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Maroc : Quelques éléments de la situation politique

Maroc

Lien publiée le 23 mai 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.anti-k.org/2017/05/22/maroc-quelques-elements-de-situation-politique/

Le Maroc est de plus en plus assujetti aux politiques impérialistes de l’Union européenne et des États-Unis et leurs institutions mondiales telles que la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il s’est engagé dans une restructuration globale de son économie au profit des multinationales et du grand capital local dominé par le holding royal.

 Tétouan – Maroc – 2011 (CC – Flickr – Yassine Abbadi)

Mainmise du capital étranger et de la monarchie sur l’économie

L’Union européenne représente le principal partenaire commercial du Maroc. Il est en crise de croissance aiguë. Ses entreprises délocalisent de plus en plus des segments de leur production. L’implantation des entreprises européennes au Maroc (plus particulièrement celles de France et d’Espagne) s’élargit et couvre tous les domaines d’activité : l’agroalimentaire, l’automobile, l’aéronautique, les banques, les assurances, l’industrie pharmaceutique, les télécommunications, les équipements électriques et électroniques, etc. L’accueil de la COP22 à Marrakech a été une occasion pour attirer d’avantage les investissements dans les domaines de l’environnement et de l’énergie. Les entreprises américaines essayent de rattraper leur retard par rapport à celles de l’UE. Elles sont aussi concurrencées par les entreprises chinoises qui étendent leurs domaines d’intervention dans le pays.

L’un des principaux attraits du Maroc est une force de travail peu chère et flexible. Mais il a également entrepris des investissements publics importants pour développer son réseau routier, ses chemins de fer, ses aéroports et ses ports.

La signature d’une série d’accords de libre-échange (avec plus de 55 pays) renforce davantage la pénétration des capitaux et marchandises étrangers. Le Maroc est le seul pays africain avec lequel les États-Unis sont liés par un accord de libre-échange. L’UE négocie avec le Maroc un nouvel accord de libre-échange (ALECA) qui complète et approfondit l’accord déjà existant afin d’intégrer d’autres domaines plus rentables, homogénéiser la réglementation marocaine avec les normes européennes, et assurer la protection juridique des investisseurs.

Les investissements étrangers obéissent à cette vieille stratégie du grand capital de déplacer des créneaux de la production vers des pays à moindre coût. C’est le cas des usines d’assemblage de grands constructeurs automobiles et de l’aéronautique qui s’installent dans des zones franches à Tanger ou Casablanca. Ils n’apportent pas de forte valeur ajoutée à l’exportation et ne permettent pas un transfert de technologie. Ce sont plutôt des investissements de portefeuilles et de sous-traitance liés à la privatisation des entreprises et des services publics et aux cessions dans le cadre des stratégies sectorielles publiques. En revanche, le processus de production du pays est très dépendant des intrants industriels et technologiques importés qui constituent près de la moitié de ses consommations intermédiaires. Le Maroc est de plus en plus contraint par les pays industrialisés dans le cadre de la division internationale du travail, d’une part, à continuer à exporter des produits primaires (phosphates, produits de la mer, tomates et agrumes) et des produits manufacturés à faible valeur ajoutée et, d’autre part, à importer des produits industriels à haute valeur ajoutée, des technologies de pointe et des produits alimentaires. Sa dépendance structurelle s’accentue. Son déficit commercial aussi. Les rapatriements des bénéfices sur les investissements étrangers et la fuite des capitaux augmentent inexorablement. La dette publique externe et interne est toujours en courbe ascendante.

Le holding royal domine plusieurs secteurs de l’économie marocaine dont notamment l’immobilier, la construction, la banque (Attijari Wafa Bank est le premier groupe bancaire et financier du Maghreb et de l’Afrique), les télécoms, l’énergie, l’industrie, la grande distribution, l’extraction minière, l’agriculture, les journaux, la radio, le tourisme, etc. Les affaires du roi s’entrelacent avec celles des multinationales et les puissances occidentales médiatisent la stabilité du régime comme exception dans la région arabe et en Afrique, pour graisser la machine du business.

Sur le plan international, la monarchie continue son rôle d’allié politique de l’impérialisme, offre ses services à l’OTAN et aux États-Unis dans la « la lutte contre le terrorisme », et collabore avec les États du Golfe pour mater les luttes des peuples de la région. La question du Sahara est un élément essentiel dans la politique étrangère du pays. La monarchie mène une offensive diplomatique intense qui va de pair avec les efforts de consolidation de sa position économique et politique au niveau de l’Afrique. La Maroc essaye de jouer le rôle de plateforme de l’impérialisme pour les différentes régions de l’Afrique en termes de commerce, d’investissements et de conquête des ressources des pays africains.

