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Education populaire: un capital social en voie de disparition?

Lien publiée le 19 août 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/rouby-gilles/blog/180817/education-populaire-un-capital-social-en-voie-de-disparition

Absence d'un ministère de plein exercice, suppression annoncée des emplois aidés, recours aux Appels à projet, suppression de subventions dans les Ministères comme dans les politiques ciblées (politique de la ville, culture... ) ou de la réserve parlementaire... Le modèle de société que représentent le monde associatif est en danger. Patrick Viveret évoque un «sinistre majeur». Qu'en est-il ?

« Nous sommes en train d’aller vers un sinistre majeur des associations parce que elles n’ont plus de véritables financements par subventions publiques d’Etat ou de collectivités territoriales, l’essentiel de leurs moyens d’accès à leur capacité d’existence est en train d’être menacé. C’est tout le « capital social » d’une nation qui est en cause. »

C’est par ces mots que le philosophe Patrick VIVERET [1] interpelle en fin de débat Jean-Paul Delevoye lors de l’émission de France Inter « le débat de midi » ce jeudi 10 août, dont le thème était « N’y-a-t-il de démocratie que locale ? », et dont les invités sont issus d’associations de maires. Mais que viennent faire les associations dans ce débat ? Invoquer le secteur associatif n’est-il pas déjà une accusation du monde politique qui n’a pas su donner une place au débat, au conflit, à la prise de parole dans la sphère publique, et dont le modèle de démocratie représentative tourne à vide. N’est-ce pas situer le secteur associatif au-delà de son rôle d’acteur, et signifier ce qu’il représente dans ce combat pour la démocratie et la nécessité de redonner aux habitants toute leur place dans la société ? Nous y reviendrons, mais d’abord où en est-on en ce début de mandature ?

ABSENCE D’UN MINISTERE DE PLEIN EXERCICE

Pour la première fois depuis 1957, un ministère de plein exercice ne fait plus référence à la jeunesse. La vie associative est logée à la même enseigne. « Le ministre de l'éducation nationale a autorité sur la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative». Comment ne pas craindre de voir ces attributions un peu noyées dans l'immense champ de compétences du ministre de l’éducation ? Les associations auraient pourtant besoin d’un interlocuteur qui incarne une volonté politique. La mise en œuvre des relations contractuelles Etat-Collectivités-Associations (charte d’engagement réciproque) doit être portée politiquement pour trouver une réalité locale, sauf si les associations ne sont pensées que comme actrices dans la mise en œuvre des politiques publiques.  Ainsi  la « transition écologique et solidaire » s'occupera désormais de l'ESS ; la « cohésion des territoires » portera les politiques territoriales, les discriminations et le logement. Culture, sport, enfance-famille-personnes âgées, droit des femmes, handicap dépendent également de ministères de plein exercice. La vie associative est morcelée, rendant plus difficile son existence politique.

EMPLOIS AIDES

La Ministre de l’emploi a été très claire lors de la séance du  9 août à l’Assemblée. Les emplois aidés sont un coût pour la nation (2,8 milliards d’euros pour 293.000 emplois). La raison économique est donc celle du plus fort. Et après avoir ouvert en 2008 ces contrats au secteur marchand (CIE), il est facile de n’en faire qu’un outil pour l’emploi et ne retenir que le caractère économique pour juger de l’efficacité du dispositif. Le secteur associatif sera une nouvelle fois le grand perdant, et surtout ces milliers d’associations ne s’inscrivant pas dans les lois du marché concurrentiel et ne dégageant donc pas de ressources propres suffisantes. Calcule-t-on ce qu’apporte la plus-value sociale des milliers d’associations qui ont recours aux emplois aidés ? A quel budget devra-t-on affecter les conséquences de cette réduction d’activités menées grâce aux emplois aidés ? Il ne s’agit pas là d’opposer emploi aidé et  emploi qualifié ; le recours à une aide d’Etat s’inscrit dans une dynamique d’utilité sociale et les associations connaissent trop l’importance de la qualification de leurs salariés, notamment ceux intervenant auprès des publics les plus en difficulté, pour ne pas lier CAE et formation. Les principaux motifs de la difficulté d’embauche à l’issue du contrat tiennent peut-être à d’autres raisons : d’une part la diminution constante des engagements pérennes des collectivités à travers des conventions pluriannuelles, permettant de sécuriser le travail des associations, et d’autre part les incertitudes permanentes sur les dispositifs contractuels de subventions dans le cadre de politiques ciblées. Et l’absence d’un Ministère dédié n’est pas faite pour rassurer les fédérations associatives quant à la volonté de l’Etat de porter ce modèle acté dans la Charte d’Engagement Réciproque.

