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Le Crous, le doux tyran de l’étudiant
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://blogs.mediapart.fr/mickael-royer/blog/271017/le-crous-le-doux-tyran-de-letudiant
Depuis de nombreuses années maintenant, une forte majorité d'étudiants français ou en études en France peuvent bénéficier d'une aide financière grâce à un organisme bien connu, le Crous. Bourse d'études ou de logement, ces aides sont réparties entre les demandeurs, à condition de respecter certains critères, dont le plus important est la patience.
J'ai 25 ans, je suis en Licence Professionnelle de communication à Lyon. Mon âge en dit long sur mon parcours : atypique et parfois chaotique. J'ai cependant fini par trouver ma voie, et me voilà lancé sur le même chemin que des millions d'autres en France. Reconversion ou poursuite d'études, les étudiants représentent - ce n'est pas une nouvelle - une part conséquente de la population. Souvent l'objet de blagues sur le manque d'argent, les assiettes de pâtes à longueur de semaine et la fameuse attente du 15 du mois, l'étudiant type est un sujet de conversation riche, à la limite du débat selon l'interlocuteur.
D'ailleurs, pourquoi débattre ? Cette "fameuse attente du 15 du mois", qu'est-ce donc ? Tout simplement la date moyenne de versement de la bourse sur nos comptes en banque affamés. Et à la question "pourquoi débattre", la réponse est simple : le statut d'étudiant offre de nombreux avantages. Réductions au cinéma, pour les transports, burger supplémentaire au fast-food... La vie est belle quand on est encore dans les jupons des universités. On enchaîne les bons plans, tandis que de l'argent tombe chaque mois pour nous aider à étudier. Certains peuvent en être jaloux. Tout serait aussi simple, en effet, si le Crous versait cet argent.
Des retards, toujours des retards
J'ai constitué mon dossier social étudiant (DSE) courant mars, comme cela est conseillé par l'organisme lui-même dans ses mails. Ma candidature à ma formation actuelle a été acceptée début juillet, date à laquelle j'ai reçu la célèbre "attribution conditionnelle", adressée à chaque demandeur, et qui lui résume l'échelon d'aide dont il bénéficiera s'il correspond aux critères. Ma rentrée a eu lieu le 18 septembre. Après quelques problèmes d'inscription administrative (une véritable maladie chronique dans le cadre universitaire), j'ai contacté le Crous de Lyon fin septembre, n'ayant à ce moment-là pas reçu ma notification d' "attribution définitive", qui suit la conditionnelle. Le 20 octobre, j'ai reçu ce document. Nous sommes le 27, je n'ai toujours pas reçu mon versement, tandis que ma propriétaire attend un loyer que je ne devrais pas pouvoir payer.
Si je dis que je ne "devrais" pas pouvoir le payer, c'est parce que j'ai un entourage, de l'aide. Je fais partie de ces étudiants chanceux qui ont des opportunités de rebondir. Mais qu'en est-il des autres ? Ceux qui, sur le hashtag #crous, expriment leur désespoir quant au fait d'avoir à se battre contre sa banque pour le découvert, son propriétaire pour le loyer, et son ventre pour la faim ? Ceux qui, par un effroyable instant de leur vie, ont perdu des proches, et ne peuvent subvenir à leurs besoins que par eux-mêmes ? Ceux qui, j'en ai connu, ont reçu tous les versement d'une traite, en janvier, sorte de cadeau empoisonné (ou plutôt périmé) ? Ces mêmes personnes, qui doivent jongler entre un travail physique et les divers rendus de travaux demandés par leur université ? Quiconque choisit des études ambitionne d'aimer son futur travail, au prix de quelques années de souffrance dont on peut rire après coup. Mais comment cela est-il possible, si cette personne passe ses soirées à gagner sa vie, au lieu d'étudier pour gagner sa vie et aimer le faire ?
Au crous, la communication n'est pas le mot d'ordre.
Les retards de paiement ne sont pas le seul reproche que l'on peut faire à l'organisme. Personnellement, ce sont de sérieuses lacunes en terme de communication qui m'ont sidérés. Après mes problèmes d'inscription, il manquait à mon dossier un certificat de scolarité. Le Crous ne m'en a jamais informé. J'ai attendu, confiant et tellement naïf, d'avoir des nouvelles de l'organisme ! Jusqu'à ce qu'un mail (pas un coup de fil, les lignes sont saturées en permanence, sans parler de la foule dans les lieux physiques) me fasse comprendre ce défaut de dossier. Comptaient-ils me prévenir tôt ou tard ? On ne le saura jamais. Certains de mes amis ou camarades de promotion ont même appris que leur logement étudiant ne leur était finalement plus attribué. Pour cela, aucun appel ne leur a été passé : à eux de se déplacer, au détriment d'important cours qu'ils ont dû louper pour s'adapter aux horaires des moins flexibles du Crous. Et quelle erreur de s'attendre à de la compassion !
Je parle de "douce tyrannie" dans le titre de ce billet. Le terme est certainement trop fort, il nous rappelle évidemment que de véritables dictatures à l'échelle nationale existent, et impliquent des conséquences bien plus graves que quelques étudiants déprimés. Mais dépendre d'un organisme qui n'a que faire de l'humain, de délais de paiement qui frisent la moquerie et d'un service toujours plus défaillant, c'est une version douce d'une forme de tyrannie. Celle d'un organisme qui ne semble pas comprendre l'ampleur de ses défauts, face à une partie importante du peuple qui souffre en silence, parce que "ce n'est pas si grave".