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    Anti-impérialisme et guerre populaire. Dialogue entre Yasser Arafat et Võ Nguyên Giáp

    Lien publiée le 12 juin 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.contretemps.eu/arafat-giap-palestine-vietnam/

    Lors de la première visite de Yasser Arafat à Hanoï, en 1969, celui-ci rencontra le général Giáp – héros de la résistance vietnamienne et notamment de la victoire de Điện Biên Phủ. Le magazine allemande Konkret – qui sera mis sous le feu des projecteurs lorsque, en 1970, l’une de ses journalistes, Ulrike Meinhof, rejoignit la Rote Armee Fraktion (Fraction armée rouge) – a été le premier journal européen à publier des bribes de cette discussion, dans son numéro du 21 mai 1970.

    Nous reproduisons ci-dessous la courte présentation qu’avait publiée Konkret à l’époque, suivie d’une traduction française inédite, par Selim Nadi, de cette discussion entre les deux résistants. 

    ***

    Israël deviendra-t-il un second Vietnam ? Après que son gouvernement ait refusé, malgré une résolution de l’ONU, de retirer son armée des territoires occupés, le Front de Libération de la Palestine s’est renforcé davantage. Le porte-parole d’Al Fatah, Arafat, s’est rendu, fin mars, avec une délégation, en Chine et au Nord-Vietnam, afin d’échanger sur les expériences de la guerre de guérilla. À Hanoï, il a discuté avec le ministre de la Défense Vo Nguyen Giap. Le thème de cette discussion : la guerre populaire. Konkret est le premier journal européen à publier des extraits de cette discussion.

    Võ Nguyên Giáp : Nous saluons nos camarades palestiniens. Je souhaite que vous vous sentiez comme chez vous ici, dans la République Démocratique du Vietnam, je veux également vous féliciter pour vos victoires.

    Yasser Arafat : Nous sommes conscients que nous rencontrons, ici, un révolutionnaire de taille. Bien que nous ne nous soyons encore jamais rencontrés personnellement auparavant, je souhaiterais tout de même te dire que notre Révolution te doit beaucoup ; cela se remarque au fait que nombre de nos partisans prennent le nom de guerre Giap. Nous répétons chaque jour l’expérience, telle que formulée par toi et le président Hô Chi Minh : la somme des petites victoires entraînera la grande victoire.

    Notre rencontre se déroule à un moment important – au Cambodge, des laquais des Américains ont pris le pouvoir, afin d’en finir avec la neutralité de leur pays et d’étendre le champ de bataille indochinois au Laos et au Cambodge. Et pendant que les Américains essaient de vietnamiser la guerre, c’est-à-dire de laisser des Vietnamiens se battre contre des Vietnamiens, un processus similaire se déroule dans le monde arabe : au Liban et en Jordanie, les Américains et leurs marionnettes essaient d’arabiser la guerre, de la mener de telle façon qu’elle devienne une guerre entre Libanais et Palestiniens ou entre Jordaniens et Palestiniens, au lieu de poursuivre la lutte contre les agresseurs sionistes en Palestine.

    En Asie du Sud-est, l’impérialisme américain essaie également d’encercler la Révolution vietnamienne par le Laos et le Cambodge. En Asie du Sud-ouest, les impérialistes essaient d’isoler et d’encercler la Révolution palestinienne par la Jordanie et le Liban. Nous savons parfaitement que les Américains qui veulent s’imposer en Palestine avec des armes, de l’argent et des pilotes contre notre Révolution, sont les mêmes Américains qui veulent anéantir la Révolution vietnamienne avec des armes, de l’argent, des pilotes et des soldats.

    C’est pour cela que les deux Révolutions se trouvent aujourd’hui au sein d’un même Front, une même tranchée contre un ennemi commun. Les nombreuses tentatives des Américains pour arriver, par des négociations, à une solution qui leur soit avantageuse ont toujours poursuivi le but de liquider le Front de Libération en Asie du Sud et de concentrer tout leur potentiel de violence sur le Proche-Orient. Lorsque les négociations ont échoué, à Paris, et que les Américains n’ont, dans le même temps, pas réussi à éteindre le front de lutte au Moyen-Orient, ils ont déplacé, à nouveau, leurs forces principales en Asie du Sud.

