrahamian commente sardoniquement : « Les seules personnes qui pourraient à juste titre se plaindre que le rôle des États-Unis a été exagéré – à leurs dépens – seraient les agents du MI6. »

    Le débat sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État n’est pas simplement une question d’intérêt académique. Comprendre l’étendue de ce rôle et la responsabilité de notre gouvernement dans son ingérence destructrice dans la politique iranienne a d’importantes implications sur la façon dont nous pensons la politique iranienne et les relations américano-iraniennes aujourd’hui. Certains comptes rendus révisionnistes du coup d’État cherchent à distancier les États-Unis du coup d’État et de ses conséquences afin de blanchir le bilan de la politique étrangère américaine, et d’autres cherchent à « armer » la mémoire de Mossadegh contre le gouvernement iranien actuel en soulignant l’implication de certains religieux dans le coup d’État.

    L’objectif explicite de certains de ces révisionnistes est de minimiser la culpabilité des États-Unis dans le coup d’État et la dictature qui a suivi, afin de pouvoir pousser à un changement de régime en Iran aujourd’hui. Ils proposent une mauvaise histoire et une politique étrangère encore pire, et il est heureux qu’Abrahamian se soit fait un devoir de les contrer avec ce dernier livre.

    Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 02-07-2021
    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises