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La télévision russe RT interdite en Europe : “C’est la porte ouverte à l’arbitraire”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La télévision russe RT interdite en Europe : “C’est la porte ouverte à l’arbitraire” (telerama.fr)
Les médias Russia Today et Sputnik, financés par le Kremlin, sont mis au ban de l’UE dès ce mercredi 2 mars. Symbole politique fort ou précédent dangereux ? L’avocat Alexandre Archambault, spécialisé en droit des télécommunications, nous répond.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait promis dimanche 27 février « d’interdire la machine médiatique du Kremlin », en visant nommément RT France et Sputnik, tous deux financés par le Kremlin. Un règlement publié ce mercredi au Journal officiel de l’UE est venu honorer cette parole : « [Leurs actions de propagande] menacent directement et gravement l’ordre et la sécurité publics de l’Union », et la mise au ban de l’espace informationnel « doit être maintenue jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande contre l’Union et ses États membres ».
Déjà bannie de Facebook, YouTube et Telegram ces derniers jours, RT France a lancé une pétition, qui a rassemblé plus de 10 000 signatures en l’espace de quelques heures. Dans le texte qui l’accompagne, la chaîne accuse la France de « s’arroger le droit de censurer un média dont la ligne éditoriale lui déplaît, pas seulement depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, mais plus généralement pour [son] traitement libre de l’actualité ». Alors que les responsables politiques se félicitent de cette mesure drastique, une épineuse question se pose : s’agit-il d’une décision purement politique, dont on sous-estimerait les effets indésirables ? Éléments de réponse avec Alexandre Archambault, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit des télécommunications.
Sur quelles bases légales l’Union européenne suspend-elle la diffusion de RT et Sputnik ?
Elle s’appuie sur ce qu’on appelle en vocable européen les « mesures restrictives », c’est-à-dire les sanctions qui visent la Russie depuis 2014. Jusqu’à présent, celles-ci se cantonnaient au volet financier. Elles étaient motivées, détaillées, proportionnelles, à rebours de l’amateurisme que je constate ici. Il faut préciser que ce règlement ne résout le problème que sur l’aspect audiovisuel, qui était l’urgence politique, car la symbolique de l’écran noir est puissante. Mais sur le volet numérique, malgré la communication officielle, le compte n’y est pas : au nom de la protection de la neutralité du Net [le fait qu’aucun contenu circulant sur le réseau ne doit être favorisé ou discriminé par rapport à un autre, ndlr], garantie par le règlement Internet ouvert de 2015, le blocage ne peut avoir lieu que s’il existe un acte législatif ou une décision de justice. Pour l’instant, il n’y a rien de tout ça. Une déclaration politique n’est pas une base légale.
RT France peut-elle exercer un recours ?
Elle le peut au niveau européen, car la décision suspend la convention signée en France avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, devenu Arcom). Mais si le blocage devait être étendu aux services en ligne, les avocats de RT [dont Basile Ader, éminent spécialiste du droit de la presse, ndlr] pourraient tout à fait rapatrier le contentieux au niveau national, par référé, en dénonçant un trouble manifestement illicite, à savoir le fait qu’un intermédiaire entrave leur diffusion en dehors de tout acte législatif clair. Ce qui, au passage, serait un argument en or pour la propagande russe…
Cette décision politique est-elle susceptible de créer un précédent dangereux ?
C’est la porte ouverte à l’arbitraire. La Russie n’aurait pas fait mieux ! Nous vivons dans le pays de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, profondément libérale dans le sens noble du terme, et celle-ci n’interdit pas d’avoir des idées pourries. Elle dispose qu’on ne fait pas taire quelqu’un avec des arguments d’autorité. On s’inscrit dans le temps long, on prend en compte le contexte. C’est ça l’État de droit. La seule fois où le CSA a pu obtenir une décision de blocage, contre la chaîne libanaise Al-Manar en 2004, il a fallu des faits précis. Ici, on met le doigt dans un engrenage incertain, en renonçant à des valeurs séculaires pour répondre à une urgence. Demain, à qui le tour ?