La monarchie nourrit un système de népotisme et de corruption au profit d’une minorité de familles qui profitent de leur mainmise sur les rouages de l’État pour augmenter leurs fortunes. Elles essayent de saisir le contexte de transformations néolibérales pour élargir leur situation de monopole. Les autres couches de la bourgeoisie subissent ce favoritisme, au profit du clan royal et de ses acolytes, qui les accable. Elles réclament la transparence dans les marchés des affaires, des allégements fiscaux et des facilités financières. Mais au niveau politique, leurs initiatives sont très faibles et restent attachées historiquement à la monarchie comme garante de la stabilité politique pour assurer leurs parts de profits devant la menace d’une explosion sociale violente. La colère de certaines couches de la petite bourgeoisie qui prolifèrent surtout dans le secteur informel trouve par contre ses expressions dans l’intégrisme islamiste avec des variantes qui s’opposent radicalement à la monarchie.


Légitimité de la monarchie renforcée

La mort de Hassan II a permis à la monarchie d’acquérir un nouveau souffle, en jetant la culpabilité de la répression noire sur sa personne et en cédant intelligemment sur un certain nombre de problématiques importantes : code de la famille, le passé de la répression, la question amazighe, etc. Elle a réussi à coopter les principales organisations de femmes et amazigh actives sur ces questions. Cette « transition » est facilitée par le consensus des partis politiques de l’opposition bourgeoise historique et des bureaucraties syndicales. Le nouveau Roi essaye d’initier directement des programmes sociaux comme l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) soi-disant destinés à améliorer les conditions de vie de la population à travers le développement des infrastructures sociales et l’incitation à la création de petits projets générateurs de revenus au profit des jeunes et des femmes en particulier. Ou encore l’initiative royale « un million de cartables » pour impulser la scolarisation des enfants issus de familles pauvres, le soutien royal alimentaire pour les plus démunis pendant le mois de Ramadan, etc. Les médias et les partis d’opposition institutionnels prodiguent les éloges à ces différentes initiatives royales. Le tissu associatif s’attèle en majorité pour devenir un partenaire et sert de courroie pour la cooptation des élites locales.

Le contexte actuel dans la plupart des pays de la région arabe, l’appui des puissances impérialistes et le recul du mouvement du 20 février (M20) permettent à la monarchie de consolider sa légitimité. Les élections législatives du 7 octobre 2016 attestent la stabilité des institutions représentatives octroyées par la monarchie aux forces politiques qui acceptent la participation à son jeu démocratique. Elles ont été remportées par les islamistes du Parti de justice et développement (PJD) qui ont obtenu 32 % des sièges. Les partis du palais ont totalisé un score de 47 %, avec à leur tête le Parti Authenticité et modernité (PAM), initié en 2008 par le plus proche ami et conseiller officiel du roi (Fouad Ali El Himma), qui a remporté à lui seul 26 %. Le taux d’abstention était certes élevé (seulement 43 % de participation) et s’il reflète le mépris large des citoyens à ce jeu, il manque de débouchés politiques concrets. Le PJD est un canal politique pour maîtriser une frange de la mouvance islamiste et l’intégrer au mécanisme politique de la monarchie en tant qu’autorité religieuse suprême (Roi commandeur des croyants). Au gouvernement depuis près de 5 ans, le PJD a été l’instrument pour faire passer des mesures violentes dictées par les centres de décisions impérialistes. La monarchie va le dresser davantage pour assumer ce rôle pour un nouveau mandat. Le contexte de la crise mondiale du capitalisme et la nature extravertie de l’économie marocaine nécessitent d’aller plus loin dans l’application des politiques néolibérales. Ces dernières consistent à réduire le coût du travail et augmenter les incitations et les dérogations fiscales au profit des entreprises.

Le code du travail obéit aux règles de la flexibilité, et un projet de loi qui annulera de fait le droit de grève est en cours de validation.

Le remboursement de la dette publique nécessite plus d’austérité : démantèlement de la caisse de compensation, des systèmes de retraite, généralisation du CDD dans la fonction publique et privatisation des services publics (santé, enseignement, distribution de l’eau et de l’électricité, transport urbain, etc.). Toutes ces mesures débouchent sur un élargissement de la pauvreté, du chômage et la précarisation des conditions de vie de la majorité de la population.

