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    "Nous voulons que les étudiantes et les étudiants s’approprient le pluralisme des idées en économie"

    Lien publiée le 2 septembre 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    « Nous voulons que les étudiantes et les étudiants s’approprient le pluralisme des idées en économie » | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

    Emmanuelle Puissant

    Maîtresse de conférences au centre de recherche en économie de Grenoble

    L’Association française d’économie politique (Afep) milite depuis des années pour la reconnaissance institutionnelle du fait que… tous les économistes ne pensent pas la même chose ! Une évidence, direz-vous, mais qui n’est pas reconnue par l’économie dominante. Elle sélectionne les futurs économistes selon leur obéissance aux canons d’une discipline qui privilégie les maths et la formalisation, la compréhension d’une économie de marché théorique, loin du réel, le tout avec une faible ouverture aux autres disciplines.

    L’Afep met en avant le pluralisme des méthodes et des idées, la nécessaire ouverture aux autres sciences sociales et la reconnaissance des controverses entre spécialistes. Les économistes dominants ont depuis longtemps produit les manuels qui permettent de former leurs étudiants. Les autres non. C’est désormais chose faite avec ce Grand manuel d’économie politique qui réunit près d’une soixantaine d’auteurs et autrices et une quarantaine de relecteurs et relectrices. Un énorme travail pédagogique qui donne envie de reprendre ses études d’économie ! 

    Emmanuelle Puissant, maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes et coordinatrice, avec Yann Guy et Anaïs Henneguelle, du Grand manuel d’économie politique (Dunod), revient sur l’enjeu pédagogique et démocratique de cet ouvrage.

    Vous proposez un manuel d’économie politique, pourquoi pas d’économie tout court ?

    Emmanuelle Puissant : Dès qu’on parle d’économie tout court, la tendance est de la réduire à l’économie dite standard ou mainstream, limitée, sans le dire explicitement, à la compréhension de l’économie de marché. Les étudiants qui arrivent dans la discipline sont nombreux à croire qu’il n’y a effectivement qu’une seule manière de penser l’économie et qu’un seul type de solution à tous les problèmes. Par exemple, ils considèrent que tout économiste sérieux dira que réduire le coût du travail permet de faire baisser le chômage, ou bien que le progrès technique réglera la question climatique.

    Notre manuel montre que plusieurs façons de faire de l’économie existent et que chaque objet d’étude – la monnaie, les inégalités, le chômage, l’environnement… – entraîne des controverses scientifiques. Tous les économistes ne pensent pas la même chose.

    Cela représente un enjeu pédagogique mais aussi démocratique. Notre objectif est également de faire de nos étudiantes et étudiants des citoyennes et citoyens qui puissent exercer leurs choix. Ce n’est pas facile quand on vous explique qu’il n’y a qu’une seule façon de penser et une seule politique possible !

    Au-delà de ce contexte institutionnel, pourquoi ce recours à une approche d’économie politique ?

    E. P. : Cela permet d’être plus proche du réel des phénomènes économiques et de la complexité du capitalisme. Et de mieux comprendre les choix de politiques publiques. L’économie politique constitue un apport pour la compréhension du monde tel qu’il va, et elle plaide pour le recours à d’autres sciences sociales. Elle considère que les processus économiques sont plutôt socio-économiques et qu’ils s’inscrivent dans des rapports de production, d’échange, de travail dans le cadre de rapports de pouvoir qu’il faut analyser.

    Mais un Jean Tirole ou un Philippe Aghion vous diront la même chose ! Ils veulent former des citoyens éclairés, sortir du simplisme de l’homo oeconomicus, s’ouvrir aux autres sciences sociales, etc.

    E. P. : L’économie standard est plurielle en effet, et elle sait intégrer une partie des critiques qui lui sont adressées. Par exemple, pour tenter d’être plus proche du fonctionnement réel des économies, l’hypothèse de l’homo oeconomicus ayant accès à une information parfaite ou agissant selon une rationalité totale est partiellement levée. Et certains s’ouvrent à d’autres sciences sociales, comme la psychologie expérimentale.

    Mais on constate très peu d’ouverture vers la sociologie par exemple. Et même quand il y a un rapprochement vers d’autres disciplines, la réflexion continue d’être centrée sur l’individu, les comportements individuels et les stratégies de décision. La société reste considérée comme l’agrégation des comportements individuels. En fait, on ne sort pas de l’économie standard. Le manuel montre qu’il y a bien d’autres façons de penser l’économie.

