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Begaudeau et Arifi sur les élections européennes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Mon ami Yazid Arifi, rencontré autour de l’Ecole démocratique de Paris, m’a soumis l’idée d’écrire ensemble une tribune sur les piteuses élections qui s’annoncent. La voici.
Boycottons l’élection européenne
Alors que la France vit le mouvement social le plus long de l’après-guerre, réprimé sans scrupule par un régime qui a fait du peuple son ennemi, la préoccupation centrale de l’ensemble des formations politiques françaises est la compétition électorale continentale, qui va mobiliser leurs énergies militantes et leurs ressources matérielles et financières jusqu’au 26 mai.
Lesdites formations vont s’affronter pour obtenir un maximum de sièges au sein d’un des parlements les plus faibles de la planète. Privé de toute forme d’initiative législative au profit de la Commission européenne (l’exécutif européen, composé de commissaires non élus et désignés par les Etats-membres), partageant ses minces prérogatives avec le Conseil de l’Union européenne (regroupement des ministres des Etats-membres), le Parlement de Strasbourg est à la mesure de l’ambition démocratique de l’Union européenne : inexistant.
Dans ce contexte, quel sens peut-il y avoir à s'engager dans une telle élection ?
Pour les partis et mouvements de l’ordre établi, qu’ils soient de droite plus ou moins extrême, du centre ou socio-démocrates, rien de plus profitable que de prendre part à cette mascarade capitalo-parlementaire. En effet, l’occasion est parfaite pour offrir à des caciques des opportunités de carrière enviables, sans prise de risque politique et aux frais d’un contribuable européen tenu soigneusement ignorant de la gestion de ses deniers à Bruxelles et Strasbourg. Lorsqu’on a fait de la politique un métier et que la réussite se chiffre en euros, cette Europe est, du point de vue du rapport coûts-bénéfices, une très bonne affaire.
Ces mêmes forces, réellement de droite ou faussement de gauche, s'accommodent tout à fait de l’essence oligarchique d’une « Union » construite par et pour la classe dominante. En cela elles perpétuent leur tradition politique, la même que celle des prétendus “pères de l’Europe”, tous éminemment conservateurs (CDU allemande, Démocratie chrétienne italienne, Parti conservateur britannique, MRP français…). Du plan Marshall au Traité de Lisbonne, en passant par la participation à l’OTAN et les plans austéritaires ignominieux imposés aux pays du Sud depuis 2010, cette Europe accomplit sa vocation de syndicat des puissances de l’argent, au mépris de la volonté populaire qui l’a rejetée dans les urnes à maintes reprises. Que les porte-coton du capital se mettent en branle pour faire élire un maximum de député-e-s européen-ne-s est donc dans l’ordre des choses.
En revanche, la participation aux européennes des formations de gauche ne repose que sur une illusion persistante. Irrémédiablement attaché à un idéal européen chimérique et hors-sol, tout un pan de la gauche continue à rêver éveillé d’une Union européenne enfin devenue démocratique et sociale, plus de 40 ans après les premières promesses d’une autre Europe par le Parti Socialiste d’alors. Des décennies entières de construction européenne pilotées par le camp du capital sans aval démocratique ne l’ont pas décillée. Elle s’en va donc à nouveau attaquer des moulins, avec en étendard le mantra de “l’Europe des peuples”. Que celle-ci n’en soit qu’au stade de l’avant-projet, 70 ans après le traité de Paris instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, ne semble donc pas porter la gauche, branche radicale comprise, à la conclusion qui s’impose : l’Europe sociale n’aura pas lieu.
Conjuguée aux disparités économiques, sociales et démographiques, l’absence d’une communauté politique européenne authentique rend illusoire toute convergence des différents pays. La construction européenne est vouée à demeurer l'apanage des dominants. Continuer à croire à cette Union, dont l’objectif même est de subordonner les espaces souverains à la technocratie bruxelloise elle-même sous influence(s), revient à se rendre complice de la destruction méthodique des sociétés qui survivent tant bien que mal sous sa coupe. Les salaires, les services publics, le tissu industriel, l’agriculture paysanne : tout y passera. Tout doit disparaitre.
Prenant acte du caractère irréformable de l’Union européenne, convaincus que l’avènement d’une souveraineté populaire passe par une sortie du capitalisme, nous boycotterons l’élection européenne qui se tiendra le 26 mai, et appelons les citoyen-ne-s du continent à en faire autant. Parallèlement nous voyons dans l’abstention record qui se profile l’occasion de constituer un large front continental d’opposition radicale à l’UE et de promotion d’une nouvelle forme de coopération internationale, attachée à multiplier les points de contact non-marchands et non-militaires (culturels, scientifiques, intellectuels, touristiques, sportifs) entre les pays d’Europe, ainsi qu’avec les voisins africains et asiatiques, dans le respect du droit de chaque peuple à décider de son destin.