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    José Gotovitch, Du rouge au tricolore. Résistance et parti communiste

    Lien publiée le 10 septembre 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://dissidences.hypotheses.org/9749

    Un billet de Frédéric Thomas

    Ces dernières années, le Centre des Archives communistes en Belgique (CarCoB) s’est lancé dans un travail d’édition et de réédition, nécessaire et pertinent. Après le livre d’entretiens de Jean Lemaître avec un ancien dirigeant du Parti Communiste de Belgique (PCB), Louis Van Geyt, la passion du Trait d’Union : Regards croisés sur le Parti communiste de Belgique (1945 – 1985), et la réédition d’Octobre 1917 et le mouvement ouvrier belge, de Claude Renard1, le CarCob réédite, en effet, cet ouvrage initialement paru en 1992. Du Rouge au tricolore, issu de la thèse de José Gotovitch, défendue en 1988, constitue l’ouvrage de référence sur l’histoire du PCB au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

    L’interrogation centrale à laquelle ce livre entend répondre est, comme s’en explique l’auteur, la suivante : « Comment, par quelles voies, par quelle inscription dans le réel, un groupe tragiquement isolé et mis au ban de la société tant politique que civile en 1939-1940 a-t-il pu devenir un acteur social d’une importance telle qu’il catalysa les espoirs et les frayeurs de la Libération ? (…) Mais cette question en commande une autre : comment et pourquoi cet acteur capital de la période 1944-1946 disparut-il aussi rapidement de la scène décisionnelle et se marginalisa-t-il politiquement, sans que disparaissent par ailleurs les fantasmes qu’il avait éveillés ? » (p. 11-12).

    1. La guerre, le communisme et la Belgique

    Dans les premières pages, l’auteur revient brièvement sur l’histoire et la place du PCB dans la société belge de l’entre-deux-guerres, jusqu’à la signature du pacte de non-agression germano-soviétique fin août 1939. Et de noter, à propos du PCB, qu’il réalisa alors le tournant « en soldat discipliné de l’Internationale », et qu’« en une quinzaine de jours, on est passé de l’ennemi principal, Hitler, à la mise sur le même pied de deux impérialismes rivaux [germanique et anglo-saxon] » (p. 71-72). Au fil des chapitres, le lecteur croise régulièrement et longuement, le Hongrois Andor Berei, agent de l’Internationale communiste (IC), en charge du suivi du PCB, et qui joua effectivement un rôle important en Belgique de 1934 à 1946. À noter d’ailleurs que l’essai est pourvu d’un important répertoire biographique.

    La thèse (convaincante) de José Gotovitch est « que la pratique militante et l’engagement sur le terrain, plus que toute directive, vont permettre de dégager assez rapidement l’ennemi principal, puis unique, perçu comme tel par l’ensemble du Parti » (p. 109). Ainsi, dès janvier 1941, dans des thèses à usage interne, est saluée – saluée et légitimée –, la résistance patriotique. Et ce même si elle demeure entachée d’un vice fondamental : « la bourgeoise anglophile [qui] y joue le rôle essentiel ». Pour le PCB, ce rôle revient à la classe ouvrière elle-même, par le truchement de son Parti. Il n’empêche que c’est bien l’occupant qui, à partir de ce moment-là, est désigné comme le responsable principal (p. 120-121). En mai 1941, la « Grève des 100.000 », que les communistes n’ont pas déclenchée, mais dont ils ont assuré une prise en charge immédiate et qu’ils ont contribué à étendre, marque une étape dans l’évolution du PCB. Dès le mois suivant, apparaît dans le mensuel clandestin, Le Drapeau Rouge, la formule du « front pour (de) l’indépendance », renversant l’ordre de l’émancipation : nationale et sociale, plutôt que sociale et nationale (p. 134). Suivant en cela l’évolution collective de l’Internationale, mais avec des spécificités locales ; spécificités qui apparaissent avec évidence par rapport au cas français. Il en va ainsi du fédéralisme et du mutisme du programme belge sur l’après-guerre (p. 135). Or, « la volonté de ne pas prendre attitude sur le futur, le refus de préparer les lendemains, laissera inévitablement la place à ceux qui s’y étaient consacrés » (p. 336).

    L’évolution du PCB l’a donc conduit « à définir une politique qui situe toutes les actions qu’il mène depuis l’occupation dans une seule perspective de la lutte pour l’indépendance. (…) C’est en mai [1941] qu’il définit avec clarté l’objectif, les moyens et l’instrument de cette politique : un large front de lutte pour l’indépendance, pluraliste et populaire » (p. 139).

