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Brésil. Unir la gauche et appuyer Lula en 2018?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-unir-la-gauche-et-appuyer-lula-en-2018.html
Par Gabriel Casoni
L’entretien donné par Marcelo Freixo (député de l’Etat de Rio de Janeiro) à la Folha de São Paulo a suscité d’importantes réactions sur les réseaux sociaux.
Le député PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) a été sévèrement critiqué, notamment par les dirigeants et les blogueurs liés au PT (Parti des Travailleurs). L’argument principal semble irrésistible: la nécessité de l’unité de la gauche face à l’offensive de la droite.
Toutefois, l’ironie de l’histoire est que la direction PT, alors qu’elle attaque Marcelo Freixo, accusé de diviser le camp de la gauche, négocie des alliances et des accords avec les partis «golpistes» [responsables de la destitution de Dilma Rousseff en août 2016], et avec des grandes firmes ainsi que des dirigeants de droite dans tout le pays.
En un mot: la direction luliste joue un jeu habile marqué par la dissimulation.
D’une part, en agitant la bannière de «l’unité», de façon opportuniste, elle cherche à bloquer l’émergence d’une alternative de la gauche indépendante lors des élections de 2018, une alternative qui disposerait d’une force plus grande dans le cas où Guilherme Boulos (référence principale du Mouvement des travailleurs sans toit-MTST) confirme sa candidature à la présidence, pour le PSOL. De l’autre, elle tisse des liens avec des secteurs du grand capital. Elle veut de la sorte démontrer comment Lula peut, à nouveau, être utile à la classe dirigeante. Les récentes déclarations de l’ancien président, soigneusement conçues pour plaire aux marchés financiers, font partie de la stratégie visant à établir une nouvelle alliance avec les riches et les puissants.
Et l’unité pour lutter contre Temer et les réformes?
La direction du PT est très intéressée à ne pas permettre la croissance du PSOL, et en particulier à éviter la candidature du leader du Front Peuple sans peur [Frente Povo Sem Medo – front d’organisations et de partis, constitué en octobre 2015, dont l’un des dirigeants les plus connus est Guilherme Boulos]. Mais peu ou rien n’est explicité quant au contenu de l’unité fondamentale pour défendre les droits des travailleurs. Cette question est fort éloignée des préoccupations des sommets du PT. Pour les blogueurs Lulista, «l’unité de la gauche» est synonyme de soutien électoral apporté à Lula.
Les droits des travailleurs ne peuvent pas attendre les élections. En février 2018, la réforme de la sécurité sociale sera soumise au vote du législatif. Quels sont les plans du PT et de la CUT (Centrale unitaire des travailleurs) pour résister et battre l’attaque contre les retraites des travailleurs et travailleuses? Est-ce qu’ils (PT et CUT) vont appeler les gens à se battre? Est-ce qu’ils vont relancer une journée de grève nationale ou vont-ils reculer comme ils l’ont fait après la grève générale du 28 avril 2017? Vont-ils construire l’unité de la classe laborieuse pour mettre en échec cette contre-réforme? Ou l’appel à l’unité de la gauche n’est-il valable que pour réclamer des votes en faveur Lula?
Pour s’unir à gauche, il faut d’abord rompre avec la droite
L’argument selon lequel PSOL et Freixo font le «jeu à droite» quand ils défendent une alternative indépendante de gauche en 2018 est hypocrite lorsque les dirigeants du PT l’avancent. Comment peut-on parler d’unité électorale contre la droite alors que l’on sait que le PT négocie des alliances avec des partis et des «golpistes» dans les régions les plus diverses du pays, tant à l’échelle des Etats qu’à celle nationale?
Et il ne s’agit pas seulement des alliances bien connues avec la famille Sarney [José Sarney fut président de la République de 1985 à 1990, sénateur pour l’Etat d’Amapa durant 25 ans, etc.; il est inculpé pour corruption], avec Renan Calheiros [président du Sénat entre 2005 et 2007 et entre 2013 et 2017, inculpé pour corruption] et avec Kátia Abreu [à la tête de la Confédération nationale de l’agriculture, élue de l’Etat du Tocantin, comme les deux autres membres du PMDB].
Le parti de Lula, en plus d’être aux côtés du PMDB (Parti du Mouvement démocratique brésilien) dans l’Etat du Minas Gerais, négocie des coalitions avec le parti de Michel Temer [PMDB] dans cinq Etats de la région Nord-Est. En 2016, le PT a soutenu des candidats du parti d’Eduardo Cunha [PMDB, président de la Chambre des députés en 2015-2016, condamné pour corruption, en 2017, à 15 ans de prison] dans 648 villes brésiliennes.
La direction du PT disposerait de plus d’autorité pour parler de l’unité de la gauche si elle avait rompu avec la droite. Il est vrai que la lutte contre le «coup d’Etat» se résuma à un discours visant à impressionner le public de gauche. En fait, le projet de conciliation de classes propre au lulisme reste intact, tant dans le programme que dans la pratique des coalitions politiques. L’orientation reste exactement la même: s’allier avec des secteurs bourgeois pour gagner des élections et gouverner grâce à un pacte avec les anciennes élites.
Fait étonnant, la direction luliste n’a toujours pas remarqué que cette stratégie a lamentablement échoué avec le coup d’Etat parlementaire. Ce sont les alliances avec la droite qui ont ouvert les portes à l’ajustement néolibéral et à la suppression des droits sociaux et démocratiques. En outre, ce processus s’est approfondi lors du deuxième mandat de Dilma Rousseff (jusqu’en août 2016), ce qui a miné le soutien populaire que le gouvernement avait.
Michel Temer et Eduardo Cunha ne sont pas apparus comme un coup de foudre dans un ciel encore bleu. Ils ont grandi à l’ombre du gouvernement PT. Quand la marée a changé, les anciens alliés ont «trahi». Les petites concessions sociales du lulisme furent tolérées tant que la conjoncture économique le permettait. Lorsque le cycle de croissance a été épuisé, le scénario a changé radicalement. Finalement, la bourgeoisie a rompu avec le PT, mais, tragiquement, le PT n’a toujours pas rompu avec la bourgeoisie.
Lula a le droit d’être candidat, mais ne détient pas le monopole de la gauche
Le PSOL et Marcelo Freixo sont tous deux pour le droit démocratique de Lula à être candidat à la présidence, ce qui a été répété à plusieurs reprises [face à la droite qui tente de l’inculper pour empêcher sa candidature]. Il est évident qu’il s’agit ici d’un procès politique au moyen duquel un secteur de la bourgeoisie veut exclure le PT des élections en utilisant la voie judiciaire. La tentative de criminaliser Lula doit être répudiée par toute la gauche.
Mais le droit de Lula à être candidat ne doit pas être compris comme un soutien politique pour le PT.
La gauche socialiste n’accepte pas des alliances avec les golpistes; elle mise sur un programme anti-capitaliste de transformation du pays. Elle a un projet de pouvoir prenant appui sur la mobilisation des travailleurs, des travailleuses ainsi que des masses paupérisées. Elle refuse le financement des grandes firmes et des banquiers et ne fait pas des grands entrepreneurs et des maîtres de l’immobilier des amis estimés. Bref, cette gauche argumente concrètement que pour changer le Brésil, il faut développer une orientation de lutte de classes et non pas de conciliation de classes. Elle a le droit de participer aux élections avec son propre visage et de présenter ses idées et son programme. (Article publié sur le site esquerdaonline, le 3 janvier 2018; traduction A l’Encontre)