L’offensive est aussi menée sur le terrain des libertés publiques (droit d’association, droit d’expression, de manifestation, de sit-in, etc.) avec une répression de plus en plus forte de toute forme de protestation.

Mais les contestations sociales continuent. Elles restent éparpillées et ne s’insèrent pas dans une dynamique d’unité et de solidarité. Les organisations de lutte sont faibles et n’offrent pas d’horizons crédibles à ces luttes.


La crise du mouvement syndical et la gauche radicale

La classe ouvrière marocaine souffre d’un faible taux de syndicalisation. Dans le secteur privé, les secteurs de production sont dominés par les petites et moyennes entreprises qui sont en crise et farouchement opposées au syndicalisme. C’est le même esprit qui règne aussi dans les grands groupes privés, qui s’installent de plus en plus dans des zones franches, aidés par les bureaucraties syndicales et les autorités qui sont là pour défendre une paix sociale propice aux investissements.

Quant au secteur public, qui était historiquement le bastion du syndicalisme marocain, le travail syndical est de plus en plus menacé par les violentes réformes de la fonction publique dont le CDD, les retraites, les redéploiements, les départs volontaires à la retraite, etc. D’une manière générale, les séries d’attaques contre les droits et les acquis de la classe ouvrière qui se poursuivent depuis le programme d’ajustement structurel du début des années 1980 a profondément ébranlé la crédibilité des syndicats.

Le mouvement syndical est très divisé (on compte plus d’une vingtaine de syndicats). Les bureaucraties syndicales ont laissé passer les principales mesures dictées par les institutions financières et commerciales internationales et ont renforcé leur attachement à la monarchie. Elles se sont toutes opposées au large mouvement de révoltes et de luttes populaires qui avait éclaté en 2011 autour du M20. Elles ont plébiscité la nouvelle Constitution octroyée par la monarchie en juillet 2011, qui était une concession en trompe-l’œil et où le Roi continue à s’approprier toutes les prérogatives en tant que monarque absolu de droit divin.

Elles conjuguent leurs efforts pour neutraliser toute tendance syndicale combative qui pourrait développer les résistances dans une situation sociale explosive. En effet, les grandes mobilisations du M20 avaient poussé une large partie de la base syndicale à chercher d’autres espaces d’expression et d’initiative alternatifs à l’étouffement bureaucratique qui règne dans les organisations syndicales existantes. Des courants démocratiques syndicaux ont vu le jour. Le plus significatif est une scission dans l’Union marocaine du travail (UMT) à partir du printemps de 2012. Elle a touché trois fédérations – celles de l’agriculture, de l’enseignement, des collectivités locales – et a créé une coordination nationale du Courant démocratique avec l’Union syndicale des fonctionnaires. Ce courant critique le manque de démocratie dans l’UMT, la capitulation de la direction de l’UMT, et appelle à des mobilisations larges comme seul moyen de défendre les acquis. Il a réussi à organiser deux marches en février 2013 et février 2014 et a participé à différentes mobilisations sociales. Le Courant démocratique s’élargit et incarne l’espoir pour un syndicalisme combatif.

Deux grandes orientations dominaient alors les discussions en son sein :

- L’une voulait approfondir cette nécessité objective de plusieurs secteurs syndicaux pour une alternative syndicale combative, construire le courant démocratique comme un rassemblement des syndicalistes démocratiques de tous les syndicats, et ne pas hésiter à aller vers une rupture organisationnelle avec l’UMT. C’était la position de notre courant Al Mounadil-a (marxiste révolutionnaire) soutenu indirectement par quelques militants d’autres petits courants de gauche radicale.