    1. La Résistance

    L’interdiction officielle du PCB ne tombe que le 25 août 1941, mais celui-ci est en butte à la répression depuis le 22 juin, jour de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie. « On assiste alors à un déplacement spectaculaire du champ investi, par l’adoption d’une liturgie patriotique » (p. 174). Déplacement qui ne cessera d’être confirmé et réaffirmé : « La lutte pour l’émancipation du prolétariat s’identifie aujourd’hui avec la lutte pour la libération du pays » souligne ainsi un numéro spécial du Guide du militant, en août 1942 (p. 294-295).

    Les actions du Parti sont protéiformes et offensives. L’auteur en offre un éventail représentatif, depuis le militantisme au sein des entreprises jusqu’à la mobilisation des réfractaires au travail obligatoire en Allemagne, en passant par l’action armée, tout en revenant sur l’organisation interne du Parti, et en se focalisant sur sa fédération bruxelloise. Les femmes jouent un rôle essentiel dans les manifestations de rues, même si, « à l’exemple de l’IC », le PCB « développe une conception de l’action militante féminine conforme aux canons de l’époque » (p. 143). La première victime – un collaborateur exécuté suite à l’envoi d’un colis piégé – du PCB date d’octobre 1941 : « l’action violente contre les biens et les personnes figure désormais dans la panoplie du PCB. Plus encore, une structure secrète a été mise en place au sein même de la clandestinité et s’est manifestée » (p. 179). Le Parti se situe encore à ce moment-là à contre-courant de l’opinion publique, y compris de l’opinion patriotique. D’où un certain isolement (p. 195). José Gotovitch met également en évidence le caractère atypique des « premiers « guérilleros urbains » » : « des intellectuels communistes bruxellois, issus pour la plupart de milieux aisés, souvent officiers de réserve, qui mettent compétence et relations au service de l’organisation » (p. 188).

    À partir de la fin 1942, avec l’intensification des attentats2 – 60 attentats ont été commis contre des collaborateurs dans la seconde moitié de 1942, et entre le 23 décembre et le 12 janvier 1943, six membres de l’armée allemande sont tués –, la répression s’abat plus impitoyablement encore (p. 204-205). En juillet 1943, le Parti est pratiquement décapité et une grande partie de sa direction est arrêtée ; « démonstration tragique de la centralisation à outrance » (p. 355). Mais la répression se double d’un événement plus traumatisant encore : l’un des plus prestigieux membres du Comité central, Paul Nothomb3, brisé par la torture, décide de collaborer. Et il est suivi par quatre dirigeants notoires (Relecom, Leemans, Van den Boom, Joye), qui passent un compromis, sous forme de capitulation politique, avec la Gestapo. La volonté de protéger le parti du discrédit qu’entraînerait la connaissance d’un tel scandale, mais aussi, l’auteur y insiste, la conception et le fonctionnement sous le mode de la « famille », font que le secret sera bien gardé, des décennies durant. « Le tabou le plus rigoureux pèse donc sur « l’affaire ». Brisé en 1954 à l’intérieur du Comité central, il tient publiquement encore jusqu’en 1981, quand Jacques Grippa l’évoque dans ses mémoires [Chronique vécue d’une époque 1930-1947, Anvers, EPO, 1988] » (p. 362)4.

    Sous l’égide du Front de l’indépendance (FI), le PCB opère « une reconstruction de la société qu’il veut représentative de la Belgique patriote et résistance et qui s’articulerait autour de lui » (p. 515). Et, de fait, « le FI va profondément marquer le paysage de l’occupation et conférer par là-même au Parti communiste le statut d’acteur effectif de l’histoire de la Belgique » (p. 235). Mais la force réelle du FI, sur laquelle le PCB avait tant misé, n’est que circonstancielle (p. 520). D’une part, « Le FI rassemble, il ne fédère pas, ou fort peu » (p. 444). D’autre part, il rassemble des personnes plutôt que des mouvements. Alors que les communistes visaient prioritairement à attirer les socialistes, ceux-ci se dérobent5. A contrario, le parti libéral [droite] se retrouve à tous les niveaux de la nébuleuse FI. Cela s’expliquerait, selon l’auteur, par le fait que « n’ayant pas de concurrence à craindre, il [le parti libéral] peut s’identifier pleinement aux objectifs du FI » (p. 443). Enfin, au fur et à mesure du succès du FI et de son rayonnement, les « communistes en perdent très largement le contrôle sur le terrain » (p. 289). À tout cela, s’ajoute le fait que le concept stratégique central du FI, sensé constituer la « démarcation fondamentale » avec les autres mouvements de résistance, à savoir, le « Soulèvement national », ne put jamais se traduire dans la pratique (p. 245). Cette perspective, sur laquelle toute la stratégie communiste fut construite, se déroba du fait de la libération éclair de la Belgique.

