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A Kharkiv, la statue de Lénine survivra à la révolution
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Serhiy Jadan a renoncé à la manière forte. Enlever à la hussarde la statue de Lénine de Kharkiv n'était pas une bonne idée, reconnaît-il. Trop d'émoi. « Ici, l'histoire et les symboles soviétiques sont importants. » Le poète et écrivain, auteur de La Route du Donbass (Noir sur blanc, 2013), figure locale du « Maïdan », la révolution populaire en Ukraine, avait projeté, avec sescompagnons, de déboulonner Lénine, comme on le fit à Kiev et ailleurs.
Nous étions le samedi 22 février, l'exaltation était à son comble dans le pays. Viktor Ianoukovitch était déchu, Ioula Timochenko, figure de la « révolutionorange » de 2004, libérée. A Kharkiv, le gouverneur Mikhaïlo Dobkine et le maire Guennadi Kernes étaient en fuite. La ville de l'Est, jusqu'ici passive, devait vivre« son » Maïdan. Enlever Lénine aurait été un symbole fort. Restait à convaincre les habitants.
Las. On ne balaie pas ainsi soixante-dix ans d'histoire russe. L'initiative du poète révolutionnaire a ulcéré les citoyens, massés dès le lendemain midi, sur la place de la Liberté, pour « protéger » des vandales la sculpture du père de la révolution d'Octobre. On avait déjà osé le taguer, c'en était assez.
« TAS DE CAILLOUX »
« Serhiy est idiot ! », pense son ami Zurab Alasania, journaliste pro-Maïdan. Lénine ne vaut guère plus qu'« un tas de cailloux » à ses yeux. Pourtant, Zurab Alasania ne veut pas non plus qu'il disparaisse de Kharkiv. Ce serait une provocation.« C'est un objet personnel », dit-il, elliptique.
A Kharkiv, Lénine est plus qu'un monument. « C'est un complexe architectural », assure Vasyl Koma, responsable adjoint de la sécurité du bâtiment de la région, envahi par les manifestants depuis samedi. Erigé en plein centre-ville, Lénine est un monstre de plusieurs tonnes. On ne le « déboulonne » pas comme ça. « Il faut une base légale », explique M. Koma.
Serhiy Jadan et ses amis y ont pensé. On a même appelé un architecte pourétudier la faisabilité. Lundi, tout était presque prêt pour un démontage « en douceur ». Trois jours auraient suffi. Mais Kharkiv risquait d'imploser rien qu'à cette idée. « Ici, tout le monde n'est pas d'accord. On doit respecter les points de vue. Kharkiv et la région sont très proches de la Russie, il y a cette influence »,insiste M. Koma, membre du Parti des régions. Après tout, Lénine peut bien figurerdans la ville comme un héritage du passé, qu'il soit, ou non, controversé. « Si c'était moi, je ferais un référendum », ajoute-t-il.
Faudra-t-il voter pour ôter le Lénine de Kharkiv ? Le retour en fanfare du maire de la ville, Guennadi Kernes, arrivé dimanche pour galvaniser les anti-Maïdan et leurpromettre la paix, rend hypothétique une telle option. Le scrutin devrait se faire au conseil municipal et M. Kernes en verrouille la majorité. Il faudra donc patienter.
Sergueï Velmenko, un sexagénaire révolutionnaire, s'est fait une raison. « Lénine, c'est le sang, le malheur, mais on ne va pas le casser. Les gens seraient trop bouleversés. » Mais peut-être pourrait-on l'entreposer dans un coin plus discret, suggère-t-il.
« Lénine, ce n'est plus la question principale, souffle, résigné, Serhiy Jadan.Lénine est un symbole. On ne se bat pas contre Lénine mais contre la corruption », dit-il avant de maudire les anti-Maïdan. « Ils ont peur de perdre leur passé. Nous, nous avons peur de perdre notre futur. »