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    "Il y a eu une mésinterprétation par La France insoumise du vote de 2017"

    France-Insoumise

    Lien publiée le 5 juin 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.regards.fr/politique/article/il-y-a-eu-une-mesinterpretation-par-la-france-insoumise-du-vote-de-2017

    19,58%... 11,03%... 6,31%. En deux ans, La France insoumise a vu ses résultats électoraux chuter. Pourquoi ? Comment ? Où sont passés les sept millions d’électeurs de « JLM 2017 » ? Quel rapport entre la ligne politique et l’électorat ? Éléments de réponse avec Rémi Lefebvre et Mathieu Gallard.

    Dimanche 26 mai, après des semaines de sondages annonçant La France insoumise (LFI) proche voire au-delà des 10%, le résultat des urnes est sans appel : 6,31%. Tout juste 25.000 voix devant le Parti socialiste emmené par Raphaël Glucksmann. C’est ce qu’on appelle une douche froide. Pour la plupart des insoumis, cette déconvenue électorale s’explique par la ligne. Mais c’est là que le bât blesse. De quelle ligne parle-t-on ? Dans la Midinale de Regards, le 28 mai dernier, Raquel Garrido arguait : « La ligne Autain a été mise en œuvre lors de cette élection européenne. Et elle a pris 6%. »

    La ligne, la ligne… Quelle est-elle la ligne ? A-t-elle changé entre 2017 et 2019 ? Que s’est-il passé pour que LFI flirte tout juste avec le score du Front de gauche des européennes de 2014 (6,33%), là où chacun espérait voir plutôt celui de la présidentielle de 2017 (19,58%) ou, au pire, celui du premier tour des législatives (11,03%) ? Et, finalement, quel est le lien (et l’écart) entre la ligne affichée et le comportement de l’électorat ?

    Mathieu Gallard est directeur d’études à l’institut Ipsos. Rémi Lefebvre est professeur de Sciences politiques à l’Université de Lille et membre de la GRS.

    Regards. La gauche, aux élections européennes de 2019, peine à atteindre les 20% des suffrages – 32% si l’on compte EELV. Comment qualifieriez-vous l’état de la gauche ?

    Mathieu Gallard. Si on prend toute la gauche – et je pense qu’il faut compter EELV, car leurs électeurs se disent de gauche – on est à environ un tiers de l’électorat. C’est plus que lors de la séquence présidentielle/législatives de 2017 où on était à 25%. Et ça n’est pas fondamentalement beaucoup plus bas que pour les élections intermédiaires sous Hollande, où on tournait autour de 36-38%. En 2019, on a donc une gauche qui a récupéré une partie de ses électeurs captée par Macron en 2017. Mais tout ceci reste catastrophique d’un point de vue historique. Avant 2012, si la gauche tombait sous les 40% on considérait que c’était très mauvais.

    Rémi Lefebvre. On ne peut pas raisonner en agrégats de bouts d’électorat. 32%, là, on additionne les carottes et les navets. Le problème, c’est qu’on devient ventriloque après une élection : on fait parler les électorats et il y a dans les interprétations avancées beaucoup de spéculations qui sont en général conforment aux intérêts, aux projections de celui qui interprète. Les électorats sont de plus en plus volatiles et fragiles. On peut même se demander si la notion d’électorat existe encore. Les logiques de vote utile ou stratège minent la cohésion des votes collectifs qui sont de plus en plus hétérogènes. Quant aux européennes : il n’y a que 50% de participation et on universalise ces élections comme si elles avaient la même signification qu’une présidentielle. Leur portée politique est à nuancer. Les représentations de la gauche ne peuvent être construites sur un scrutin de second ordre comme celui là.

    « L’électorat de JLM 2017 est parti dans toutes les directions à gauche aux européennes »

    A la présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon avait obtenu 19,58% des suffrages. Deux ans plus tard, LFI est à 6,31%. Que s’est-il passé ?

    MG. Ce n’est pas un score très étonnant si on regarde ce que faisait LFI (ou avant le Front de gauche) lors des élections intermédiaires. Sous le mandat de Hollande, que ce soit pour les européennes, régionales, départementales, etc., ils naviguaient entre 6 et 8%. Alors qu’à la présidentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchon avait fait 11,1%. Quand l’élection est très personnalisée, comme la présidentielle, et que LFI est portée par Jean-Luc Mélenchon, qui est une figure charismatique et populaire à gauche, il fédère l’électorat de gauche et ça porte LFI. Sinon, il y a une plus forte dispersion de cet électorat. L’enjeu pour LFI à chaque élection intermédiaire, c’est de fidéliser son électorat. Mais ça ne fonctionne pas vraiment. De plus, parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2017, il n’y a que 45% de votants aux européennes. Ce sont ceux qui se sont le plus abstenus.

    RL. On voit bien qu’une bonne partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon se sont abstenus ou sont partis chez les Verts. Il y a à la fois une défection et une migration électorale. La question est de savoir pourquoi ? Parce que son électorat a pensé que la proposition de l’offre LFI n’était pas satisfaisante ou trop confuse ? Est-ce qu’il a jugé qu’il n’était pas opportun de se déplacer parce que, au fond, il n’y avait pas d’enjeux majeurs, que le scrutin n’était pas essentiel ?

    Entre 2017 et 2019, quelle a été la « fluidité » de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon au sein du « bloc de gauche » ?

    MG. Disons que c’est particulier à gauche parce qu’il y a beaucoup de listes. On a bien vu que son électorat de 2017 est parti dans toutes les directions à gauche, se dispersant sur cinq listes. Il n’y a qu’un gros tiers qui est resté, les autres sont partis notamment chez les écologistes et les communistes, mais aussi au PS et à Génération.s. Mais on constate la même chose pour l’électorat de Benoît Hamon. Beaucoup d’électeurs de gauche se considèrent d’abord « de gauche » avant de se dire « socialiste », « écologiste », « communiste » ou « insoumis ». Ils font leur choix parmi la gauche en fonction des personnalités des candidats, des enjeux de la campagne, etc. Les électeurs de gauche n’ont pas vraiment de préférence très forte entre les différents partis de gauche. C’est la même chose à droite, mais il y a moins de listes sur lesquelles s’éparpiller.

    « La stratégie populiste ne fonctionne pas vraiment pour LFI. »

    A en croire certains cadres de LFI, cette quatrième place en 2017 était due à leur stratégie « populiste », et le mauvais résultat des européennes à l’abandon de cette stratégie. L’électorat est-il si sensible aux stratégies politiques ?

    MG. En 2017, Jean-Luc Mélenchon a fait une OPA sur la gauche, enfin, sur une partie de l’électorat de gauche. C’était un électorat de classes moyennes inférieurs, de fonctionnaires, de salariés, etc. Un électorat classique de gauche. Il faisait 19% chez les cadres, 22% chez les employés, 23% chez les professions intermédiaires et 24% chez les ouvriers. Mais les catégories populaires, les ouvriers, n’y étaient pas sur-représentés. Le parti qui bénéficie de cet ancrage populaire, c’était et ça reste le RN. Marine Le Pen faisait 32% chez les employés et 37% chez les ouvriers. Aux européennes, ça n’a pas vraiment changé. LFI a reculé dans son électorat de 2017, sans gagner au sein des catégories populaires. Ils ont fait 11% chez les employés et 7% chez les ouvriers. Là encore, le RN fait 27% chez les employés et 40% chez les ouvriers. La stratégie populiste ne fonctionne pas vraiment pour LFI.

    RL. Est-ce que les gens votent sur une ligne ? Il y a un tropisme, un ethnocentrisme de classes politisées, un peu intellos, à projeter leurs catégories de pensées sur celles de l’électeur. Les débats de lignes politiques et de positionnements échappent à une très large partie des électeurs, ça ne les intéresse pas ou ils ne les maîtrisent pas. Ce qu’on peut dire c’est qu’il y a eu une mésinterprétation par LFI du vote de 2017. Jean-Luc Mélenchon a considéré qu’il était propriétaire des électeurs de la présidentielle – comme Yannick Jadot est en train de le faire avec ses 13% aux européennes. Il surestime la cohérence de ce vote et sous-estime le fait qu’il s’agit dans une large mesure d’un électorat de gauche assez classique. Or, comme l’a très bien analysé Bruno Cautrès dans Le Vote disruptif, le vote Jean-Luc Mélenchon de 2017, c’est trois choses : 1/ le vote des communistes et de la gauche radicale. 2/ les déçus du hollandisme. 25% des électeurs de Hollande 2012 ont voté Mélenchon 2017 (et 40% des électeurs écolos). 3/ une toute petite partie d’électorat populaire qui va au-delà de ces groupes. LFI a rallié en 2017 les électorats des partis de gauche, pas les partis de gauche, qui se sont autodétruits. Tout ça dans un contexte particulier où il était la seule alternative après l’implosion du PS, la désignation de Benoît Hamon à la primaire, la déshérence du PCF et le choix des écolos de s’aligner derrière Hamon. Que ce soit en 2017 ou aujourd’hui, l’électorat de LFI est classique sociologiquement et ne répond qu’imparfaitement aux catégories du populisme de gauche – qui sont aussi assez confuses parce que ledit « peuple » est traversée par des contradictions et des conflits.

    Finalement, n’y a-t-il pas un grand écart entre la stratégie affichée par LFI et son électorat ?

    RL. Il y a une forme d’illisibilité de la ligne de La France insoumise avec l’opposition artificielle entre « populisme de gauche » et « union de la gauche ». Mais cette illisibilité est aussi fonctionnelle. Elle permet de cumuler les électorats et une certaine agilité tactique. Dans les faits, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais tranché entre les deux stratégies. Il joue de l’une et de l’autre depuis 2017. Il est pris entre deux contradictions : d’un côté, il ne peut pas s’aliéner l’électorat de gauche traditionnelle qui est son socle, celui qui était censé fonder son leadership et lui permettre de rallier et d’entraîner ; d’un autre côté, il ne peut pas s’en satisfaire parce que c’est son plafond de verre et que cette gauche-là est minoritaire et divisée. Mais ce débat stratégique, c’est l’aporie de la gauche. Une gauche qui est bien dans une impasse, sociologique notamment. La vraie question est comment reconquérir les milieux populaires. Et quelles médiations la gauche construit pour les enrôler, les politiser, les mobiliser.

    MG. Je pense que l’électorat de LFI vote pour LFI pour exactement les mêmes raisons qu’il votait pour le Front de gauche. Je ne sais pas s’il y a un grand écart, mais cette stratégie n’est pas perçue, elle n’a aucun impact.

    Propos recueillis par Loïc Le Clerc