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    "Histoire du trafic de drogue", une affaire capitaliste

    Lien publiée le 9 juillet 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    « Histoire du trafic de drogue », une affaire capitaliste – Nouveau Parti anticapitaliste

    Diffusion le 25 juillet à 22 h 40 sur Arte, et disponible jusqu’au 23 août sur arte.tv

    Le 25 juillet, Arte rediffuse le documentaire Histoire du trafic de drogue de Christophe Bouquet, réalisé en 2020. Un documentaire qui fait le pari de tracer l’histoire de la drogue non pas comme une histoire biologique, psychologique ou « spirituelle », mais comme une histoire politique, dynamisée par les affrontements impérialistes et les logiques de profit, des réseaux criminels, des États et des grands groupes pharmaceutiques. Car oui, comme tout dans ce système capitaliste, c’est une histoire de fric : aujourd’hui, la production et le commerce de l’héroïne et de la cocaïne pèsent autant dans l’économie mondiale que ceux du textile.

    Des empires coloniaux aux « failed states »

    Le documentaire sépare cette longue histoire en trois périodes : « L’ère des empires », « L’ère des barons » et « Les territoires perdus ». Il fait le choix de placer le début, non pas de l’utilisation de drogues, ancienne comme l’humanité, mais de son trafic et de son abus à grand échelle, au XIXe siècle en Chine. En effet, c’est l’empire colonial anglais qui a pour la première fois organisé à grande échelle la contrebande de l’opium. C’est l’arrestation de contrebandiers anglais qui a servi de prétexte aux guerres de l’opium, qui ont ouvert par la force le marché chinois aux puissances coloniales (pour affaiblir une Chine réfractaire à ouvrir son marché aux puissances impérialistes), l’Angleterre faisant de Hongkong une plaque tournante de l’opium et créant pour l’occasion la Hongkong and Shanghai Banking Corporation (HSBC), aujourd’hui l’une des plus grades banques de la planète.

    S’ouvre alors cette « ère des empires » : la France établit la première une Régie de l’opium, pour exploiter le pavot d’Indochine, suivie par toutes les grandes puissances coloniales. Les grands groupes pharmaceutiques leur emboitent le pas : Merck, aujourd’hui 8e entreprise pharmaceutique du monde, avec la cocaïne, puis Bayer avec l’héroïne, promue comme « 100 % non-accoutumante ». De nouvelles drogues industrielles qui « aident » à supporter la violente exploitation de l’industrialisation et les premières boucheries industrielles, de la guerre civile américaine aux guerres mondiales. Et enfin, l’entretien de « narco-États », notamment dans le « Triangle d’or » entre la Birmanie, le Laos, et la Thaïlande, par la France et les États-Unis dans leurs guerres en Indochine.

    Ce commerce quasi étatique finit par se retourner contre les grandes puissances : confrontés à la débandade de leur armée au Vietnam, décimée par l’héroïne, les États-Unis se lancent dans les années 1960 dans la « guerre contre les drogues ». Les prix explosent, les petits réseaux sont démantelés, et s’ouvre « l’ère des barons », avec de gigantesques cartels qui industrialisent production et trafic, en situation de quasi-monopole. C’est l’ère du cartel de Medellín d’Escobar, du cartel de Sinaloa au Mexique, de la Cosa Nostra en Europe et à New York, et de Khun Sa, le « roi de l’héroïne », dans le Triangle d’or. Ces organisations atteignent une puissance capable de se substituer à l’État, voire de l’affronter dans de véritables guerres, en assassinant des agents de la DEA1, des ministres, des députés ou des juges. Khun Sa, au plus fort de sa puissance, commande une armée de 20 000 soldats dans l’État Shan, une minorité birmane, dont il finit même par déclarer l’indépendance.

    Dans les années 1990, la « guerre des drogues » finit par avoir le dessus sur les « barons » : en 1993, de grands procès font chuter Toto Rina, dirigeant de Cosa Nostra, et la « Pizza Connection » new-yorkaise. Pablo Escobar est abattu. Khun Sa doit capituler en 1996 devant l’armée birmane, et en 1998, l’État mexicain « lâche » Felix Gallardo, tête du cartel de Sinaloa. Mais, à l’instar de la fin du monde bipolaire de la guerre froide, la chute des grands empires de la drogue va mener à un éclatement et à une explosion de la violence. En Colombie, le trafic et le pays se partagent entre les « paramilitaires », armée d’extrême droite de 20 000 hommes, la guérilla « maoïste » des Farc, l’État colombien, et une multitude de petits groupes armés. Au Mexique, c’est une myriade de groupes qui s’affrontent dans une concurrence féroce, faisant des dizaines de milliers de victimes. Et en Afghanistan, ce sont les warlords, puis les talibans, qui prennent le contrôle de la culture du pavot : 80 % de l’héroïne au monde en provient, et le pavot pèse pour un tiers dans le PIB de ce pays dévasté par la drogue et les guerres successives. Le documentaire conclut sur ce qui est peut-être une nouvelle ère : le fentanyl, cent fois plus puissant (et donc plus simple à transporter) que l’héroïne, et 100 % synthétique, ne nécessitant donc pas de vastes territoires pour la production. Produit essentiellement en Chine, ce nouvel opiacé dévaste aujourd’hui les États-Unis. Encouragé par la prescription abusive d’opiacés par l’industrie pharmaceutique, des dizaines de milliers de personnes tombent dans la dépendance dans les classes populaires américaines : 30 000 personnes par an en meurent.

    L’Histoire du trafic de drogue, à travers le narco-trafic, touche à une multitude d’aspects de ce système capitaliste absurde et violent. Les rivalités impérialistes, de la colonisation à la guerre froide ; la rapacité des grands groupes pharmaceutiques ; le racisme, à travers les campagnes anti-drogues américaines (même si le documentaire ne parle pas du rôle de l’État dans l’épidémie de crack dans les quartiers noir-américains) ; l’impasse de la prohibition, d’abord outil des États-Unis pour concurrencer ses rivaux impérialistes en leur prenant une source de revenu, puis moyen pour le crime organisé de s’emparer d’énormes marchés devenus illicites ; lien entre les États et le crime organisé – notamment celui des services secrets français – fer de lance contre le mouvement ouvrier et le « bloc communiste ». Car oui, dans ce système, la drogue n’est qu’une marchandise parmi d’autres. De la misère sociale qui crée la demande, aux logiques rentables qui régissent son commerce, le trafic de drogue est bien une affaire capitaliste avec toute l’exploitation et la violence sur lesquelles il se fonde. Aux auteurs du documentaire de conclure : « Le monde des drogues a été créé par nos choix de société et notre système économique. La seule solution est d’en changer. » On ne pourrait être plus d’accord…

    Dima Rüger


    1 Drug Enforcement Agency, agence spécialisée dans le trafic de drogue des forces de police des États-Unis.