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Parler honnêtement du Venezuela, par Mike Gonzalez

Venezuela

Lien publiée le 18 août 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.les-crises.fr/parler-honnetement-du-venezuela-par-mike-gonzalez/

Source : Jacobin, Mike Gonzalez, 07-08-2017

Au moment où le gouvernement de plus en plus antidémocratique de Maduro combat de violentes forces d’extrême-droite, le Vénézuélien moyen voit lui échapper les gains du chavisme.

Ivan Luca Perinaj / Flickr

Le Venezuela s’enfonce davantage chaque jour dans une crise politique et économique. Le nombre de morts ne cesse de s’élever et on ne voit rien qui présage la diminution de la brutalité des batailles de rue.

Le 27 juin, des pillards se sont abattus sur la ville de Macaray, ils ont brûlé magasins, gares, bâtiments gouvernementaux et maisons en une seule nuit de dévastation. Deux jours plus tard, c’était le tour de Barquisimeto.

Les médias internationaux, presque exclusivement hostiles au processus bolivarien, se moquent de la rhétorique de Nicolas Maduro, tout en présentant comme des défenseurs de la démocratie les partis de droite, qui ont incontestablement provoqué cette vague de violence. Cette conception de la démocratie autorise, semble-t-il, des populations entières à sombrer dans la pauvreté et la maladie avec presque une centaine de personnes qu’on laisse mourir dans les rues.

Dans l’intervalle, la gauche internationale a accepté les explications données par les porte-parole du gouvernement, toujours convaincue que les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Par conséquent, quand un hélicoptère a attaqué des bâtiments gouvernementaux le 28 juin, certains observateurs se sont contentés d’ajouter l’événement à la liste des violences commises par la droite.

Cependant, la situation est évidemment beaucoup plus compliquée.

C’était un officier des services de sécurité d’État à la retraite, Oscar Perez, qui pilotait l’hélicoptère et c’est un proche de l’ancien ministre de l’Intérieur Miguel Rodriguez Torres, que Maduro a renvoyé en 2014, et qui, comme la majorité du cabinet actuel et près de la moitié des gouverneurs du Venezuela, appartient à l’armée. Il est à la tête aussi de nombre de factions chavistes avides de pouvoir.

Derrière une façade d’unité gouvernementale se déroule une autre lutte, mais aucun de ces groupes ne se bat pour continuer à mettre en œuvre le projet révolutionnaire ou pour reconstruire le mouvement de masse qui a sauvé la révolution après l’échec du coup d’État et les grèves des patrons de 2002-2003.

L’opposition est, elle aussi, divisée en factions rivales. Certaines préconisent le dialogue avec le Président tandis que d’autres, surtout celle dirigée par Leopoldo Lopez et sa femme Liliane Tintori, soutiennent, selon toute vraisemblance, les combattants de rues les plus violents. Ils cherchent non seulement à se débarrasser de Maduro mais aussi à détruire le chavisme même.

La plupart des Vénézuéliens connaissent les grandes figures de la droite : elles appartiennent, en effet, aux familles les plus riches et les plus puissantes, celles qui contrôlaient l’économie jusqu’à l’arrivée de Chavez. Depuis qu’ont été érigées les premières barricades de rue, Maduro a essayé de travailler avec des représentants de ces secteurs de la droite. En 2014, par exemple, il a fait appel à Lorenzo Mendoza, le dirigeant de la multinationale Polar et l’un des Vénézuéliens les plus riches.

Gustavo Cisneros, un autre membre de ce clan exclusif, n’a pas eu à pâtir des bientôt vingt années de chavisme. Il a récemment soutenu que le Venezuela avait besoin d’un Macri, faisant ainsi référence au président argentin connu pour son néolibéralisme militant, qui œuvre en ce moment au démantèlement du secteur public de son pays. Il y a fort à parier que Cisneros s’exprime comme quelqu’un pour qui la stratégie idéologique de la droite n’a pas de mystère.

