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Alain Caillé : "Il est normal que les riches paient plus qu’aujourd’hui"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Alain Caillé : "Il est normal que les riches paient plus qu'aujourd'hui" (marianne.net)
Sociologue et fondateur de « La Revue du MAUSS » (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales), Alain Caillé est aussi le porte-parole de l'Association convivialiste internationale. Marianne s'est entretenu avec lui au sujet de son dernier livre « Si j'étais candidat… » (Le Pommier).
Marianne : « Si j'étais candidat… » apparaît comme une sorte de programme politique ou de suggestion, proposant une quinzaine de « mesures basculantes », expression que vous empruntez à Michel Rocard. De quoi s'agit-il ?
Alain Caillé :Il s'agit de mesures qui, comme le RMI [revenu minimum d'insertion] ou la CSG [contribution sociale généralisée] en leur temps, paraissent à peine imaginables mais qui, une fois adoptées, sont telles que personne n'imagine pouvoir faire marche arrière. Des réformes, également, qui sont en amont de toutes les autres réformes possibles parce qu'elles touchent au plus profond de la société.
À qui s'adressent ces propositions ?
Je préciserais d'abord que ce texte, qui m'a permis de clarifier des idées, a été accueilli favorablement par mes amis convivialistes. C'est très encourageant, car ils représentent des horizons idéologiques et politiques variés, disons de la gauche de gauche au centre droit.
Une partie de mon pari est donc tenue : il y a bien un ensemble de choses à dire qui concernent les Français dans leur totalité, plutôt que telle ou telle catégorie de population dont les partis visent le suffrage. Il faut en effet pouvoir parler aussi bien à ceux que j'appelle les précaires, les intégrés, les ségrégués et les globalisés.
Vous partagez avec la France insoumise l'idée de produire une nouvelle Constitution par une assemblée citoyenne. Une autre ambition principale que vous exposez est de restaurer une démocratie plus participative, moins « délégative » et « verticale » dans l'entreprise. C'est-à-dire ?
Concernant la nouvelle Constitution, la référence est plutôt l'expérience de l'Assemblée constituante chilienne. La deuxième mesure que je présente, dans le même ordre d'idées, est l'organisation d'une ou deux conventions citoyennes par an, dont les conclusions seraient soumises de droit à référendum si le Parlement ne les adopte pas.
Emmanuel Macron ou son successeur ne pourrait pas s'en débarrasser d'un revers de main comme il l'a fait avec la Convention climat. Il me semble que cela devrait satisfaire les gilets jaunes. Dans l'entreprise, il devient urgent d'instituer en France la codétermination, avec un partage égal du conseil d'administration entre actionnaires et salariés. Elle est déjà pratiquée en Europe du Nord où, curieusement, l'économie fonctionne mieux qu'en France.
En quoi consistent les quotas individuels de kWh et CO₂ que vous proposez ? L'électorat qui vote le plus et les élites politiques, médiatiques, culturelles – même quand elles se veulent « écolo » – ne sont guère décidées à renoncer à un mode de vie hyper-énergivore. Comment parvenir à imposer une limitation alors qu'elles pratiquent et propagent une culture de l'illimitation ?
Face à la catastrophe climatique qui s'annonce, il faut commencer à imaginer des formes de rationnement énergétique. Par exemple avec un passe kWh. Chaque individu disposerait d'un quota de kWh ou de CO₂. Son compte serait débité à l'occasion de chaque dépense d'énergie. Ceux qui dépasseraient le plafond autorisé rachèteraient des droits à consommer à ceux qui n'ont pas utilisé le quantum qui leur a été alloué. Comme les plus riches sont ceux qui occasionnent le plus grand danger de dérèglement climatique, il est normal qu'ils paient plus qu'aujourd'hui s'ils veulent continuer. S'ils ne sont pas convaincus du bien-fondé de la mesure, leurs enfants sauront les faire changer d'avis.
Considérant que l'échelle nationale est insuffisante à répondre aux grands enjeux internationaux ou tenir tête aux grandes puissances, vous prônez la construction d'une République confédérale européenne plus participative. Ce projet est-il réalisable avec les contraintes des traités et avec des États dont la culture et les intérêts ne vont pas dans le sens de plus de démocratie ?
Comme l'objectif est de récupérer une souveraineté économique liée à une souveraineté politique et sociale en s'affranchissant du veto des pays à paradis fiscaux qui bloquent tout, il est clair que ceux-ci n'en feraient pas partie. Pas plus que les démocratures comme la Hongrie ou la Pologne. Cela étant, le sujet n'est effectivement pas à l'ordre du jour pour l'instant. Un projet de ce type était défendu il y a une vingtaine d'années par le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer. Les Français n'ont pas voulu en entendre parler. J'ai tenté en vain à l'époque d'organiser un débat public sur le sujet. Personne n'a voulu en être.
Les Allemands, accédant ensuite à la domination sur l'Europe, n'en parlent plus non plus désormais. Quand ils auront du mal à vendre leurs voitures aux Chinois, et si les États-Unis ne parviennent plus à surmonter leurs divisions internes et cessent d'apparaître comme le bouclier de l'Europe ou font payer un prix trop lourd aux Européens, la question ne pourra pas ne pas se poser à nouveau. Le cœur de l'affaire sera le noyau franco-allemand, comme Jacques Julliard l'affirme depuis longtemps. D'autres peuples – les Italiens ? les Espagnols ? – suivront.
Votre programme ressemble, dans une forme embryonnaire, à celui d'un parti politique. Comment envisagez-vous que vos idées se traduisent sur le terrain militant et dans les institutions ?
Pour l'instant le convivialisme joue déjà un rôle métapolitique. Les idées qu'il défend infusent peu à peu. Reste à permettre, en effet, leur mise en application effective. Une voie me semble s'ouvrir. La CFDT, par exemple, a réuni autour d'elle 65 réseaux importants de la société civique dans le Pacte du pouvoir de vivre qui défend 90 mesures. C'est trop. Il est envisagé de les ramener rapidement à quelques mesures phares ou… basculantes.
La primaire populaire qui compte plus de 450 000 inscrits acceptant son « socle commun » est entrée dans le paysage. Toutes ces forces de la société civique pourraient constituer ce que j'appelle une Coopérative citoyenne politique, rassemblée autour de quelques mesures basculantes qu'elle mettrait tout en œuvre pour faire adopter. Les partis politiques ne pourraient pas y rester insensibles.
À LIRE AUSSI : Qu'est-ce que le convivialisme, cette idéologie qui entend proposer une alternative au néolibéralisme ?
* Alain Caillé, Si j'étais candidat… Pour une politique convivialiste, éditions Le Pommier, 2022, 3,50 €.