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Sur le terrain, les "utopies concrètes" font vivre la décroissance
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/sur-le-terrain-les-utopies-concretes-font-vivre-la-decroissance
Si les « utopies concrètes » se multiplient – monnaies locales, circuits courts... – la décroissance est plus discrète sur le terrain des idées. Les auteurs de cette tribune appellent à la vigilance : pour éviter leur récupération par le système marchand, « les réflexions ne doivent pas rester cantonnées aux cercles militants ».
Gwenhaël Blorville est docteur en sociologie et rédacteur en chef de La Gazette de Gouzy –- le journal dessiné de la décroissance. Paul Ariès est politologue et délégué de l’Observatoire international de la gratuité. Vincent Liegey est essayiste, coauteur d’Un Projet de décroissance (Éditions Utopia, 2013). Tous deux sont parrains de cette gazette militante et gratuite.
Presque vingt ans après son apparition, la décroissance se fait en apparence plus discrète. L’idée de remettre en cause la croissance économique comme fin en soi n’a cependant pas disparu, loin s’en faut. Si le terrain des idées se fait moins visible, il n’est pas déserté pour autant mais l’heure est désormais aux « utopies concrètes » locales. Les expérimentations sur le terrain foisonnent : des monnaies locales aux circuits courts, en passant par le retour de communs, d’ateliers de réparation ou encore de zones de gratuité... La décroissance infuse lentement des pans entiers de la société.
La décroissance, un mouvement irrécupérable par le capitalisme
Le terme de décroissance est un « mot obus », un slogan provocateur qui présente l’intérêt certain et non négligeable d’être difficilement récupérable par le capitalisme. Ce dernier, dans sa dynamique d’expansion, s’est toujours accompagné d’une récupération d’une partie des idées des mouvements qui le contestent, tendance manifeste après Mai 68 et qui se retrouve aujourd’hui avec le « développement durable ». Contrairement à une idée reçue, le développement durable s’est construit en opposition radicale à une écologie populaire et émancipatrice qui pointe du doigt le productivisme et le consumérisme — le « produire toujours plus pour consommer toujours plus » –- comme responsable des diverses crises que nous traversons. Le processus conduit toujours au même résultat : relégitimer le système dominant aux yeux du plus grand nombre et désarmer la critique. Tout peut s’intégrer dès lors que l’on ne touche pas à la sacro-sainte croissance économique !
Le passage aux expérimentations concrètes impose néanmoins de rester vigilant ! Le pouvoir de récupération de l’économie du « toujours plus » ne doit pas être sous-estimé. La mise en pratique implique des « possibles » et des « choix », processus qui conduit à une riche diversité, parfois à des divergences. Si le système marchand a échoué à récupérer l’idée de décroissance, c’est peut-être sur le terrain des « utopies concrètes » qu’il pourrait parvenir à prendre sa revanche.
Demandons-nous ce qui, dans les choix collectifs, est le plus indigeste possible pour le capitalisme
Les expérimentations nourrissent les réflexions et débats plus théoriques autour de la décroissance. Celles de gratuité, en France et à travers le monde, que ce soit dans des domaines aussi variés que l’eau, les transports en commun, la santé ou la restauration scolaire, sont par exemple la source de l’appel collectif récent « Vers une civilisation de la gratuité » [1]. Et si la gratuité était construite de façon systématique et devenait le levier stimulant d’une transition sociale et écologique émancipatrice ?
La richesse de la décroissance, c’est en effet d’essayer d’articuler différents niveaux d’action : la « simplicité volontaire », la mise en place d’alternatives, la construction de récits autour de futurs désirables et possibles, la résistance à l’ordre établi. À l’enthousiasme du « faire ensemble », des liens sociaux réels et des expérimentations « conviviales » s’ajoute une interrogation constante : se demander ce qui, dans les choix collectifs, peut être le plus « indigeste » possible pour le capitalisme.
La diffusion la plus large possible des idées de la décroissance constitue sans doute le meilleur antidote au risque de perte de l’esprit initial des expérimentations lancées. Il importe que les réflexions ne restent pas cantonnées dans les cercles restreints des militants. À côté des interviews et tribunes de certaines figures de la décroissance, aux livres-manifestes et aux ouvrages de vulgarisation, il convient de faire essaimer des médias plus grand public.