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Que sont les "nonistes" devenus
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Dix ans après, le clivage entre le non et le oui structure encore le paysage politique français
Ils ont voté… et puis après ? Le 29 mai 2005, il y a dix ans jour pour jour, plus de 15 millions de citoyens français rejetaient par référendum le projet de traité constitutionnel européen. En votant non à 54,67 %, ils provoquaient un séisme d'ampleur dans la vie politique du pays et ouvraient une crise majeure au sein de l'Union européenne (UE).
Cet épisode a marqué une borne décisive dans l'histoire politique et sociale française. Ce non de 2005 constitue en effet la première manifestation nette d'une fracture entre les " élites " – politiques, économiques, médiatiques – et le peuple, déjà en germe dans les résultats du 21 avril 2002. D'un côté, les classes sociales supérieures et les retraités, largement favorables au oui ; de l'autre, les classes populaires et moyennes, majoritairement opposées au traité européen. Une nation coupée en deux, où la France du non et celle du chômage et de la relégation géographique se recouvrent parfaitement, les salariés les plus vulnérables ayant voté contre à près de 70 % (79 % pour les ouvriers et 67 % pour les employés).
Enjeux nationaux
Mais le fait sociologique majeur du 29 mai 2005 est le basculement des classes moyennes, à 62 % contre, alors qu'elles n'étaient que 53 % en 1992, lors du précédent référendum européen sur le traité de Maastricht. " 2005 est le moment où se matérialise le déplacement électoral vers le vote de protestation des classes moyennes, inquiètes de la crise économique qui s'installe et du risque de déclassement social qui en découle. Un basculement qui s'est confirmé peu ou prou de scrutin en scrutin depuis dix ans ", explique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique à l'IFOP.
Dans une note publiée, jeudi 28 mai, par la Fondation Jean Jaurès, proche du PS, Yves Bertoncini, directeur de l'Institut Jacques Delors, rappelle que le vote " noniste " de 2005 a été en réalité davantage nourri par des considérations d'ordre strictement national que par un rejet direct de l'Europe. Parmi les électeurs du non, 52 % ont en effet fait leur choix sur la base d'enjeux nationaux, notamment la position prise à l'époque par le président de la République, Jacques Chirac, et seulement 42 % en fonction d'enjeux européens. A l'inverse, les électeurs du oui ont été seulement 15 % à se déterminer d'après des questions nationales et 81 % d'après des questions européennes.
Dix ans plus tard, qu'est devenue cette force électorale du non ? Aucune formation politique n'est parvenue à la capter entièrement. En 2005, ses représentants formaient un agrégat de partis disparates et antagonistes : l'extrême droite du Front national, la frange souverainiste de l'UMP, le Parti communiste, les formations trotskistes de la LCR et de LO, et une partie du PS et des écologistes. Difficile, voire impossible, de créer à partir d'un paysage si éclaté une force politique cohérente.
Le FN est sans conteste le parti qui a su le mieux tirer un bénéfice électoral de la situation de 2005. En dix ans, la formation lepéniste, menée par Jean-Marie Le Pen puis par sa fille, est passée d'une base électorale de 15 % à 18 % en 2002-2004 à près du double aujourd'hui, arrivant en tête des élections européennes de mai 2014, avec 25 % des suffrages. " En 1992, le référendum sur Maastricht était centré sur la question de la souveraineté. Celui de 2005 a été dominé par les thématiques économiques et sociales. Aujourd'hui, c'est le FN qui fait le mieux la synthèse de ces deux dimensions ", estime son numéro deux, Florian Philippot.
L'actuel vice-président du FN symbolise bien ce basculement d'une partie de la France du non de 2005 vers l'extrême droite. A l'époque étudiant de 23 ans à HEC puis bientôt à l'ENA, M. Philippot n'appartenait alors à aucun parti politique et faisait campagne pour le non sur Internet en se revendiquant du chevènementisme. Il assistait aussi bien à des meetings nonistes où les socialistes Jean-Luc Mélenchon et Henri Emmanuelli tenaient le micro qu'il collait des affiches dans la rue pour le compte de Nicolas Dupont-Aignan, qui émargeait encore à l'UMP.
A gauche, la gueule de bois
De l'autre côté de l'échiquier politique, la gueule de bois, dix ans plus tard, est sévère. Les nonistes du PS ou du PRG en 2005 – Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve ou Christiane Taubira en tête – sont au gouvernement et parlent le moins possible d'Europe, de peur de réveiller des divisions qui, à l'époque, étaient bien plus profondes que les querelles actuelles entre les " frondeurs " et l'exécutif. Quant à la gauche du PS, si tous se rappellent " une formidable aventure démocratique ", ils sont obligés de constater " l'énorme gâchis " qui s'en est suivi.
Bien avant Syriza ou Podemos, la gauche radicale avait pourtant réussi à réunir, le temps d'une campagne, responsables politiques, associatifs, syndicalistes ou simples citoyens qui croyaient qu'une autre Europe était possible. Mais le miracle a fait long feu. " On n'a pas été capable, et j'assume ma part de responsabilité, de fédérer ces forces de gauche. On avait pourtant la matière pour créer une nouvelle dynamique ", déplore la communiste Marie-George Buffet. Il y a bien eu, entre-temps, la création du Nouveau Parti anticapitaliste, celle d'Europe Ecologie-Les Verts ou encore le Front de gauche, mais " les forces politiques se sont toutes recroquevillées sur leurs propres ambitions et leur fonctionnement ", regrette l'écologiste José Bové.
Si la gauche comme, à droite, l'UMP parviennent encore à -conserver l'essentiel de leur base électorale de 2005, elles n'ont pas empêché une partie de leurs électeurs d'aller nourrir l'abstention ou le vote pour le FN. Dix ans plus tard, l'antagonisme ne cesse même de se renforcer entre la France " périphérique " du non, celle des territoires périurbains et ruraux, qui s'estime " perdante " dans la mondialisation libérale et la construction européenne, et la France privilégiée du oui, celle des centres-villes, qui regarde positivement l'avenir.
Cette fracture, qui devrait encore se mesurer lors des élections régionales de décembre et de la présidentielle de mai 2017, est plus que jamais un enjeu pour les partis de gouvernement. Une note publiée par l'IFOP en janvier, après les attentats terroristes, a d'ailleurs relevé une corrélation entre les territoires qui avaient peu manifesté le 11 janvier et la France du non de 2005. " Les villes et les régions qui avaient le plus massivement voté contre le traité constitutionnel européen sont, en moyenne, celles dont les citoyens sont le moins descendus dans la rue le 11 janvier. Après s'être fortement exprimés “contre” en 2005, la nécessité de se mobiliser “pour” leur est apparue moins évidente ", pointe l'étude.
Raphaëlle Besse Desmoulières, Bastien Bonnefous, et Olivier Faye