APPELS A PROJET OU CONVENTIONS PLURIANNUELLES

Le temps de l’incertitude règne dans le mouvement associatif. Le modèle de Fédérations « Tête de Réseau » pour l’animation de politiques publiques est mis en cause. On assiste impuissants  au démantèlement des politiques mises en places avec un fort désengagement  des conventions pluriannuelles liant les collectivités aux associations et à leurs fédérations. Ainsi, les MJC qui sont organiquement liées à des conventions de mise à disposition entre Commune, Association locale et Fédération en sont un exemple criant. Sens, Aubagne, Lons-le-Saulnier, plusieurs MJC emblématiques de l’Essonne, de grandes fédérations régionales, mais aussi de nombreuses MJC en milieu rural, moins exposées médiatiquement, mais toutes victimes du même argument : « ça coûte cher, on a moins de budget ». Et derrière ce prétexte, chacun peut entendre « vous êtes trop indépendants, on veut reprendre en main un équipement municipal … » Michel Guerrin (Le Monde du 16 juin) en fait le constat en posant, in fine, cette question : « que fait l’Etat ? » Mais que va-t-il faire si la vie associative n’est pensée que comme sectorielle, n’ayant pour seule finalité la mise en œuvre d’actions à moindre coût et mises en concurrence ? Les associations ont besoin de garanties pour mener un projet politique d’éveil et de formation d’individus conscients ! C’est le sens de l’éducation populaire.

DOTATION AUX COLLECTIVITES, TAXE D’HABITATION …

Sans entrer dans le détail des réformes territoriales qui segmentent l’action publique, transférant les compétences à un niveau territorial sans s’assurer ni de leur mise en œuvre réelle, ni de la place assignée aux acteurs, et supprimant la clause de compétence générale, la simple diminution de la dotation aux collectivités a un effet immédiat sur le secteur associatif. L’Association des Maires de France dénonçait en 2015 une baisse cumulée de 28 milliards. C’est pour les collectivités locales la nécessité d’opérer des choix. Les associations sont les premières impactées. Il suffit de consulter la cartocrise en matière de programmation culturelle pour constater la diminution ou la suppression de nombreuses aides, des initiatives locales aux plus gros festivals.  La catrocrise associative du Collectif des Associations Citoyennes porte le même constat. Et l’annonce de la suppression de la Taxe d’Habitation ne peut être qu’une crainte supplémentaire pour les associations, les communes ne pouvant plus développer une fiscalité propre pour leur territoire. Sans mobilisation forte l’action associative, comme la culture, risque d’être la variable d’ajustement des budgets des collectivités. Ici ou là ce sera les politiques sociales ou culturelles, celles de solidarité, ou favorisant le lien social …  Ici ou là l’entreprenariat social ou  privé répondra aux Appels à Projets, construira une offre de consommation, investira dans « l’économie de la misère ». Car dans cette logique d’entreprise, des marges même faibles restent conséquentes quand elles concernent l’immense majorité de la population.