    Il est aujourd’hui clair que davantage de fronts contre l’impérialisme américain, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, signifieraient la fin des États-Unis. C’est pour cela que nous devons tous nous organiser dans un large front mondial.

    Giap : Nous savons que la guerre des partisans et la guerre populaire continuent de se développer dans votre pays et qu’Al Fatah se forge une réputation toujours plus importante. À cet égard, je souhaiterais vous familiariser avec certaines de mes propres expériences. Notre peuple vietnamien s’oppose à la domination étrangère et à l’impérialisme depuis 2000 ans. Rien qu’au cours des dernières années, nous avons vaincu trois grands États impérialistes, sous la direction du parti des travailleurs et du président Ho.

    D’abord le fascisme japonais qui a occupé notre pays ; ensuite, nous avons dû nous battre contre l’armée française, que nous avons vaincue à Dien Bien Phu. Désormais, nous luttons contre l’impérialisme étasunien et, là aussi, nous allons également vaincre. Les Américains ont mis en place des stratégies toutes plus différentes les unes que les autres. Ils ont essayé la guerre spéciale, c’est-à-dire qu’ils laissent des Vietnamiens se battre contre des Vietnamiens. Nous avons réussi à détruire cette stratégie, c’est pourquoi les Américains ont dû attaquer eux-mêmes. Ensuite, ils ont commencé à bombarder totalement le nord. Nous avons également survécu à cette guerre aérienne. Désormais, c’est un million de soldats ennemis – 500 000 soldats étasuniens et le même nombre parmi leurs marionnettes – qui se trouvent à deux doigts de la capitulation au sud-Vietnam. Mais la guerre se poursuit, car les Américains font preuve d’un incroyable entêtement.

    C’est pour cela qu’il n’y a, pour nous, qu’une seule et unique méthode pour les vaincre : nous devons continuer à nous battre. En gardant à l’esprit que notre pays n’est pas très grand, qu’il n’a pas beaucoup d’habitants et que notre économie n’a pas encore pu se développer suffisamment. Pourtant, nous avons obtenu toutes ces victoires jusqu’ici. On peut en résumer les causes en quelques points :

    1. Notre peuple a décidé de se battre pour la liberté, l’indépendance et le socialisme. Sans cette détermination nous n’aurions rien pu réaliser. Nous œuvrons à la mort de l’esclavage.

    2. En plus de cette détermination, nous devons avoir une ligne militaire et politique pertinente. La ligne que nous avons adoptée est celle de l’unité de toutes les masses qui sont prêtes à se battre pour la liberté, l’indépendance et le socialisme.

    3. Cette ligne impliquait qu’il était indispensable, pour nous, d’unir toutes les couches de la population. Le président Hô Chi Minh n’a eu de cesse d’insister sur l’importance de l’unité – l’unité est la base. En revanche, nous devons isoler notre ennemi et briser ses forces. C’est pour cela que notre activité ne s’est pas limitée à notre propre population, elle était également dirigée à l’encontre de l’ennemi et de ses propres forces armées. Par le passé, le gouvernement français nous a déclaré la guerre, mais la population française était de notre côté. Désormais, c’est l’impérialisme américain qui se bat contre nous, mais le peuple américain ne veut pas de cette guerre. Pas même les forces armées du sud Vietnam ne soutiennent cette guerre.

    4. Nous devons mener une guerre populaire. Il s’agit d’une guerre à laquelle toute la population prend part ; femmes, hommes et adolescents. L’armée populaire est le noyau de la population, son axe. Sans l’armée, le peuple ne peut pas espérer de victoire. Mais si l’armée se retrouve seule, elle ne peut mobiliser assez de forces pour vaincre. C’est pour cela qu’elle doit avoir toute la force du peuple derrière elle. De là résulte à quel point il est important d’organiser l’ensemble de la population. Il s’agit d’organiser le peuple. Mais pour cela, nous avons toujours besoin d’une stratégie et cela signifie, pour nous, une méthode et une tactique de la guerre populaire.