Au moment où s’aggrave la crise économique et politique, il est évident que ni le gouvernement ni l’opposition ne vont offrir de solutions réelles. Tandis que Maduro trahit la révolution en courtisant la bourgeoisie et en reprenant le chemin du néolibéralisme, les forces de droite ont recours à des mercenaires violents pour déstabiliser encore davantage le pays. Alors que ces deux groupes se battent pour le pouvoir, le Vénézuélien moyen voit s’échapper les gains du chavisme.

La crise

On ne saurait exagérer la profondeur de la crise économique vénézuélienne. Les niveaux de pauvreté, qui étaient encore à la baisse, il y a seulement trois ans, menacent de revenir à des niveaux d’avant 2012.

L’inflation est déjà à plus de 700 % et la valeur réelle des salaires continue à diminuer. À la fin de l’année dernière, le syndicat des enseignants a estimé qu’il fallait 17 emplois au salaire minimum pour payer le panier des produits et services de première nécessité. Le manque des médicaments même les plus simples, sans parler des moyens pour le système de santé, augmente encore le chiffre de l’inflation en valeur réelle. Les appels lancés quotidiennement à la radio et à la télévision pour des médicaments sont très éloquents.

Ceux qui souffrent le plus de la crise sont aussi ceux qui ont soutenu le plus passionnément le projet bolivarien de Chavez et sa promesse que la richesse apportée au pays par le pétrole irait aux programmes de santé, d’éducation et de logement. Chavez promettait d’investir les excédents pour l’avenir, en diversifiant l’économie et en échappant par là au piège de la dépendance au pétrole.

Ce projet a échoué. Aujourd’hui 95 % du revenu extérieur du Venezuela provient du pétrole, alors qu’il était de 67 % il y a 20 ans. Pendant ce temps, le PIB a chuté de 18 % à la suite de l’effondrement de la production industrielle et agricole dans de nombreux secteurs. Les réserves de l’État ont perdu 40 % par rapport à leur niveau de 2012. Près de 90 % de la population n’a pas les moyens d’acheter suffisamment de produits alimentaires, ce qui explique que les Vénézuéliens aient perdu, en moyenne, 8 kilos par personne. La consommation de lait a diminué de moitié et on ne dispose encore d’aucune donnée sur l’impact de la pénurie de médicaments.

La situation était déjà très sérieuse quand les Vénézuéliens sont allés aux urnes pour les élections législatives de décembre 2015, lors desquelles la droite a remporté une majorité de moins des deux tiers.

Ce résultat n’était pas le reflet d’un bouleversement idéologique majeur. En fait, il était dû à l’abstention de deux millions d’électeurs chavistes, qui envoyaient ainsi un message à leurs dirigeants et exprimaient clairement leur souffrance et leur désespoir, eux qui ont à faire la queue pendant des heures pour se procurer des produits de première nécessité à des prix qui montent en flèche.

Même si les électeurs n’avaient pas accès aux données réelles, la Banque nationale, en effet, ne publie pas d’informations économiques sur la situation du moment, ils voyaient bien que le gouffre entre les riches et les pauvres s’élargissait de nouveau. L’an dernier, l’ancien ministre des Finances de Chavez, Jorge Giordani, a publié un mémoire établissant que 500 milliards de dollars avaient disparu des coffres de l’État. Cette nouvelle n’a fait que confirmer ce que la plupart savaient déjà. Le chavisme avait permis à la corruption de s’épanouir, la bureaucratie étatique détournant les fonds de l’État pour les envoyer sur des comptes bancaires privés.

La complexité du système de change a permis à des importateurs d’obtenir des dollars à un taux très bas – un dollar pour douze bolivars jusqu’à il y a peu, – et de vendre ensuite les produits importés à des prix basés sur le taux du marché, qui est des centaines de fois plus élevé. Beaucoup de ces produits traversaient simplement le Venezuela avant d’arriver en Colombie où le pourcentage de bénéfices augmentait encore. Les patrons des banques, les bureaucrates d’État, le service douanier et la Garde nationale ont tous pris leur part du gâteau et des fortunes se sont bâties grâce à ces pratiques.

