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La gauche ne peut se rassembler sur des dialectiques creuses
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Pour les européennes, le PS n’a pas trouvé meilleure issue que de filer à Raphaël Glucksmann les clés du camion. A la bouche, le rassemblement, à l’esprit, le néant.
Les attaques contre le nouveau chef de file de la gauche « rassemblée », Monsieur Glucksmann, se multiplient ces derniers jours pour d’excellentes raisons. La capture de Place publique (« Placement privé »), l’alliance avec le Parti socialiste, la stratégie de déploiement personnel s’appuyant, depuis le premier jour, sur d’innombrables connivences médiatiques, sont parmi ces raisons. Mais qu’en est-il alors du fond ? Qu’en est-il des « idées », dont Monsieur Glucksmann, avant tout essayiste, ne cesse de répéter qu’il faut partir ? C’est là, peut-être, que cette gauche « rassemblée » est la plus décevante.
Partons donc des idées. Le logiciel sur lequel s’est réalisée l’alliance de Place publique et du Parti socialiste consiste, pour l’essentiel, à dénoncer un « face-à-face mortifère entre le libéralisme et le nationalisme ». D’évidence, pourtant, cette présentation – qui n’est pas sans rappeler l’opposition entre les « progressistes » et les « nationalistes » dans le discours de la majorité – est politiquement creuse, pour ne pas dire fautive.
La critique de pure idéologie contre le « libéralisme » n’est pas seulement creuse : elle se trompe d’adversaire
Commençons par le « libéralisme », premier protagoniste de cette dialectique « mortifère » dont il s’agirait de sortir. Quel sens cette mise en cause peut-elle avoir, au lendemain de la loi « anti-casseurs » qui constitue une régression sans précédent de la liberté de manifester ? Quel sens peut-elle avoir lorsque l’état d’urgence, atteinte exceptionnelle aux libertés publiques, est devenu un état permanent ? Quel sens peut-elle avoir lorsque la presse et les partis d’opposition sont sans cesse mis en cause, judiciairement y compris, dans l’exercice de leur liberté d’informer, de leur capacité à s’opposer ?
On voit où cette critique veut en venir : le capitalisme, le néolibéralisme triomphants, détruisent les liens sociaux, ébranlent les fondements de l’ordre politique contemporain. Mais précisément, il semble que Monsieur Glucksmann et le Parti socialiste veulent (encore) éviter les mots qui fâchent. Pas question de s’en prendre à la racine des inégalités et de l’exploitation sociale. Pas question de réveiller le spectre du matérialisme historique ou de la lutte des classes, auxquels on les sait allergiques. En se donnant un adversaire symbolique, de pure idéologie, avec le mot-valise « libéralisme », Monsieur Glucksmann, qui aime d’autant plus les « idées » qu’elles lui permettent de ne pas parler des choses, contourne ainsi l’obstacle.
Le problème est qu’il se trompe de direction : le libéralisme au sens plein, c’est-à-dire politique, enfant de la Révolution française, est apparu à gauche et il est aujourd’hui écrasé. Non par les « populistes » (autre signifiant creux), mais par l’actuel pouvoir. Les libertés publiques sont plus que jamais nécessaire pour permettre l’expression politique de chacun, à commencer par celle des mouvements sociaux. De ce point de vue, la critique de pure idéologie contre le « libéralisme » n’est pas seulement creuse : elle se trompe d’adversaire.
Mettre en cause le nationalisme sans rechercher concrètement ce qu’il recouvre, c’est oublier l’histoire commune qui nous rassemble et que la gauche a contribué à façonner
Monsieur Glucksmann soulève alors un autre épouvantail : le « nationalisme » devrait être à son tour combattu. « En même temps », pourrait-on ajouter. Sans doute s’agit-il, avec cette mise en cause, de faire jouer au programme de La France insoumise, autant qu’à celui du Rassemblement national, le rôle d’un repoussoir moral. Sans doute s’agit-il également de promouvoir, en contrepoint, l’idée européenne, dont l’avenir apparaît aujourd’hui incertain.
Toujours est-il que là encore, le raccourci est fautif. Car le nationalisme lui aussi, dans ses formes plurielles – parfois autoritaires et belliqueuses, parfois démocratiques et pacifiques – nous vient tout droit de la Révolution française. Le mettre en cause sans rechercher concrètement ce qu’il recouvre, c’est oublier l’histoire commune qui nous rassemble et que la gauche a contribué à façonner. C’est oublier l’attachement ancien et légitime qu’ont les Français pour leur nation, qui est leur fonds commun et leur pacte social. C’est oublier que cette cohésion de la nation française est le socle grâce auquel, plus de cent ans après la création, en 1914, de l’imposition sur le revenu, la plupart des contribuables continuent aujourd’hui à s’acquitter de leurs impôts. Jusqu’à preuve du contraire, cette cohésion et ce consentement font cruellement défaut à l’échelon européen. Et l’on voit mal ce que sera l’Europe démocratique, écologique et sociale, si elle refuse de prendre appui sur les nations.
Se tromper sur les mots, passe encore. Se tromper sur les choses, en revanche, c’est à coup sûr avancer à tâtons. Si l’union de la gauche est une initiative louable et nécessaire, elle ne pourra se faire que sur des bases solides – et non sur des dialectiques creuses.
François Expert, normalien, étudiant en droit et en philosophie