    Beaucoup de choses pourraient se dire sur la guerre populaire, mais je voudrais résumer ma position ici : lutte avec toute méthode qui permet la victoire. Si la guerre régulière mène à une victoire certaine, alors mène une guerre régulière. Si tu ne peux pas vaincre ainsi, mène, par exemple, une guerre des partisans. Nous, ici, nous avons développé notre propre méthode vietnamienne à partir des conditions concrètes de notre pays. Et cette lutte est, naturellement, menée par des moyens militaires. Mais, dans le même temps, il s’agit toujours d’une lutte politique.

    Nous devons être créatifs afin de développer de bonnes méthodes de lutte, mais dans le même temps nous devons pouvoir compter sur la sympathie du peuple, car sans ce soutien, personne ne peut employer de méthode créative. Vous avez bien vu que nous disposons d’avions et de missiles que nous opposons, avec succès, aux avions et missiles américains. Mais au Vietnam du Sud, ils n’ont ni l’un ni l’autre. Au lieu de cela, ils ont de petites unités avec lesquelles ils attaquent des aérodromes et détruisent les avions de l’ennemi au sol – certaines unités ont détruit jusqu’à quinze avions en une seule attaque.

    5. On a besoin de soutien et de sympathie à travers le monde entier. S’ils voient qu’on lutte courageusement et qu’on obtient des victoires, alors ils seront prêts à soutenir la lutte. Nous les remercions donc pour chaque soutien – petit ou grand.

    C’est par ces méthodes que nous avons obtenu nos victoires. Ce sont des méthodes très simples. Cela me ferait très plaisir que vous fassiez la même expérience.

    Arafat : Tout à fait. Nous avons noté qu’une Révolution qui ne repose pas sur la raison n’est pas une Révolution. Le fait que nous portions désormais les armes constitue une décision prise après mûre réflexion, après avoir vu que c’est seulement ainsi que nous obtiendrions notre libération. Je ne peux qu’ajouter que le général Giap est très présent dans notre lutte.

    Giap : Pour être franc : la situation internationale est meilleure aujourd’hui qu’auparavant. Lorsque nous avons lutté contre les Mongols, au XIVe siècle, le peuple vietnamien était seul. Aujourd’hui il y a les États socialistes, les États nationalistes (national orientiert) et les mouvements de libération révolutionnaires, la population est bien plus consciente et éclairée. C’est pour cela que nous avons des raisons d’être optimistes.

    Et je crois que vous aussi avez des raisons d’être optimistes, car vous avez développé la guerre de guérilla, malgré la situation très difficile à laquelle vous faites face. Vous avez réussi à rassembler diverses organisations en un front uni national dont l’épine dorsale est Al Fatah. Dans le même temps, vous avez obtenu d’importantes victoires dans les campagnes comme dans les villes et monté plusieurs bases.

    Arafat : Pratiquement tout ce qu’a dit le général Giap reste pertinent pour les problèmes de la Révolution palestinienne – la stratégie de lutte, le rôle des forces armées américaines et de leurs laquais et les conditions pour vaincre l’ennemi. Notre peuple subit presque tous les jours les mêmes attaques aériennes barbares que vous au nord ou les camarades au sud-Vietnam. Votre combat nous donne la force de résister à ces agressions, car nous vivons actuellement la somme d’expériences que les Américains ont faites chez vous et qu’ils appliquent chez nous. Vous rencontrez désormais des difficultés au Laos ou au Cambodge et nous rencontrons des problèmes similaires. Il y a de nombreuses tentatives de liquidation de la Révolution palestinienne, mais elle sera tout aussi victorieuse que la Révolution vietnamienne.

    Giap : S’ils veulent nous poignarder dans le dos, ce à quoi nous nous attendons constamment, alors je suis certain que ce poignard se retournera contre eux. Nous avons un dicton selon lequel tout acte néfaste se retourne contre son auteur.

    Arafat : Nous disons : tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.

    Traduit de l’allemand par Selim Nadi.