POLITIQUE DE LA VILLE ET TERRITOIRES RURAUX

Comme si ce n’était pas assez, le gouvernement annonce encore 300 millions de suppression de subventions sur l’exercice en cours, dont 46,5 millions d'euros de crédits d'État destinés aux contrats de ville 2017 qui touchent cinq millions d’habitants, comme le dénonce le secrétaire général de l’Association des Maires de Ville&Banlieue.  C’est ici 10000€ à un centre social, ou là 500€ pour la fête des voisins … Les contrats liés à la Politique de la Ville sont déjà en constante diminution. Le mécanisme de subventions attribuées annuellement ne permet plus de se projeter dans l’avenir… C’est une des raisons de la difficulté à pérenniser l’emploi, aidé ou non.

L’Association des Maires Ruraux de France partage la même crainte, s’inquiétant de « la fragilité des contrats de ruralité » et dénonçant leur aspect médiatique. L’AMRF développe une autre ambition, celle de «réintroduire les aides aux associations à vocation sociale ou d'éducation populaire dès lors qu'elles exercent dans un domaine d'intérêt général. » 

RESERVE PARLEMENTAIRE

70% des fonds de la réserve parlementaire globale viennent soutenir des projets associatifs sur les territoires (52% pour l’Assemblée Nationale, 18% pour le Sénat). Peut-être faut-il s’interroger sur le bien-fondé de ces subventions que certains dénoncent aujourd’hui, flairant l’air du temps, comme clientélistes. Mais il faut surtout s’inquiéter de la disparition de ressources indispensables aux associations pour mener à bien un projet ponctuel, ou permettant l’acquisition d’un équipement nécessaire à son action. Dès lors, sous quelle forme cette économie pour l’Etat sera-t-elle compensée pour ses bénéficiaires ? D’autres alternatives étaient possibles, comme la répartition de la réserve parlementaire dans le cadre d’assemblées citoyennes où chacun pourrait exposer son projet, entendre celui des autres, et délibérer sur l’attribution d’une aide financière (quand on parle de démocratie locale…) ou comme le propose le Mouvement Associatif une réattribution au Fonds National de Développement de la Vie Associative.

DES POLITIQUES SECTORIELLES LIEES AUX MINISTERES

Peut-être s’il fallait encore soulever un point, et non des moindre car il touche une conception politique de la place des associations dans la société, ce serait cette identification de ministères autour de spécificités, certes majeurs, mais reléguant les associations à des substrats de l’action politique, et renvoyant à chaque Ministère ses responsabilités en la matière.

"Les associations féministes interviennent chaque année auprès de centaines de milliers de femmes victimes de violences masculines et de discriminations. Elles ont des besoins spécifiques d'accès aux droits, à l'avortement, d'accompagnement à l'emploi, à l'autonomie, au logement, et une prise en charge spécifique en cas de violences (sexuelle, physique, psychologique, administrative...)". C’est en ces termes qu’un collectif d’associations et d’acteurs agissant pour le droit des femmes proteste contre la diminution de 7,5 Millions d’euros, soit 25% du budget d’un ministère dont l’appellation résume leur combat à la seule notion d’égalité.

 Les associations dans leur ensemble jouent un autre rôle que celui de simple acteur. Elles posent une expertise et construisent des réponses en suivant le seul fil conducteur du droit. Sur la question complexe de l’accueil des populations migrantes, Emmaüs International coordonne un appel de plusieurs centaines d’acteurs pour demander la tenue d’une conférence nationale associant les acteurs de l’accueil pour construire le droit de demain. Dans le cadre de la Cop21, le travail des associations agissant pour la sauvegarde de l’environnement est essentiel face aux lobbies de l’industrie et de l’énergie. La lutte contre l’exclusion, le racisme, s’appuie sur les acteurs associatifs, tout comme les personnes les plus démunies trouvent appui auprès des associations caritatives. Et que serait une politique des rythmes scolaires sans l’expertise des associations complémentaires de l’école, leur capacité d’agir et de former ? Réforme aujourd’hui mise en cause sans concertation ni évaluation, sans s’inquiéter de l’investissement de ces associations ces dernières années, ni du préjudice causé.