Certes il n’est guère surprenant que la bourgeoisie commerciale ait stocké des produits et en ait fait monter les prix à volonté ou que les secteurs industriel et financier aient envoyé leurs capitaux à l’étranger pour spolier l’économie nationale. En revanche, il est bien surprenant qu’aient aussi pris leur part du gâteau ceux qui devaient transformer l’État vénézuélien en affrontant le problème de la corruption et en introduisant des politiques de redistribution.

Juste avant sa mort en 2013, Chavez a rédigé une préface au plan national 2013-2019 où il reconnaissait que l’État ne s’était pas transformé et en appelait à un changement de direction. Malheureusement ceux dont il espérait qu’ils agiraient en ce sens faisaient déjà partie intégrante de la bureaucratie d’État et tiraient profit de la corruption systémique.

Les défenseurs de Chavez soutiendront que la chute du cours du pétrole est responsable de cette crise, ce qui est carrément faux. Même si les bénéfices provenant du pétrole ont chuté, l’envolée qui a précédé aurait dû permettre au gouvernement d’économiser assez pour faire face à la crise actuelle et même plus, comme l’ont établi les calculs sérieux de Manuel Sutherland.

Le gouvernement a fondé son budget sur la vente du pétrole à 60 dollars le baril même quand le cours montait à plus du double. Ce revenu supplémentaire a disparu dans les méandres d’un système corrompu que l’État chaviste gère et dont il assure la pérennité.

Bien sûr, la bourgeoisie a prospéré, dans une tranquille collusion avec les nouvelles élites chavistes, chacun s’employant à détourner à son profit les fonds publics, à spéculer sur les marchés des devises et à investir ses bénéfices à l’étranger.

Dans un récent numéro, le magazine espagnol Tiempo a publié un article à la Une intitulé « L’invasion vénézuélienne ». Cet article ne se complaisait pas dans les attaques attendues contre les immigrants, mais, bien au contraire, encensait les riches familles vénézuéliennes qui viennent maintenant investir en Espagne. Les noms sont familiers : Capriles, Cohen, Otero Silva, Baute et ils doivent leur fortune à l’industrie pharmaceutique, aux médias, à la vente de détail, à la restauration et au commerce de l’or. Selon ce magazine, les super riches vénézuéliens sont installés confortablement, en sécurité, dans les quartiers les plus chics de Madrid, bien à l’abri de la débâcle sociale de leur pays.

La crise vénézuélienne atteste d’un rejet total de la révolution bolivarienne : les bénéfices qu’en avaient tirés les pauvres et la classe ouvrière ont presque disparu, tandis que l’élite capitaliste a conservé sa richesse et son pouvoir.

Plutôt que de faire face à cette crise qui s’aggrave, cependant, le gouvernement Maduro a préféré mobiliser ses forces pour se protéger

La révolution à l’envers.

À aucun moment de la crise le gouvernement Maduro n’a réagi de façon cohérente, ses réactions ont toujours été chaotiques. L’administration a souvent remplacé des ministres et annoncé la création de commissions qui ont fini par disparaître tout simplement. En agissant ainsi, il ne cherche semble-t-il, qu’à résoudre des batailles internes au lieu d’aborder la pauvreté et le mécontentement croissants.

Cela dit, on peut relever trois pôles évidents dans la conduite du gouvernement : une reprise des investissements étrangers dans les industries extractives, une militarisation croissante du gouvernement et la transformation du Parti socialiste unifié du Venezuela, le PSUV, en un instrument de contrôle politique.

Maduro a suggéré une solution unique à l’énorme trou du budget de l’État : la mise en valeur de l’Arco Minero, la région amazonienne du Venezuela. La zone représente 12 % du territoire national et recèle en abondance des minéraux, du pétrole et du gaz. En outre, c’est la source principale d’eau douce du pays.

Chavez avait rejeté une proposition de développement, il y a quelques années, pour des raisons environnementales et par respect des droits humains et territoriaux des communautés autochtones. Mais l’été dernier, Maduro a entrepris d’inviter des entreprises multinationales à faire des offres pour l’obtention de concessions.

