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    Langues anciennes: on a créé un monstre

    Lien publiée le 19 mai 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.marianne.net/luttedesclasses/langues-anciennes-on-cree-monstre-100233544.html

    Est-ce vraiment étonnant ? La plupart des médias, n’ayant pas bien compris le sort très compliqué des langues anciennes dans la réforme du collège 2016, ont pensé que la ministre faisait enfin une concession[1] importante à leur sujet le 13 mai 2015 en annonçant la saisine du Conseil supérieur des programmes. François Bayrou a pu, un peu hâtivement, parler de « victoire ». Najat Vallaud-Belkacem, visiblement mal informée, a même pu affirmer que les langues anciennes n’avaient pas de programmes jusqu’ici : une chance pour les langues anciennes, en somme !

    En réalité, une première annonce de programme avait déjà été faite par le ministère il y a un mois et demi aux représentants des associations de langues anciennes[2]. Mais ce réchauffé a un goût amer : quand on lit attentivement la récente  lettre de saisine, il n’y est pas explicitement demandé que les langues anciennes demeurent des disciplines à part entière : pour la partie s'adressant à tous les élèves, il est simplement demandé de prendre « suffisamment en compte les langues et cultures de l'Antiquité » (sic).

    Un monstre pédagogique

    Et de fait cette saisine reste très évasive au sujet de tous les problèmes que posent les nouvelles conditions d’enseignement imposées par cette réforme précipitée : comment bâtir un quelconque programme pour un « enseignement » quand celui-ci se trouve désormais cloisonné, au mépris de toute considération pédagogique, en deux parties sans rapport l’une avec l’autre :

    - les EPI (« enseignement pratiques interdisciplinaires ») pour tous, pris sur le tronc commun d’une part : par définition sans programme puisque ayant vocation à traiter « autrement » le programme des disciplines du tronc commun, sans horaire fixe, sans public fixe (ils peuvent être choisis – ou plus sûrement imposés – aux élèves pendant une année à n’importe quel niveau de la 5e à la 3e). Rien ne garantit d’ailleurs que l’EPI LCA (langues et cultures de l'antiquité), d’une heure pendant un an, sera proposé dans tous les établissements.

    - les options d'autre part (devenues « enseignement de complément » (sic) car les options sont «élitistes »), subordonnées aux EPI, inscrites dans un cursus de trois ans, dont ni l’horaire amputé ni l’existence ne sont garantis. Il sera ainsi aussi légal d’enseigner le latin une heure ou une demi-heure par semaine en 5e (contre 2h actuellement) que de ne pas le proposer.

    Bref un monstre à deux têtes, dont la viabilité à court terme est plus que douteuse.

    Une "démocratisation" de pacotille

    Rappelons surtout que, dans un EPI LCA, il sera de toute façon impossible d’enseigner ni le latin, ni le grec ancien ni même l’histoire antique[3]. On se demande bien ce qui sera enseigné dans cette chose au sigle aussi vide que nébuleux. Rien ne garantit d’ailleurs que ces deux parties soient enseignées par le même professeur.

    Le ministère, qui prétend « démocratiser l'accès aux langues et aux civilisations anciennes pour tous les élèves » (sic), évoque prudemment l’idée d’« initiation ».

    Il prétendrait aussi bien « démocratiser » l’apprentissage du tennis en offrant des raquettes en plastique et des balles en mousse.

    Qui veut tuer les langues anciennes ?

    Mais il y a une autre leçon à tirer de l’annonce de saisine ministérielle : elle est l’aveu candide qu’aucun programme n’était prévu pour les langues anciennes dans la réforme. Rappelons que, le 11 mars, les options étaient purement supprimées. Le ministère, qui s’offusque aujourd’hui qu’on parle de « disparition» ou de « suppression » de l’enseignement des langues anciennes, en avait pourtant bien l’intention. Et les nouvelles conditions d’enseignement dégradées qu’il a concédées depuis ne procèdent pas d’une autre intention.

    Pour sauver les apparences, Michel Lussault, l’actuel président du Conseil supérieur des programmesassure que son institution n’avait pas vocation à proposer des programmes pour les options facultatives. Or, non seulement une telle distinction n’a jamais été faite par le passé dans la conception des programmes mais, vérification faite, la lettre de mission du CSP[4] n’exclut en rien les options facultatives. De fait, si le Conseil supérieur des programmes n’avait pas vocation à rédiger les programmes de langues anciennes, qui pouvait bien l’avoir ? On observe, avec la récente saisine ministérielle, que cette vocation lui est revenue depuis…

    Le mobile du crime est connu : la suppression (totale ou désormais partielle) des options de langues anciennes permet d’économiser des milliers de postes de lettres classiques (français, latin, grec ancien) en créant de fait des milliers de postes de lettres modernes (français), deux disciplines subissant depuis des années une grave pénurie de recrutement. De ce point de vue la suppression des langues anciennes n'est pas anecdotique, mais symbolique : la réforme du collège 2016 n’a pas un but pédagogique mais économique.

    Une question simple reste donc sans réponse : qui a précisé au président du Conseil supérieur des programmes que le latin ou le grec ancien n’en faisaient plus partie ?

    La réponse permettra de connaître l’auteur du crime.

    Loys Bonod


    [1] « Le Figaro » du 13 mai 2015 : « Réforme du collège : Najat Vallaud-Belkacem tente l'apaisement » ; « Paris Normandie » du 13 mai 2015 « "Paris Normandie » du 13 mai 2015 : « Réforme du collège le gouvernement tente de déminer la contestation » ; « Le Monde » du 14 mai « Réforme du collège : opération déminage » ; « La Voix du Nord » du 15 mai 2015 : « Réforme du collège : à Lille, Najat Vallaud-Belkacem s’est employée à éteindre l’incendie » etc.

    [2] « Dans les enseignements complémentaires, un programme sera précisé pour la langue » ont ainsi affirmé les représentants du ministère aux associations le 31 mars 2015.

    [3] Les trois heures hebdomadaires d'EPI sont retranchées sur le tronc commun : elles servent par exemple à enseigner autrement le français, les mathématiques etc. Pour y enseigner une heure de latin, il faudra donc retrancher une heure de français aux élèves. S’agissant de l’histoire, l’antiquité n’est plus abordée à partir de la 5e : aucun professeur n’acceptera de surcharger son programme en participant à un EPI LCA sur des aspects de l’antiquité déjà traités en 6e .

    [4] La « Lettre de mission du Président » adressée par Vincent Peillon au président du CSP en décembre 2013 ne fait aucune mention des options facultatives.

    « À ma demande ou à son initiative, ce conseil, dont j’ai souhaité vous confier la présidence, aura à émettre des avis et à formuler des propositions sur la conception et le contenu des enseignements dispensés aux élèves des écoles, des collèges et des lycées »