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"Les Esclaves de l’homme-pétrole" : dans l’enfer des travailleurs des pays du Golfe
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les journalistes Sebastian Castelier et Quentin Müller documentent dans un livre d’enquête, « Les Esclaves de l’homme-pétrole » (Marchialy), l’horreur de la condition de travailleur immigré dans les pays du Golfe en recueillant une soixantaine de témoignages sidérants, notamment à propos de la préparation de la Coupe du monde de foot au Qatar.
La mondialisation a permis de disséminer quelques-unes des abominations du capitalisme loin des yeux de ceux qui en bénéficient. Mais, avec la Coupe du monde au Qatar, ces deux faces vont se percuter sur un territoire aussi petit que l’Île-de-France : la vitrine du capitalisme de la séduction qu’est le football sera au même endroit que son arrière-salle honteuse. Outre la probable corruption pour obtenir l’attribution, la climatisation des stades et les 160 navettes aériennes par jour pour les supporteurs, la construction des infrastructures sportives repose sur une violation massive des droits humains qu’éclaire l’édifiante enquête des journalistes Sebastian Castelier et Quentin Müller, Les Esclaves de l’homme-pétrole.
Au-delà du seul mondial, l’ouvrage met en lumière une réalité plus large : le sort des milliers de travailleurs venus d’Asie et d’Afrique de l’Est pour faire le sale boulot des riches pays du Golfe. Chaque année, 10 000 immigrés asiatiques y meurent et, pour le seul Qatar, The Guardian a estimé à 6 500 le nombre de morts depuis une décennie. Pour témoigner de cette réalité, Sebastian Castelier et Quentin Müller laissent la voix à ces damnés qu’on n’entend jamais. Le livre, construit à partir d’une soixantaine de témoignages, dresse un panorama à 360 degrés de ces migrations, puisque les auteurs se sont aussi rendus dans les pays de départ – Népal, Kenya, Inde…
« COMME UN DÉCHET »
Dans cette galaxie, il y a l’émigration des hommes et celles des femmes. Les premiers, comme les 400 000 ouvriers logés dans la zone industrielle de Doha qui ont notamment bâti les stades de la Coupe du monde, s’épuisent (et meurent) dans des conditions extrêmes. Travaillant sous des températures tutoyant parfois la cinquantaine de degrés, ils sont parqués dans des dortoirs insalubres, aux cuisines pleines de cafards et aux lits remplis de punaises, pour un salaire indigent – et pas toujours versé. Pour tenir, beaucoup sont sous perfusion de Red Bull, tandis que les addictions à la drogue et à l’alcool sont fréquentes – et, comme l’alcool y est interdit, un ouvrier raconte avoir vu un collègue s’en fabriquer avec du détergent pour toilettes.
Quant aux femmes, employées comme domestiques chez de riches propriétaires, leur situation est si épouvantable que l’État malgache interdit à ses ressortissantes d’émigrer dans ces pays. Car ces travailleuses vivent une double peine : exploitées chez leur « employeur », ce qui implique souvent d’être battues et violées, celles qui s’échappent deviennent les proies de réseaux de prostitution… Le cas d’une Sierra-Léonaise, rapporté par un diplomate de ce pays, soulève particulièrement le cœur. Brûlée au fer à repasser, ébouillantée avec de l’huile, elle avait finalement été jetée dans la rue par sa famille koweitienne « comme un déchet », car devenue incapable de travailler. Quant à celles mises enceinte par un viol, elles sont souvent rejetées dans leur milieu d’origine.
Ainsi d’une Népalaise qui relate les menaces de mort de son mari en cas de retour avec l’enfant, et dit être devenue « la pestiférée de la communauté » à son retour. Cette galerie d’horreurs n’empêche pas la nuance : les auteurs donnent aussi la voix à des Qataris se plaignant de l’autoritarisme de leur émirat, et montrent que l’argent du Golfe est indispensable à la survie de certains territoires, comme le Kerala indien. Mais il n’empêche, le terme d’esclave qui fait le titre du livre n’est pas gratuit : cet homme-pétrole « tout-puissant et intouchable » que sont les pays du Golfe vit assis sur un « commerce d’esclaves modernes ». Et survit en achetant l’indifférence des grandes puissances.
Sebastian Castelier et Quentin Müller, Les Esclaves de l’homme-pétrole Marchialy, 300 p., 21,10 €