Il a fait la première offre à Barrick, le groupe géant canadien d’exploitation aurifère qui avait été forcé de quitter le Venezuela dix ans auparavant. Après la nationalisation des mines par Chavez, la société avait exigé des centaines de millions de dollars en paiement compensatoire. En gage de sa bonne foi, Maduro a accepté de payer cette dette et a offert, en outre, une période d’exonération fiscale de 10 ans et le développement de l’infrastructure régionale aux frais de l’État.

On peut déjà voir les conséquences pour l’environnement de l’ouverture de cette région à la rapacité de l’industrie minière : des populations déplacées, des terrains et des fleuves empoisonnés, une forêt pluviale fragile et des systèmes écologiques de montagne détruits. Dans l’Arco, l’armée a entrepris d’ expulser les résidents peu après l’annonce du gouvernement.

Du reste, l’administration Maduro a immédiatement placé la région sous contrôle militaire, en suspendant les droits constitutionnels. Une société nouvellement créée, Camimpeg, va gérer ces ressources. Même si le ministère de la Défense va diriger cette nouvelle organisation, l’entreprise est autonome, c’est-à-dire privée, et n’a pas de comptes à rendre au peuple.

L’armée est désormais un élément en uniforme de la bourgeoisie d’État qui gouverne, en détenant à la fois le contrôle politique et en jouant un rôle économique central. Même avant ces récents changements, plus de la moitié du cabinet tout comme près de la moitié des gouverneurs appartenait à l’armée.

Nous ne devons pas confondre tout cela avec le projet originel de Chavez pour une alliance civils-militaires dans laquelle l’armée servirait les intérêts de la majorité. Quant à Maduro, lui, s’il s’est tourné vers l’armée, c’est bien plutôt dans l’espoir de protéger son pouvoir..

Dans le même temps, son parti politique, le Parti socialiste unifié du Venezuela, le PSUV, est devenu un instrument de contrôle politique. Quand Chavez a annoncé la formation du PSUV en 2006, cet organe faisait partie de son projet pour le socialisme du vingt-et-unième siècle. Il était censé représenter la prochaine étape menant à la démocratie participative populaire garantie par la nouvelle constitution du pays. Il voulait que le PSUV soit un parti ouvert, démocratique, qui pourrait demander des comptes à la fois au gouvernement et à l’État.

Cependant le parti qui a vu le jour s’est révélé exactement à l’opposé : une structure autoritaire et verticale qui, dès le départ, a sévèrement brimé contestation et controverse. En fait, les fondateurs du parti ont modelé le PSUV sur le Parti communiste cubain.

Ainsi, alors que la crise s’est aggravée, le gouvernement a mis en œuvre un programme destiné à apporter des colis alimentaires aux foyers défavorisés à des prix officiels garantis . Le PSUV s’est chargé de la distribution, mais il n’acceptait de donner les colis qu’en échange d’une allégeance politique. D’ailleurs, et c’est bien ironique, ce plan, gangrené par la corruption, a échoué.

Depuis on a introduit une carte dite patriotique qu’on peut obtenir aussi du PSUV et sans laquelle il est impossible d’avoir accès aux services d’État, aux retraites, ou aux passeports. En un mot, c’est un instrument de répression politique.

La riposte de la droite.

Immédiatement après les élections de 2015, Maduro a déclaré l’état d’urgence et suspendu à la fois les élections pour les postes de gouverneurs et les élections syndicales.

La nouvelle Assemblée nationale, où le parti de droite, le Democratic Unity Roundtable (MUD) [table ronde de l’unité démocratique], est majoritaire, n’a pas été capable de trouver de solutions à la crise économique, au manque d’électricité et d’eau pas plus qu’à la montée de la délinquance. Au lieu de cela, il a eu deux obsessions : la libération de Leopoldo Lopez, qui avait été incarcéré en 2014 pour incitation à la violence et la destitution de Maduro. Quoi que les membres du MUD aient pu déclarer officiellement, ils voulaient seulement prendre le pouvoir et renverser le chavisme, un projet soutenu avec enthousiasme par Washington.

En 2016, la droite a lancé un référendum de révocation pour renverser Maduro. Ironiquement, c’est grâce à la constitution de 1999, un élément important de la révolution chaviste, qu’ils ont pu prendre cette initiative.