    C’est un manuel qui va donc montrer aux étudiants que pour chaque question qu’ils se posent, il y a plusieurs méthodes, plusieurs approches, d’autres sciences sociales à maîtriser. De quoi être perdu !

    E. P. : Effectivement, c’est l’enjeu principal que nous nous sommes fixé : rendre le manuel accessible à des étudiants de licence qui débutent en économie tout en abordant la complexité du pluralisme. C’est exigeant, mais le monde est exigeant. Et nous sommes bien conscients que nombre d’entre eux auront peu de cours pluralistes dans leur cursus.

    C’est pourquoi le manuel est organisé par grands objets économiques (l’entreprise, la monnaie, l’Etat…) et pour chacun d’eux on commence par donner à voir les différents courants économiques qui ont des choses à dire sur le sujet. Chaque partie se termine par une synthèse des controverses pour que les étudiants et les étudiantes s’approprient le pluralisme des idées.

    Avant de s’attacher aux objets, pourquoi le manuel commence-t-il par une introduction à l’histoire de la pensée économique ?

    E. P. : Ce choix s’est imposé à nous car il relève de l’approche d’économie politique qui postule que les idées sont situées dans le temps et dans l’espace, dans une société donnée, caractérisée par des règles et des institutions particulières. Le capitalisme n’a pas toujours existé, ce n’est pas une donnée en soi. Il représente un objet d’étude en tant que tel, qui se transforme dans le temps, qui relève de constructions sociales et de choix politiques. Le chapitre d’histoire de la pensée économique le montre d’emblée. Il met en perspective les grands débats économiques, et ils sont foisonnants !

    Le manuel consacre plusieurs chapitres à présenter une approche particulière, l’économie institutionnaliste. Pouvez-vous expliquer ce que c’est et pourquoi ce choix ?

    E. P. : L’économie institutionnaliste est le point commun qui rassemble les différentes approches d’économie politique. Dans leur diversité, elles s’entendent pour affirmer que les institutions jouent un rôle clé dans la régulation économique et doivent être analysées pour tous les objets étudiés. Elle permet de comprendre la diversité des situations, d’échapper au « toutes choses égales par ailleurs » caractéristique d’une partie de l’approche standard pour entrer dans la complexité du réel.

    Les supposées « lois du marché » universelles n’existent pas par elles-mêmes, elles sont variables et le fruit de constructions sociales spécifiques issues de contextes particuliers. Prenez le « marché » des aides à domicile : les demandes sont nombreuses et les offres insuffisantes. Les salaires devraient donc augmenter, mais ce n’est pas le cas.

    Il faut comprendre le contexte institutionnel pour comprendre l’économie. L’homo institutionalis est plus heuristique que l’homo oeconomicus : il est social, évolutif, faillible, toujours en apprentissage et son comportement est influencé par les institutions, les normes et les règles. Et les institutions elles-mêmes évoluent du fait des comportements et des choix des individus et des sociétés.

    Pourquoi ce genre d’approche n’est-il pas ou peu enseigné aujourd’hui ?

    E. P. : L’Association française d’économie politique (Afep) vient de mener une enquête sur le contenu des enseignements en licence d’économie qui montre que la très grande majorité des cours est enseignée de manière standard. L’hégémonie de l’économie standard dans la recherche se répercute sur les enseignements, sur le contenu des cours et les méthodes utilisées à l’université.

    Le manuel existe mais y aura-t-il des étudiants en face ?

    E. P. : Certaines universités mettent en avant l’approche pluraliste. Dans les autres, ne sous-estimons pas l’isolement de collègues désireux de proposer une approche en termes d’économie politique. Le manuel s’adresse bien sûr aux étudiants et aux étudiantes, mais aussi aux enseignant.es qui ont en charge un cours de microéconomie, d’économie du travail, de la monnaie..., et qui souhaiteraient construire des cours pluralistes, des cours par controverses y compris dans des enseignements aux intitulés standards. On peut aussi penser que ce livre peut intéresser les professeurs d’économie de lycées et tous les citoyens désireux se former à l’économie, à une autre économie que celle qui domine dans les médias et la sphère publique.

    Existe-t-il des masters qui permettent de capitaliser sur ce travail pour poursuivre ses études ?

    E. P. : Des masters en économie politique existent et ils sont relativement bien répartis dans les différentes universités. C’est aussi le pari de ce manuel : montrer qu’il existe une communauté d’enseignants autour de l’économie politique que nous voulons contribuer à fédérer. Il est possible de développer l’enseignement de l’économie politique dès la licence pour inciter les étudiants et les étudiantes à s’inscrire dans cette voie, y compris au niveau des masters.