- L’autre vision, défendue par la Voie démocratique (VD), principale composante de la gauche radicale, consistait à ne pas couper avec l’UMT et essayer de négocier avec la bureaucratie les conditions d’un retour honorable au syndicat. La VD usait de sa situation majoritaire dans les instances du courant démocratique pour imposer sa ligne en ayant recours également à des méthodes non démocratiques. À partir du début de 2015, le courant démocratique a mené des tractations avec le secrétariat général de l’UMT à travers les fédérations de l’agriculture et des collectivités locales qui n’ont pas quitté en fait le syndicat. Quant à la fédération de l’Enseignement, qui s’est constituée en syndicat indépendant, elle restera à l’écart avec une majorité qui refusait toute idée de négociation avec la bureaucratie de l’UMT ou de retour à ce syndicat. En étouffant les discussions au sein des instances du Courant démocratique, la VD a sapé les bases d’un contrepoids face à la bureaucratie qui exigeait la liquidation pure et simple de ce courant, l’alignement sur les positions officielles de la direction syndicale et le respect du fonctionnement organisationnel existant. Le 11e congrès national de l’UMT en mars 2015 a renforcé la bureaucratie et affaiblit le Courant démocratique. Le Courant démocratique est englouti par la bureaucratie. La fédération de l’enseignement fait cavalier seul. Son dernier congrès en avril 2016 reflétait cette situation d’impasse et les pressions des militants de la VD pour retourner à l’UMT. Ce syndicat connaît actuellement une très grande érosion et des vagues de démissions dans ses sections combatives.

Le Courant démocratique au sein de l’UMT est pratiquement liquidé. Il s’en est suivi une large déception dans l’avant-garde syndicale au sens large. Les expériences de courants démocratiques surtout dans le deuxième grand syndicat, la Confédération démocratique du travail CDT, sont mort-nées. Ce syndicat connaît aussi un état de délabrement très inquiétant. Sa direction a complètement capitulé.

Notre courant Al-Mounadil-a a essayé de lutter contre cette abdication de la VD dans les réunions du Courant démocratique. Il a adressé des lettres ouvertes expliquant notre point de vue. Nous y insistions sur la nécessité de continuer le combat pour construire un pôle syndical démocratique et combatif qui constituerait un outil concret de lutte. Nous y invoquions les grandes lignes d’un programme d’action qui réponde aux aspirations de la classe ouvrière pour se mobiliser contre l’offensive de classe et contre la politique de compromis et de paix sociale de la bureaucratie syndicale. Nous considérions que le contexte du M20 a créé des possibilités réelles pour initier des courants démocratiques qui perceraient toutes les organisations syndicales pour construire une unité syndicale de lutte. Mais nous n’avons pas assez de force pour avancer des initiatives concrètes malgré notre implantation dans quelques sections régionales et même dans un syndicat national de marins pêcheurs.

Les perspectives d’un courant syndical de lutte aujourd’hui sont très sombres. Plusieurs luttes se développent hors des syndicats qui les ignorent : la coordination nationale contre la réforme des retraites, les luttes des enseignants stagiaires contre la séparation de la formation et de l’embauche, la lutte du programme de 10 000 cadres pour leur embauche, les différentes catégories des étudiants (médecins, infirmiers, ingénieurs, etc.) et des diplômés chômeurs, etc. Les défis résident dans la réunification de ces résistances pour construire un rapport de forces à la hauteur de l’offensive bourgeoise.

La gauche radicale a bien raté une opportunité politique pour construire une alternative syndicale crédible. Il faudra du temps pour se ressaisir. Nous continuerons nos efforts pour intervenir dans la dynamique des luttes actuelles et initier des coordinations concrètes sur le terrain du combat de classe.


La lutte altermondialiste

Les partis d’opposition institutionnels et les bureaucraties syndicales justifient la mondialisationcapitaliste, acceptent les diktats des institutions financières internationales et des gouvernements des pays impérialistes. Ils adoptent le programme néolibéral. Les associations affiliées au régime ont réussi leur mainmise sur beaucoup d’initiatives telles que le forum social marocain, migration, femmes, justice climatique, etc.

La Voie démocratique se considère comme anti-impérialiste et contre la mondialisation libérale. Mais ses actions laissent à désirer. Elle ne donne pas assez d’importance aux campagnes contre les accords de libre-échange, à la problématique de la dette surtout après la capitulation du parti Syriza en Grèce avec lequel la VD essayait de nouer des alliances. La VD n’a pas réussi à maintenir en vie sa propre association qu’elle a créée après avoir échoué à imposer son contrôle sur Attac Maroc pendant les premières années de son existence (2000-2005). La lutte altermondialiste au Maroc reste pratiquement l’apanage du courant Al Mounadil-a à travers l’association ATTAC-CADTM-Maroc, qui continue ses propres initiatives contre les politiques des institutions internationales et pour l’annulation de la dette, et s’intègre dans les différentes mobilisations mondiales contre la mondialisation capitaliste avec un esprit internationaliste.