La clause de révocation de la constitution était emblématique de la volonté du chavisme de faire en sorte que les responsables publics soient obligés de rendre des comptes. Elle permet à 20 % de l’électorat de demander la tenue d’un référendum à mi-mandat pour un homme politique.

Chavez lui-même avait affronté un référendum de ce type en 2004 et il l’avait emporté haut la main. Après l’élection de 2015, cependant, il n’a plus été possible à Maduro de s’appuyer sur le soutien du peuple, c’est pourquoi il a utilisé les institutions publiques lourdement armées, comme la commission électorale, pour bloquer cette initiative .

Bien sûr, la droite exploitait la situation à son profit, mais Chavez avait souligné que la possibilité de révoquer les responsables élus jouait un rôle crucial dans une démocratie participative. En outre, nous devons nous souvenir qu’on a discuté et débattu de la constitution de 1999 à tous les niveaux de la société. Le référendum visant à élire le congrès constitutionnel et à approuver le nouveau document était fondé sur les mêmes principes.

Maduro s’est servi de l’appareil d’État pour contourner la constitution chaviste, soutenant qu’une guerre économique avait été déclenchée contre le Venezuela. Or même si des forces extérieures ont clairement aggravé la crise, ce sont des événements en grande partie intérieurs, sans oublier l’échec du gouvernement à affronter la situation, qui l’ont provoquée.

En mars, quand l’Assemblée nationale a refusé de voter le projet de l’Arco Minero, Maduro a essayé, une fois encore, de contourner les décisions démocratiques, en demandant à la Cour suprême de dépouiller cette institution de ses pouvoirs. Luisa Ortega Diaz, qui est ministre de la Justice depuis 2005 et dont la loyauté envers le chavisme n’est pas contestable, a déclaré les actions du gouvernement inconstitutionnelles. Maduro a vite retiré la servile décision de la Cour.

Le vote à propos de l’Arco Minero montre clairement le caractère paradoxal de la politique vénézuélienne. D’une part, un gouvernement chaviste négocie son retour au marché mondial et aux industries extractives, alors qu’il s’était battu pour leur échapper. Or le contrat qu’il a signé va ravager le pays et replonger la majorité de la population dans la misère des années pré-Chavez.

D’autre part, la bourgeoisie qui voulait précipiter ce processus ne se préoccupe que de gérer la capitulation du chavisme et d’en éradiquer, en même temps, jusqu’à son souvenir.

Tout au long de cette affaire, le MUD a appelé à manifester. Les marches du début, conduites par des représentants de la grande bourgeoisie, qui portaient des masques impressionnants, ont attiré aussi beaucoup de Vénézuéliens de la classe moyenne. D’autres manifestants, cependant, n’appartenaient à aucun parti de droite : ils étaient seulement frustrés, furieux et prêts à tout et beaucoup qui se seraient définis comme chavistes ont marché derrière les élites droitières de la nation.

Dans certaines zones où le chavisme est très enraciné, comme La Vega et El Valle à Caracas, là où la population locale est allée jusqu’à chasser des ministres du gouvernement, on a vu des manifestations et des pillages qui se sont multipliés ces derniers mois. Comment pourrait-on s’attendre à ce que les gens réagissent autrement quand la Garde nationale, la police, l’armée et le PSUV, tous, essaient d’empêcher l’exercice du droit de manifester que garantit pourtant la constitution ?

Maintenant Maduro a appelé la nouvelle Assemblée constituante à se réunir à la fin du mois de juillet et cela ne ressemblera guère à la Constituante de 1999. À l’époque, les discussions étaient libres, publiques, et les citoyens participaient, pleins d’espoir, à ce processus. Cette fois-ci, l’administration Maduro va orchestrer avec soin l’événement et s’assurer que tous les changements que le gouvernement veut mettre en place seront approuvés. Il n’y aura ni débat ni transparence.

On ne sait pas bien ce que veut faire Maduro, mais il s’agira sûrement de faire approuver les projets à propos de l’Arco Minero et la privatisation de certaines parties ou peut-être même de l’intégralité de la PDVSA, la compagnie pétrolière d’État. Il s’agira peut-être aussi de légitimer la concentration grandissante du pouvoir entre les mains de toujours moins de dirigeants, choisis non par un processus participatif, mais à la suite d’une guerre interne entre de puissants groupes assoiffés de pouvoir.

