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À gauche de l’impossible, d’Edwy Plenel
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
À gauche de l’impossible, d’Edwy Plenel | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
La Découverte, 405 pages, 20 euros.
Voici un livre important. Dédié à la mémoire de Daniel Bensaïd, c’est un cri d’alarme et un appel au sursaut. Plenel se réclame du journalisme critique, et son modèle est Kurt Tucholsky, le grand journaliste de gauche de la République de Weimar, adversaire intransigeant du nazisme, qui s’est suicidé en 1935 ; Walter Benjamin disait à son sujet : « Il a son poste à la gauche de l’impossible », et cette belle formule a été choisie par Plenel comme titre pour son livre – son autre grande référence dans le journalisme est plus discutable : Albert Camus…
Défense acharnée d’une petite oligarchie de privilégiés
Le livre est composé de trois sections : I. un bilan de l’état de choses actuel : « Où va la France ? », un clin d’œil au célèbre livre de Trotsky ; II. « La souffrance démocratique » : l’affaire Cahuzac, les attentats terroristes et leur instrumentalisation politique. III. « Les sursauts de la société », comme le mouvement des Gilets jaunes. Pour l’auteur, on observe une inquiétante continuité, malgré leurs différences, entre les trois derniers présidents : Sarkozy, Hollande et Macron ont en commun la défense acharnée d’une petite oligarchie de privilégiés, la répression sans pitié des protestations sociales et la désignations de boucs émissaires en guise de diversion idéologique. Hélas, une partie de la gauche, intellectuelle et partisane, a été emportée par le courant réactionnaire et conservateur, semant le doute, la division et le renoncement, et ouvrant ainsi le chemin au pire.
Le pire, la catastrophe, n’est pas à venir, elle est déjà là. Il ne s’agit plus de l’éviter mais de l’affronter. De la regarder en face en cessant de s’illusionner. Dans la conjoncture présente s’entremêlent les catastrophes sécuritaires, sanitaires, écologiques, sociales et démocratiques : désastre climatique, attentats, inégalités croissantes, virus inconnus, racismes. La réponse ne viendra pas d’en haut, mais des mobilisations sociales, qui prennent toujours des formes inédites. « Si la gauche politique est bien en peine, fragile, minoritaire et divise, c’est parce que, depuis les années 1980, elle s’est détachée de la société pour s’identifier à l’État » – ainsi qu’au système capitaliste et sa logique néolibérale, ajouterions-nous…
Une profonde crise de civilisation
Nous vivons, observe avec acuité Plenel, une profonde crise de civilisation, ou l’effondrement général menace, dans un mélange inextricable de destruction du vivant et de déshumanisation du monde, favorable aux fuites en avant autoritaires et identitaires. Il est urgent, pour affronter ces défis, de ré-inventer la gauche, en partant d’en bas, des résistances sociales et des expériences de lutte de ceux qui ne se résignent pas au pire. La gauche doit redevenir la pensée du non, le refus de ce qui est, de ses injustices, de ses impostures. Le refus donc du racisme, de la xénophobie, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de la diabolisation des dissidences. « Comme la question coloniale hier, la question migratoire est devenue le moment de vérité des gauches ». Marx n’avait-il déjà signalé, au 19e siècle, que « l’antagonisme envers les ouvriers irlandais est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise » ?
Le chemin pour un autre avenir passe par les paroles de l’Internationale, par la tradition de solidarité entre exploitéEs, contre les égoïsmes nationaux et les idéologies de l’inégalité naturelle – entre nations, races, civilisations, religions – depuis Joseph de Maistre et Charles Maurras jusqu’à Éric Zemmour et Cie. En passant par le Maréchal Pétain, pourrait-on ajouter.
Nos radicalités sont réalistes
Inspirons-nous, propose Plenel, des révoltes salutaires des grands poètes aux heures sombres : Arthur Rimbaud communard, Réné Char résistant, Aimé Césaire anticolonialiste. Comme en Mai 68, « Soyons réalistes, demandons l’impossible » : nos radicalités sont plus réalistes que ces politiques qui ne prennent pas la mesure de la catastrophe.
Ce pavé dans la mare du conformisme par Edwy Plenel est plus qu’un exemple réussi de journalisme critique : c’est une précieuse contribution à l’indispensable refondation d’une gauche combative.