Le danger des forces intégristes

Les organisations islamistes intégristes continuent à polariser l’essentiel de la jeunesse radicalisée ainsi que de larges secteurs populaires démunis, surtout dans les banlieues des grandes villes et les petits centres urbains. L’Organisation Justice et bienfaisance (Al Adl Wa Ilhssane), non reconnue légalement, constitue la principale organisation religieuse politique et jouit d’une grande force organisationnelle. Son opposition radicale à la monarchie lui permet d’être la plus apte à bénéficier potentiellement de toute explosion sociale au Maroc. Al Adl a quitté le M20 à un moment crucial. Elle essaye actuellement de regagner sa crédibilité par son engagement dans quelques mobilisations sociales (diplômés chômeurs, coordinations des enseignants stagiaires, etc.) et même dans certains syndicats. Si leur approche islamiste leur facilite le contact avec les bases, leur pratique plutôt conciliante limite leur audience dans les luttes.

Les formes diversifiées de luttes ouvrières et populaires initiées par le M20 continuent et montrent bien les possibilités réelles d’une reprise d’initiative par la gauche radicale. Mais la plus importante composante de cette gauche – la VD – est en train de consolider son alliance avec Al Adl.

En effet, la VD considère que le contexte mondial marqué par la recrudescence des guerres d’intervention impérialistes fait que les oppositions islamistes se retrouvent objectivement en opposition à l’impérialisme dans plusieurs pays. Le rôle de la gauche radicale est d’aider à la transformation de ces oppositions qui refusent la mondialisation pour des raisons religieuses en courants qui s’opposent à la mondialisation capitaliste et impérialiste qui menace notre identité. L’islam politique est devenu une force dominante et attire fortement des milieux populaires. L’alliance de la gauche avec ces courants indépendants de l’impérialisme et de la monarchie, et qui n’emploient pas la violence, pourrait approfondir leurs contradictions et faire évoluer des parties vers des positions de lutte populaire. La transition démocratique en Tunisie est bien le fruit de cette alliance de la gauche et des islamistes. La Voie démocratique est passée à la vitesse supérieure dans son alliance avec Al Adl avec la participation de ses dirigeants dans les activités internes d’Al Adl et l’organisation de débats publics et dialogues communs.

Notre courant Al Mounadil-a considère cette alliance dangereuse, puisqu’elle mélange les drapeaux et occulte le fait que les intégristes sont bien des ennemis de classe. On pourrait se retrouver ensemble avec eux dans les luttes, mais l’enjeu est de développer une critique de leur projet et disputer leur hégémonie par un programme de revendications transitoires claires. C’est un débat qui intéresse tous les courants de la gauche radicale dans notre région et ailleurs et qui nécessite qu’on lui accorde une attention particulière.


Une opposition bourgeoise très médiocre et sous la houlette de la monarchie

L’opposition bourgeoise historique – le Parti de l’Istiklal (PI) et le Parti de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) – est entièrement alliée à la monarchie. Elle est intégrée dans les institutions et le gouvernement aux ordres. Elle est complètement discréditée. La faillite de l’USFP comme grand parti d’opposition social-démocrate et sa mutation totale sociale-libérale a laissé l’espace pour l’apparition de partis qui veulent jouer son rôle de jadis. Il s’agit du Parti socialiste unifié (PSU) et du Parti de l’avant-garde démocratique (PADS), qui ont constitué une alliance électorale appelée Fédération de la gauche démocratique (FGD). La FGD a obtenu deux députés lors des dernières élections législatives d’octobre 2016. Mais leur ligne politique est très libérale et leur influence politique est limitée.

L’éclatement de la Confédération démocratique du travail et sa capitulation totale sont une des pires conséquences de l’intégration de l’USFP.


Les protestations sociales continuent

Fin 2015 et début 2016 on a assisté à une montée des protestations sociales gagnant toutes les catégories sociales : les diplômés chômeurs, les étudiants, les ruraux, les juges, les femmes, la jeunesse des villes, le mouvement amazigh, le mouvement des droits humains, les prisonniers politiques, etc. Elles prennent différentes formes : sit-in, marches, manifestations, assemblées de rue, grève de la faim, etc. Le ministre de l’Intérieur a indiqué que le Maroc connaissait 50 manifestations par jour. On peut en énumérer quelques-unes :

- Protestation contre la cherté de la vie au nord du Maroc. En octobre 2015, s’est déclenchée la « révolution des bougies » à Tanger et dans d’autres villes au nord du Maroc contre la société française Amendis, filiale du groupe Veolia, chargée, depuis le 1er janvier 2002, de la gestion déléguée des services d’assainissement et de distribution de l’eau potable et de l’électricité à Tanger et à Tétouan. Les habitants ont reçu des factures très élevées et sont sortis en masse dans les rues pendant des jours demandant le départ de la société. Le gouvernement est intervenu pour calmer les esprits sans pour autant toucher au fond du problème.