D’autres forces plus inquiétantes sont responsables de certaines des plus barbares des attaques recensées. Leurs membres portent des cagoules et se sont mis à tirer des billes d’acier sur des jeunes gens, des piétons, des automobilistes.

Leurs actions vont au-delà de la simple manifestation et ces voyous, très probablement payés par l’extrême-droite, sont sans doute des paramilitaires qui travaillent pour des trafiquants de drogue, dont l’influence est grandissante.

Ils ne soutiennent pas la droite étroitement: ils cherchent à rendre le pays ingouvernable, à aggraver le désespoir et la peur qui affectent de plus en plus de Vénézuéliens. En même temps, les forces de sécurité de l’État, la Garde nationale surtout, sont de plus en plus impliquées dans les violences et il n’est pas facile de savoir à quel point ces réseaux se sont interpénétrés.

Pendant ce temps, les multinationales attendent de s’emparer de l’énorme richesse en pétrole, en gaz et en minéraux du pays sous le regard complaisant d’un gouvernement ouvertement néolibéral. Ces multinationales viennent non seulement des États-Unis, mais aussi de Chine, de Russie et des autres grands pays tenants du capitalisme mondial.

À gauche, certains ont appelé ouvertement à la violence, mais il est difficile d’imaginer une position plus irresponsable et plus cynique. En fait, ce n’est pas grand-chose d’autre qu’une façade puisque le mouvement de masse qui s’était formé autour de Chavez et qui a combattu pour défendre ses idéaux a été désarmé et a perdu espoir.

Confrontés à l’affaiblissement systémique de la démocratie, à la diabolisation de la contestation, à la mort de syndicalistes et de dirigeants de la base comme Sabino Romero, à l’érosion de la confiance du peuple envers le gouvernement et à la montée de la violence, les chavistes convaincus ont bien peu de moyens à leur disposition. Appeler aux armes revient tout simplement à inviter l’armée à intervenir.

D’autres à gauche ont choisi de ne rien dire ou d’ignorer la complexité de la réalité. Quels que soient leurs motifs, leur silence les amène à être complices de la nouvelle classe dirigeante, qui cache sa véritable nature derrière la phraséologie socialiste.

Ces élites ont contribué à démobiliser le mouvement de la base qui défendait sa révolution en 2002-2003 et dont les différentes formes d’organisation communautaire auraient pu constituer la base de la réussite du projet chaviste.

En dépit de ce revers, le souvenir de ces années persiste partout où les gens coopèrent pour se défendre eux-mêmes et empêcher que ne disparaissent les traditions de solidarité, même si, pour le moment, beaucoup d’entre eux se taisent.

La gauche en dehors du Venezuela peut contribuer à rebâtir le mouvement en participant à un bilan honnête des erreurs commises. En tant que socialistes, nous n’avons pas à choisir le moindre mal, mais bien plutôt à apporter notre soutien à ceux qui luttent pour reconstruire les fondements d’une société vraiment démocratique.

Mike Gonzalez a été professeur au département d’études de l’Amérique latine de l’université de Glasgow. Il a récemment publié « Hugo Chávez : Socialist for the 21st Century ( Hugo Chávez: un socialiste pour le 21e siècle ) » aux éditions Pluto Press.

Source : Jacobin, Mike Gonzalez, 07-08-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie nullement que nous "soutenons" le Président Maduro. Par principe, nous ne "soutenons" aucun gouvernement nulle part sur la planète. Nous sommes au contraire vigilants, tout gouvernement devant, pour nous, justifier en permanence qu'il ne franchit aucune ligne jaune. Mais nous sommes évidemment également attachés à lutter contre le deux poids 2 mesures, et à présenter tous les faits. Au final, notre vision est que le peuple vénézuelien puisse choisir librement et démocratiquement son avenir, sans ingérences extérieures, et nous condamnons toutes les atteintes aux Droits de l'Homme des deux camps...