LES ASSOCIATIONS UNE RICHESSE POUR LA NATION

Parlons société. Le secteur associatif c’est 1,3 millions d’associations, 13 millions de bénévoles et 1,8 millions de salariés. Neuf associations sur 10 fonctionnent sans salariés. Selon l’INSEE, le volume de travail des bénévoles représente 680.000 emplois à temps plein. Dans toutes leurs diversités, les associations incarnent un modèle de société qui a structuré la France en profondeur. Voilà ce qui est menacé, pour les associations elles-mêmes, mais surtout pour tous les bénéficiaires des actions associatives, c'est-à-dire l’ensemble des habitants de notre pays.

Parlons économie. Le secteur associatif représente 60 milliards d’euros, soir 3,5% du PIB. Selon un sondage CSA de 2009, son intervention dans l'aide aux personnes en difficulté (81%) ou dans le maintien et le développement du lien social (79%) est essentielle aux yeux de 68% des français qui jugent son action efficace, loin devant l’entreprise (49%). Ne faut-il pas y voir l’existence d’un marché dans lequel le monde de l’entreprise entend bien gagner des parts ? Mais pour cela il faut d’abord affaiblir les associations.

Parlons Education populaire. La Ligue de l’Enseignement a été créée en 1866 par Jean Macé, 15 ans avant les lois Ferry qui rendent l’enseignement primaire gratuit et obligatoire. Dans tous les domaines, le mouvement associatif d’Education Populaire a institué le droit avant qu’il ne soit institutionnalisé. C’est ce moteur qui va être mis  l’arrêt. La société civile, organisée collectivement au sein d’associations et de fédérations, a toujours été en avance sur les problèmes de la société.

Les enjeux auxquels nos sociétés ont à faire face sont immenses. Des incivilités et leur « sentiment d’insécurité » aux attentats et le « débat de civilisation » que certains tentent de promouvoir, il y a un gouffre énorme que l’appel à un vivre-ensemble républicain n’arrive pas à combler. L’abstention est un des symptômes de cet échec démocratique. Le détachement du peuple à l’égard du monde politique, un autre. Et une loi de « confiance » n’y suffira pas, surtout si elle n’agit qu’à la marge, sans s’attaquer aux causes réelles, celle d’un appareil au service de la domination sans partage du Monde. Le dialogue civil existe au sein de la vie associative. On s’y rencontre, on y côtoie l’autre, on échange ses points de vue, les conflits s’y expriment dans un cadre apaisé. On y apprend la société et ses recompositions.

Les associations, et notamment celles comptant parmi les fédérations historiques,  portent leur part de responsabilité. Nombreuses aujourd’hui ont épousé les formes de la société. Animation socioculturelle, projet social, délégations de service public, professionnalisation, label qualité… en sacrifiant parfois leur propre regard pour répondre à des commandes et s’engager dans des politiques définies par le pouvoir politique. Beaucoup ont renoncé à agir sur la société pour être actrices de sa transformation. Lorsque les associations contribuent à offrir des services pour lesquels elles ont de moins en moins de moyens, à s’inscrire dans une « démarche qualité », à accepter la marchandisation de leur secteur par la mise en place de « Contrats à Impact Social » et la complexification des procédures qui capte le temps des professionnels et éloigne les bénévoles de la prise de responsabilités, elles en portent une part de responsabilité car ce faisant elles renoncent elles-mêmes à l’action citoyenne.

A l’opposé il est temps de se relever. Les associations, dans leur diversité, représentent à la fois un modèle pour la société et constituent la société elle-même. Un modèle qu’ensemble elles peuvent et doivent revendiquer.

[1] Fondateur de l’observatoire de la décision publique et du Collectif Roosevelt 2012 ; co-auteur notamment de l’ouvrage collectif « « pour un nouvel imaginaire politique » (Fayard 2006)

par Gilles Rouby

Militant de l’Education populaire