- Des étudiants en médecine protestent. En octobre également, des milliers d’étudiants en médecine manifestaient à Rabat contre un projet de loi instituant un service médical obligatoire de deux ans dans des zones rurales après la fin de leurs études, sans aucune garantie d’embauche dans la fonction publique. Après les avoir réprimés, l’État a promis de revoir le projet de loi.

- Les enseignants-stagiaires manifestaient par milliers depuis 2015 leur colère à Rabat et dans différentes villes du Maroc réclamant le retrait de deux décrets du ministère de l’Enseignement. Le premier a mis un terme à l’intégration automatique des concernés dans la fonction publique (en vigueur depuis des décennies). À la place, il a instauré un concours pour permettre l’accès à l’enseignement public. Le deuxième décret a réduit de moitié leurs bourses mensuelles, passant de 2 454 dirhams (230 €) à seulement 1 200 dirhams (112 €). En avril 2016, ils ont signé avec le gouvernement un accord qui prévoyait l’embauche de l’ensemble de la promotion. Plusieurs milliers ont encore manifesté le 29 janvier 2016 contre l’élimination de 150 de leurs camarades lors de l’épreuve d’admission.

- Des infirmiers manifestent contre le chômage. Les infirmiers chômeurs ont manifesté à leur tour en février 2016 devant le ministère de la Santé afin de demander la création de davantage de postes budgétaires et leur embauche dans les hôpitaux qui manquent cruellement d’infirmiers et médecins.

– Les luttes des différentes catégories des diplômés chômeurs. Les diplômés chômeurs ont été presque quotidiennement dans les rues pour réclamer leur droit au travail malgré la crise du mouvement estudiantin qui nourrissait leurs rangs. Depuis le début des années 1990, les luttes des diplômés chômeurs sont canalisées par l’Association nationale des diplômés chômeurs au Maroc, ANDCM, qui était très combative et avait une implantation réelle dans la majorité des villes et villages du pays. À la fin des années 1990, apparaissaient d’autres coordinations par catégories (doctorat, master, licence, etc.), chacune réclamant son droit à l’embauche. Ce mouvement divers était toujours à la marge du mouvement ouvrier, et n’entrait pas dans les priorités des directions syndicales. Il souffre de la répression, de manque de locaux, d’absence de ressources financières et de solidarité.

- Les protestations sociales pour des infrastructures de base (dispensaires, écoles, routes, etc.) et pour un minimum de vie décent s’élargissent dans différentes localités marginales du Maroc. Les habitants des grandes villes protestent aussi pour réclamer aux autorités plus de sécurité et protection contre la montée des crimes, les viols et les vols.

- Quant aux coordinations contre la cherté de la vie, qui se sont étendues dans la plupart des villes en 2008, elles ont révélé avec leur petit bilan la contradiction persistante entre le potentiel réel et objectif de lutte des masses et l’incapacité de la gauche radicale et révolutionnaire à construire des mouvements sociaux militants.

On voit bien que la soumission et l’acceptation du statut quo ne sont plus la règle, les mobilisations sociales se dressent contre les différentes offensives. Dans ce contexte général, le Mouvement du 20 Février a constitué le catalyseur qui a duré plus d’un an et qui a contraint le régime à faire des concessions majeures.

La situation objective est aujourd’hui plus propice que dans le passé pour la construction d’une alternative radicale. Les facteurs essentiels qui étaient à l’origine du processus révolutionnaire dans la région persistent : détérioration des conditions sociales, économiques et culturelles, offensive sur les libertés politiques, etc.

La capacité de la gauche radicale à peser sur les luttes reste faible. Nous faisons partie de cette faiblesse. Et malgré les difficultés, nous poursuivons nos efforts d’éclaircissement politiques pour convaincre les avant-gardes des luttes sociales par un projet de société révolutionnaire. Ce qui passera par une implication profonde dans les luttes ouvrières et populaires quotidiennes, un renforcement des organisations syndicales, et la défense d’une perspective de lutte de classe. Mais aussi par l’initiation des formes d’organisation de femmes et de jeunes dans les différents établissements d’enseignement et universités.