    1. La Libération

    Le mot d’ordre du PCB à la Libération – une grande partie du pays est libérée au cours du mois de septembre 1944 –, « L’ordre démocratique », traduit bien sa vision (p. 415). Mais il se méprend sur ses moyens d’action. Sa force d’attraction est indéniable, son rayonnement évident. Cependant, il est en butte à la réticence des Alliés6 et à l’hostilité des partis traditionnels, qui vont opérer envers le PCB une « politique globale de containment » (p. 459). L’enjeu (et le désaccord) au cœur de la Libération tient au rôle même des organisations de la Résistance.

    Le gouvernement mis en place, ainsi que les Alliés, refuse de laisser les organisations résistantes se mêler des questions de gestion, de maintien de l’ordre, de punition des traîtres (p. 448). Les socialistes, par exemple, récusent « le droit à toute organisation de résistance de s’immiscer dans les questions du maintien de l’ordre et du ravitaillement » (p. 420), affirmant être le seul parti « capable de faire accomplir la révolution sans passer par l’émeute » (p. 504). Manière plutôt d’enterrer la révolution en agitant la peur de l’émeute. Quoi qu’il en soit, le cadre est donc mis en place « qui exclut l’intervention populaire dans la reprise politique et administrative du pays » (p. 458).

    À partir de fin septembre, et pour la première fois dans l’histoire de la Belgique, le PCB participe d’un gouvernement. Mais, comme le souligne l’auteur, Félix Coenen, rédacteur en chef duDrapeau Rouge, est alors « le seul à poser le problème en termes de classes, à situer l’analyse dans une perspective historique » ; notamment « la volonté équivoque des autres forces politiques d’associer le PC au gouvernement » (p. 488). Très vite d’ailleurs, les désaccords se multiplient et s’intensifient. Le PCB opte pour la stratégie de la tension, qui aboutit à la manifestation du 25 novembre 1944, où des coups de feu sont échangés : « la tentative de faire tomber le cabinet Pierlot s’était heurtée à la volonté du gouvernement de ne pas paraître céder à la rue » (p. 500). En quelques semaines, le PCB a ainsi perdu une grande partie de son aura…

    Ce sont aussi la nature des adhésions au PCB et le contour de son rayonnement, qui expliquent que sa force était de circonstance. S’étant, pendant des années, voulu le champion de la Résistance et du patriotisme, en ayant pris soin d’évacuer toute référence publique et explicite à la lutte de classes, le PCB arrive à la Libération vierge « d’un programme quelconque allant au-delà de cette volonté affirmée : châtier les traîtres, rétablir et protéger la démocratie, assurer au Parti communiste la place due à son action au sein du concert démocratique » (p. 416). Or, ces revendications « ne résolvent aucun des problèmes du jour et surtout ne tracent aucune perspective » (p. 520). Au vu du caractère pragmatique du PCB, on peut même se demander si la lutte patriotique n’a pas été adoptée d’autant plus facilement qu’il permettait aussi de couvrir avantageusement l’absence de toute réflexion théorique au sein du Parti.

    Ce livre, agrémentés de photos et d’annexes, intelligent et sensible à la fois, qui plus est écrit dans un style agréable à lire, constitue une synthèse précieuse et éclairante du rôle et de la place des communistes dans la Résistance en Belgique. Tout juste peut-on regretter l’absence d’une chronologie et d’un succinct tableau des forces en présence au cours de l’Occupation pour mieux rendre compte du champ social et politique belge de cette période.

    1On lira les compte-rendus de ces deux ouvrages sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/wp-admin/post.php?post=6655&action=edit pour le premier ouvrage, https://dissidences.hypotheses.org/wp-admin/post.php?post=8543&action=edit pour le second.

    2Intensification qui n’est pas étrangère à l’appel lancé le 1er décembre 1942 par l’IC à ses diverses sections de préparer le « soulèvement national ».

    3Paul Nothomb (1913-2006) devient communiste en 1930, à l’âge de 17 ans, combat en Espagne comme aviateur avec André Malraux (qui, dit-on, le peignit sous les traits d’Attignies dans L’Espoir) avant de devenir un cadre important du PCB. Son autobiographie romancée, Le Délire logique, est parue aux éditions Phoebus en 1999. On notera, incidemment, qu’il est le grand-oncle de la romancière Amélie Nothomb.

    4L’auteur revient sur cette affaire dans une annexe du livre.

    5L’hostilité, la virulence des attaques récentes de part et d’autre, la défiance… autant d’obstacles à un rapprochement. Et l’auteur de noter : « Plutôt que de rapprochement, il est plus correct de parler de non-belligérance quant au langage adopté par les socialistes à l’égard de l’URSS et des communistes dans leur presse clandestine. Et les combattants soviétiques sont certainement mieux perçus que les communistes belges » (p. 297).

    6Notons que ce n’est qu’au cours de l’été 1943, que le contact du PCB avec Londres est établi.