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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En mobilisant les maires des petites villes et des communes rurales, « premiers de corvée » et « oubliés de la République », Macron mise sur l’échelle municipale pour relayer sa tentative d’enfumage. Simple courroie de transmission de l’exécutif jusqu’ici, l’échelle communale ne pourrait-elle pas être retournée comme une crêpe et transformée en espace d’émancipation politique et sociale ? Ainsi, à Commercy ou dans les assemblées des « maisons du peuple », la dimension constructive des Gilets jaunes ne propose-t-elle pas finalement « une autre commune en marche », loin de la fanfaronnade présidentielle ? Dossier.
Faut croire que c’est plus fort que lui : « C’est moi qui donne le micro, parce que c’est pas une communauté autogérée ! », plaisante Emmanuel Macron sur un ton de colon paternaliste en retirant le micro des mains d’un élu d’outre-mer lors d’une séance du « grand débat » le 1er février.
À rebrousse-poil de cette mise en scène, 75 délégations venues de l’ensemble du territoire s’étaient réunies dans la Meuse, à l’appel de l’assemblée des Gilets jaunes de Commercy les 26 et 27 janvier : « Ensemble, créons l’Assemblée des assemblées, la Commune des communes. C’est le sens de l’Histoire, c’est notre proposition. »
Rejet de la politicaillerie
Force est de constater que les mouvements sociaux actuels, urbains comme « périphériques », semblent exprimer un même rejet des modes de « gouvernance » libéraux-autoritaires qui limitent la politique à une représentativité sans contrôle du « citoyen », « ne lui laissant que le loisir d’élire des candidats de plus en plus identiques et, éventuellement, de participer à des consultations très médiatisées dont les résultats ne seront jamais pris en compte [1] ».
Un an avant la colère des Gilets jaunes, en novembre 2017, une étude publiée dans Le Monde indiquait que plus de 40 % de Français étaient « enclins à essayer un système politique alternatif à la démocratie [représentative] ». Parmi eux, si 20 % penchaient pour des systèmes autoritaires, pour 40 % autres, l’alternative était dans « un système participatif, horizontal, proche du conseillisme qui avait hanté le mouvement révolutionnaire au début du XXe siècle ».
Mais c’est un autre concept atypique, et par ailleurs connexe, qui commence à s’immiscer dans un champ politique complètement verrouillé : celui du municipalisme libertaire. Théorisé par Murray Bookchin [voir p. IV], penseur de l’écologie sociale, le municipalisme ne reporte pas l’action politique au Grand Soir mais veut « restaurer les pratiques et les qualités de la citoyenneté afin que les femmes et les hommes prennent collectivement la responsabilité de la conduite de leurs propres [territoires], suivant une éthique du partage et de la coopération, plutôt que de s’en remettre à des élites [2] ».
Zones d’autonomie
Le principe emprunte d’ailleurs à de multiples exemples historiques [voir p. II-III] : la cité antique, les communes médiévales qui s’affranchissaient de la féodalité et de la monarchie, les town meetings (assemblées communales) de la Nouvelle-Angleterre au moment de la guerre d’indépendance américaine, les sections parisiennes de la Révolution française ou encore la Commune de 1871, etc.
L’idée communaliste s’inscrit aussi fortement dans la tradition anarchiste. En 1902, Pierre Kropotkine envisage « que chaque ville devra, par elle-même, prendre l’initiative d’une expropriation socialiste et que la première tâche de toute ville en révolte consistera à organiser l’approvisionnement, par la Commune, de toutes les premières nécessités de la vie : habitations, nourriture, et vêtements essentiels [3]. » Bookchin s’inscrit lui-même dans cette perspective : « Lorsqu’on aura créé ces démocraties directes, les municipalités démocratisées pourront être réunies dans des confédérations capables de s’attaquer enfin au capitalisme et à l’État-nation, pour aboutir à une société anarchiste, écologique et rationnelle. [4] »
Aujourd’hui, les expériences municipalistes qui commencent à prendre forme aux quatre coins du globe se veulent des alternatives au rouleau compresseur de la mondialisation : dans les « mairies rebelles » d’Espagne, où des plateformes citoyennes ont remporté plusieurs élections municipales en 2015 [5], comme dans les zones d’autonomie zapatistes du Chiapas [voir p. IX] ou au Rojava avec la tentative d’instaurer un confédéralisme démocratique [voir p.VIII].
Ces pratiques, expériences et réflexions partagent une même volonté d’explorer les multiples pistes de la démocratie directe : assemblées de quartier, institutions participatives, soutien à l’économie sociale et solidaire, consultations d’initiative populaire, féminisation de la politique, droits des étrangers, éducation populaire, municipalisation des services publics, de l’énergie, écologie sociale, etc.
Droit à la ville et luttes urbaines
« Un élément récurrent à travers les multiples exemples frappe aux yeux : toutes ces alternatives désirables, viables et atteignables ne renvoient pas d’abord à l’échelle nationale de l’État, mais à l’échelle locale et municipale. » [6] Si ces expérimentations s’inscrivent sur un territoire (et non sur une identité), c’est que le lieu où l’on habite – ville, quartier ou village – est potentiellement l’espace de la réappropriation collective de l’autonomie politique et sociale, bref, de nos vies… « Le droit à la ville ne se réduit pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est un droit collectif à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher », écrit le géographe David Harvey [7].
Cependant, à travers la démarche municipaliste se posent aussi les contradictions analysées par le sociologue Henri Lefebvre [8] à propos de la ville, à la fois espace de jeu et de libération mais aussi centre du pouvoir, du contrôle et de la ségrégation. Ainsi, à peine envisagé, l’intérêt actuel pour le municipalisme ne recèle-t-il pas à son tour quelques pièges de la vieille politique ? Notamment, derrière les faux-semblants d’un mieux-disant citoyenniste ou d’une vitrine alternative, une tentative d’encadrement et d’intégration des luttes urbaines par des forces politiques en quête d’une nouvelle légitimité ? À Grenoble, par exemple, la pilule du municipalisme prétendument participatif de l’équipe Piolle semble dure à avaler [voir p. X]. À Saillans, l’expérience participative nourrit de l’enthousiasme mais connaît aussi ses limites et ses épuisements [voir p. V]. À Barcelone, face au monstre spéculatif, ce sont surtout les outils juridiques qui manquent pour répondre à une crise du logement qui touche les plus démunis [voir p. VI-VII].
Reste à envisager une autre hypothèse communaliste qui s’affranchirait du cadre institutionnel. Une plateforme barcelonaise anonyme invite à « construire des bases rouges sur le territoire » : « Si quelque chose a la capacité de fissurer le capitalisme, c’est notre capacité à construire des formes de vie en mesure de s’opposer aux valeurs qu’il impose... » Et d’établir « une éthique politique commune » pour pallier les défaillances de l’État grâce au maillage quartier par quartier d’auto-institutions populaires : syndicats de quartier, coopératives, écoles populaires, bars et centres sociaux…
Toujours partir de la base. Comme le résumaient deux universitaires, proches de l’actuelle municipalité de Barcelone : « Quiconque essaye de construire une maison en commençant par le toit se retrouvera sans maison, sans voisinage et sans personne. Et sans personne, la révolution est impossible. [9] »
Mathieu Léonard