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Procès du quai de Valmy : le mauvais quart d’heure du témoin policier
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le cas d'un témoignage anonyme qui s'est révélé être celui d'un policier, élément-clé de l'enquête sur l'incendie d'une voiture de police en mai 2016, a occupé une partie des débats lors du réquisitoire du procureur et des plaidoiries de la défense.
Quelqu’un revient sans cesse dans les discussions depuis l’entame du procès du quai de Valmy. Un absent dont on ne connaît pas le nom. Un témoin anonyme identifié par trois chiffres : «142». Sa déposition constitue l’un des éléments essentiel de l’enquête, notamment pour Antonin Bernanos, 23 ans, poursuivi pour violences volontaires aggravées et contre qui le procureur de la République a requis cinq ans de prison, dont un avec sursis.
«142» l’accuse d’être l’individu qui a agressé de deux coups de poing l’un des policiers avant de briser le pare-brise arrière du véhicule en projetant un plot métallique. Dans la procédure, le métier de ce témoin a été versé par erreur : il appartient aux renseignements de la préfecture de police de Paris. Et quelques heures auparavant, c’est un signalement de ce même service qui conduit à l’arrestation de quatre manifestants : Antonin Bernanos, son frère Angel, Bryan M. et Leandro L. Ils sont alors suspectés d’avoir participé le 18 mai 2016 à l’incendie d’une voiture de police sur le quai de Valmy à Paris. Ces charges seront finalement abandonnées pour trois d’entre eux mais pèsent encore sur Antonin Bernanos, qui nie sa participation aux faits. En plus de cette information initiale des renseignements, les enquêteurs estiment sur la base de plusieurs recoupements photographiques que sa tenue, ce jour-là, correspond à celle de l'agresseur.
Depuis le début du procès la défense s’échine à démontrer que l’information des renseignements, décisive dès les premiers instants de l’enquête, est bardée d’erreurs et d’imprécisions. Alors dans une longue introduction à son réquisitoire, le procureur s’est appliqué pour donner du crédit à ce témoignage dont la critique verse selon lui dans la «théorie du complot». «Je n’accepte pas que l’on mette en jeu l’intégrité du serment prêté par certains. Il n’y a pas de complot contre Monsieur Bernanos. C’est un procès de casseurs, d’incendiaires, qui par idéologie s’en sont pris aux symboles de la République» tonne le ministère public. Avant d’y revenir quelques minutes plus tard : «Personne, ici au parquet de Paris, ne connaît quelqu’un de la DRPP [ndlr, direction des renseignements de la préfecture de police].» Comprendre : le procureur n’a pas couvert une vendetta de la préfecture contre ces militants «antifa». Puis, toujours sur «142» : «La chambre de l’instruction a relevé que sa profession de policier était un gage de sérieux.»
Le procureur avait commencé en brandissant une image saisie chez Ari R., l’un des prévenus. Une photographie barrée d’un slogan : «Pas de visage, pas de coupable.» «C’est une doctrine, un mode d’opération, un mode de lutte qui implique une action violente, illégale, une dissimulation, un camouflage et une contestation des faits. Ce dossier n’en est que l’exacte application» pour le ministère public. Avant de jouer la fausse interrogation : «Où sont les fascistes dans cette affaire ?» Et de sortir de son chapeau une citation de Lénine qui tombe à plat : «L’anarchiste est un réactionnaire.» Le procureur, en examinant la situation de chacun des neuf prévenus, a ensuite requis des peines de prison d’un an avec sursis jusqu’à huit ans ferme.
Du «spectaculaire» à tous les niveaux
Dans sa plaidoirie, Jérémie Assous, l’avocat de Bryan M., l’un des quatre manifestants visés par le renseignement de la préfecture, a pris le temps de revenir sur le début de l’enquête. «La première chose qui a choqué, ce sont les images spectaculaires qui ont tourné en boucle. On était tous surpris et on s’est tous demandé comment ça a pu se dérouler», remarque l’avocat en levant les yeux au ciel. Puis, il marque une pause et poursuit : «Ce qui a été encore plus spectaculaire, c’est la réaction judiciaire. Les premiers à avoir fait une conférence de presse, c’est l’accusation. Comme il y a eu des images spectaculaires, il fallait une réaction judiciaire spectaculaire.»
L’avocat parle «d’arrestations au pas de charge» et arrive au cas du témoin anonyme. «C’est un super témoin. Un policier c’est un professionnel, il est formé pour observer et distinguer. Donc je préfère un témoin policier que quelqu’un qui dit "il me semble que". Mais ce qui intéressant, c’est que ce témoin avait vu les vidéos avant. Et ce qui est extraordinaire c’est que son témoignage ne dit rien de plus que ce qu’il y a dans les vidéos.» Le sous-entendu est limpide : ce témoin direct des événements n’existe peut-être pas.
«Ce n’est pas seulement son identité qui nous est cachée, c’est la possibilité de confronter ses dires à la réalité […]. Le témoin aurait dû venir ici, pour qu’on puisse l’identifier sur les vidéos et savoir s’il peut dire ce qu’il dit» enchaîne-t-il. Et s’adressant au ministère public : «Vous auriez dû, vous garants, supérieurs hiérarchiques des policiers, refuser catégoriquement le recours à cette procédure d’anonymisation.» En défense de Léandro L., lui aussi visé par le renseignement de la préfecture de police, l’avocat Antoine Comte prend le relais : «Est-ce qu’il est sain dans une démocratie que lorsque des policiers sont victimes, des policiers enquêtent et que le témoin soit lui aussi policier ?» Une interrogation qui sera au cœur de la plaidoirie de l’avocat d’Antonin Bernanos, reportée à mercredi prochain.