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    Et si consommer devenait un acte collectif ?

    Lien publiée le 8 mars 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Et si consommer devenait un acte collectif ? (nouvelobs.com)

    TRIBUNE. Le commerce moderne enferme le consommateur dans un tête-à-tête avec la marchandise. Mais il existe des moyens pour rompre cet isolement, estiment quatre personnalités de la France insoumise.

    « Look Up ! » C’est le mot d’ordre choisi par les manifestants qui se rassembleront le 12 mars partout en France à l’occasion de la « Marche pour le climat et la justice sociale ». La référence au film d’Adam McKay « Don’t Look Up » est excellente, car il a marqué les esprits. Et incontestablement, il est temps que l’humanité regarde en face la réalité de la crise environnementale. Une fois admis ce constat, les difficultés commencent. Car la prise de conscience n’entraîne pas d’elle-même une réorganisation de la société plus respectueuse des écosystèmes. Tout doit changer, et au premier chef nos modes de vie consuméristes.

    Atteindre la sobriété écologique : la tâche paraît insurmontable, tant le consumérisme est ancré dans nos pratiques quotidiennes, et même nos identités. Les sociétés modernes rompent avec le principe des ordres, mais font de la consommation un marqueur social, un mode de « distinction », comme dirait Pierre Bourdieu. Cette importance de la consommation est renforcée par le capitalisme : le productivisme qui lui est inhérent implique le déversement sur le marché de marchandises toujours nouvelles, qui doivent être consommées pour faire place aux suivantes. Et ainsi de suite à l’infini.

    Une solution : construire pour toute une série d’achats des « consommateurs collectifs » capables d’articuler cette exigence environnementale et de l’imposer à la production de manière à la rendre accessible à tout le monde. Une idée déjà ancienne. Les premières associations de consommateurs remontent au début du XXe siècle, les coopératives de consommation au milieu du XIXe. Grouper l’achat, évaluer la qualité des produits ou protéger de la fraude, le principe est toujours le même : sortir le consommateur de son isolement, du tête-à-tête avec la marchandise où l’a enfermé le consumérisme, et notamment la publicité. Et ainsi développer une appropriation collective de la consommation. La socialisation de la production – sous la forme par exemple de « nationalisations » – n’est pas le seul outil dont disposent les gauches dans leur répertoire d’action.

    Les exemples se multiplient aujourd’hui : les AMAP, ou « Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne », en sont un, qui a le vent en poupe. On achète ensemble fruits, légumes, viande, fromages et autres produits issus de l’agriculture. On maîtrise ainsi les prix, la qualité des produits et les conditions de leur production, notamment environnementale. On construit par là même une relation durable entre consommateurs et producteurs, en garantissant à ces derniers une demande stable, qui contrebalance le caractère cyclique du marché.

    Relation directe producteur-consommateur

    En définissant un cahier des charges pour les produits, les consommateurs prennent part à la production. Comme l’a montré Fernand Braudel, l’apparition d’intermédiaires toujours plus nombreux entre la production et la consommation est l’une des caractéristiques du capitalisme. La production s’éloigne de la consommation, à la fois géographiquement et en termes de maîtrise des processus productifs. La consommation collective repose au contraire sur un principe de désintermédiation, une forme de mise en relation directe entre les consommateurs et les producteurs qui rend possible une plus grande conscience des conditions sociales et écologiques de l’activité économique.

    Déployés à petite échelle ces dispositifs sont coûteux, pas toujours adaptés aux modes de vie contemporains marqués par un rapport au temps détérioré, et ne permettent pas de réduire les pollutions à moins de diminuer drastiquement la consommation. Mais heureusement ils tendent à se massifier via Internet. C’est le « commerce social » : certaines plateformes permettent aux consommateurs d’interagir entre eux par l’entremise des réseaux sociaux, les sortant ainsi de leur condition atomisée. Ils évaluent les produits, puis achètent de manière groupée, obtenant ainsi un prix favorable. Parfois, la production se base sur l’avis des consommateurs. A ce stade la logique est consumériste : ces plateformes proposent par exemple des tarifs préférentiels aux clients qui auront convaincu un proche de consommer. Sans parler de son coût énergétique exorbitant. Mais dans la lignée des coopératives de consommation, quelque chose d’essentiel se joue ici : la montée en puissance du « consommateur collectif », issu de la socialisation de l’achat.

    Prendre en tenaille le productivisme

    Ce qui peut rester du ressort de l’individu doit le rester, il n’est pas question de socialiser toute la consommation. Mais les interactions entre consommateurs, et entre consommateurs et producteurs, doivent prendre place dans un cadre législatif exigeant du point de vue environnemental. Une « règle verte », comme proposée par le programme « l’Avenir en commun » porté par Jean-Luc Mélenchon : ne prendre aux écosystèmes que ce qu’ils peuvent reconstituer. Cette règle doit être inscrite dans la constitution, tout en haut de la hiérarchie des normes. La « souveraineté du consommateur », pierre angulaire de l’économie néoclassique et des politiques qui en découlent, doit lui être subordonnée.

    La socialisation de la consommation doit s’accompagner de celle de la production, sous la forme d’une organisation dans la durée de la bifurcation écologique et démocratique, c’est-à-dire en débattant et planifiant. Sans rupture avec les mécanismes marchands, en particulier celui de la concurrence, le productivisme rependra le dessus, et avec lui le consumérisme qui le suit comme son ombre. Prendre en tenaille le productivisme et le consumérisme par la socialisation de la production et de la consommation : à cette condition seulement la sobriété écologique deviendra possible, et avec elle une relation plus vertueuse entre les êtres humains et leur environnement.

    Clémentine Autain est députée de Seine-Saint-Denis (LFI).

    Cédric Durand est économiste, et membre du parlement de l’Union populaire.