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Herbert Marcuse a encore des choses à nous dire

Lien publiée le 19 août 2017

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Denis Collin interroge l’auteur de «Eros et Civilisation» et de «L’Homme unidimensionnel» et constate son actualité - recension parue dans Le Temps

Sommaire

Un remarquable petit livre nous donne aujourd’hui l’occasion d’exhumer du cimetière des philosophes un penseur naguère adulé et aujourd’hui largement tombé dans l’oubli: Herbert Marcuse (1898-1979). Idole de la jeune gauche allemande puis internationale des années soixante, héritier de Hegel, Marx et Freud, Herbert Marcuse n’a eu de cesse de critiquer les processus de domination qui étaient à l’œuvre dans les sociétés capitalistes modernes. Ses deux livres les plus connus sont Eros et Civilisation (1955), et surtout L’Homme unidimensionnel (1964), un livre fameux où il dénonçait la civilisation industrielle comme étant une «société de mobilisation totale», où «la chambre à coucher est ouverte aux communications de masse».

De toute évidence, Denis Collin, lecteur sagace qui nous a déjà offert de remarquables essais sur Marx notamment, est convaincu que Marcuse a encore quelque chose d’essentiel à nous dire. Il nous fait part de sa conviction: «Le système industriel technicien, autrement dit le mode de production capitaliste à son stade avancé, se présente sous les oripeaux chatoyants de la liberté, la liberté du commerce, la liberté des mœurs, la liberté de consommer ce que je veux quand je veux. Marcuse nous montre que cette liberté illusoire est la forme suprême de l’aliénation et que le prétendu «monde libre» n’est rien d’autre qu’un totalitarisme doux, en apparence. On commence à s’en apercevoir plus largement.»

Déshérence

Et il est vrai que la relecture de Marcuse à laquelle nous incite Collin aujourd’hui produit un curieux effet de résonance, l’expérience d’un écho revenu d’un lointain silence. Comme la réplique d’un tremblement de terre, mais après une longue période de calme. Si l’œuvre de Marcuse est entre-temps tombée en déshérence, c’est d’une part que le puissant mouvement historique de l’après- chute du Mur a rendu, d’une manière générale, la pensée critique inaudible. Mais c’est aussi parce que les termes mêmes dans lesquels Marcuse formulait sa critique ont été soudain frappés d’obsolescence, irrémédiablement marqués qu’ils étaient du sceau d’une époque révolue.

Qui, en effet, parle encore aujourd’hui de «désublimation répressive»? C’est le genre d’expressions que les philosophes citent entre eux en clignant de l’œil, activant leur complicité de vieux combattants. C’est pourtant un concept central de la pensée de Marcuse, et il garde sans doute – Collin a raison – toute sa pertinence pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Cette expression aux apparences aujourd’hui désuètes est construite sur l’idée de Freud selon laquelle la civilisation n’a pu s’élever qu’en réprimant les instincts qui rendraient la coexistence impossible. C’est la répression du principe de plaisir, qui contraint les instincts à se sublimer en quelque chose d’autre.

L’homme libéré

Pour Freud donc, impossible d’imaginer une civilisation non répressive – et Marcuse notait que «cette conception est aussi vieille que la civilisation, et a toujours fourni la rationalisation la plus efficace de la répression». Marcuse, comme Marx, a pourtant toujours maintenu l’idéal de l’homme libéré. C’est à partir de lui qu’il juge notre société. Et il la juge sur-répressive, en ce qu’elle impose à tous le principe de rendement qui est le principe de l’organisation capitaliste du monde, et ce, au moment même où elle pourrait satisfaire plus largement les besoins des individus. Ces individus qui pourraient être libres, il faut les contrôler. Ils sont potentiellement libres, mais factuellement asservis au principe du rendement: désublimation (donc libération) répressive.

«L’internet est un condensé des analyses de Marcuse»

La libération sexuelle, par exemple, est une désublimation répressive (comme l’industrie pornographique à portée de tous aujourd’hui), car sous couvert de prétendument libérer davantage l’individu, on favorise en réalité la domination du système: «Du même coup, le besoin de sublimer est moins intense puisque le monde paraît moins hostile à la satisfaction libidinale», dit Collin commentant Marcuse. Et de poursuivre: «Le «sexy» est une valeur sociale, comme le savent depuis longtemps les publicitaires et les DRH» – la barrière qui séparait la vie privée de la vie publique s’est brisée, comme cela se doit dans une société de mobilisation totale. Qui dirait que ceci est obsolète? «L’internet est un condensé des analyses de Marcuse», dit Collin, les réseaux sociaux allant jusqu’à détruire l’idée même de vie privée.

Denis Collin, fin savant et excellent pédagogue, est sensible à ce que la pensée a de vivant, à ce qui en elle nous permet de mieux nous comprendre nous-mêmes et notre société. C’est dans c’est esprit qu’il a relu Marcuse, et qu’il nous donne envie de le faire à notre tour.

Mark Hunyadi - Le Temps - 18/08/2017