[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Fagor, la chute d’un géant basque

    Lien publiée le 31 octobre 2013

    Tweeter Facebook

    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Les salariés coopérateurs risquent de perdre leurs emplois et leurs économies 

    Arrasate-Mondragon (Espagne) Envoyée spéciale

    Isidro Sanchez craint d'avoir tout perdu : son travail mais aussi toutes ses économies et la perspective d'un emploi garanti, pour lui et, plus tard, qui sait, pour sa fille, âgée de 13 ans. Cela fait plus de vingt ans que cet ouvrier de 49 ans travaille chez Fagor electrodomésticos. Quand son père a pris sa retraite anticipée, il a pris sa suite comme le permet le règlement. Une chance. " Fagor était une référence au Pays basque, une entreprise qui payait bien ses employés, une garantie. Aujourd'hui, c'est une ruine, raconte-t-il au Monde, tout en arpentant les rues pavées du centre historique du vieux village d'Arrasate-Mondragon au Pays basque espagnol. Tout, absolument tout mon patrimoine est placé chez Fagor. "

    Depuis que, le 16 octobre, Fagor electrodomésticos, la plus grosse branche du groupe Fagor, a présenté un prédépôt de bilan, une formule qui lui accorde un délai de quatre mois pour refinancer sa dette, la commune d'Arrasate-Mondragon retient son souffle. Dans cette ville industrielle de 22 000 habitants située à 75 km au sud de Saint-Sébastien, ce spécialiste de l'électroménager est plus qu'une entreprise. A la fois germe et symbole du mouvement coopératif basque qui a permis la réindustrialisation de la région dans les années 1970 et la naissance du groupe Mondragon, il emploie 5 600 personnes dans le monde, dont 2 000 au Pays basque (et autant en France depuis le rachat de Brandt en 2005).

    A Arrasate, son poids est fondamental. " Fagor electrodomésticos emploie directement 640 personnes dans la ville. Si elles se retrouvent sans emploi, le chômage passerait de 15 % à 21 %, assure au Monde le maire, Inazio Azkarragaurizar. Sans compter les dommages collatéraux, incalculables, aussi bien pour le reste des coopératives que pour les autres entreprises qui dépendent de l'activité de Fagor. "

    Ces 640 personnes sont déjà, de fait, au chômage technique depuis le 18 octobre, quand, faute d'approvisionnement en matériel de la part des fournisseurs, qui croulent sous les impayés, les deux usines de la ville ont paralysé la production. " Nous savions que nous allions mal, mais pas au point de nous retrouver tous au chômage ", raconte Xabier, 44 ans, à la sortie de l'école de musique, où il attend sa fille de 5 ans. Il refuse, comme beaucoup d'autres, de donner son nom. Les employés sont coopérateurs et donc copropriétaires de la société, comme souvent leur père avant eux, ce qui explique la réserve avec laquelle ils s'expriment. " C'est vrai que ces dernières années, nous avons eu souvent des arrêts de production, reconnaît Xabier. Les ventes ont baissé, le marché est dur, la crise espagnole nous fait souffrir, mais nous avons toujours des commandes. Cette annonce nous a pris par surprise. " Dans la rue, on raconte qu'une commande de Cocotte-Minute pour une chaîne de grands magasins n'a pu être honorée faute de pouvoir payer l'emballage...

    Depuis 2008, Fagor electrodomésticos affiche des pertes. L'explosion de la bulle immobilière en Espagne a provoqué une baisse des ventes de 70 %, le marché des appareils électroménagers étant étroitement lié à la construction et l'achat de logements. S'y ajoutent " les baisses de prix et la réduction des marges dans un secteur hautement compétitif ", selon le groupe.

    Pour y remédier, les salariés ont accepté de faire des sacrifices. Ceux inhérents à leur statut de coopérateurs : la baisse de leur capital social, dont l'évolution est proportionnelle aux bénéfices ou aux pertes. Mais aussi ceux liés à leur volonté de tout mettre en oeuvre pour sauver l'entreprise : ils ont renoncé à leur prime de Noël et baissé leur salaire de 8 % en 2009, puis de 7,5 % en 2012. En vain. Après avoir annoncé 28 millions d'euros de pertes en 2011, Fagor electrodomésticos a encore perdu 89 millions en 2012. Leur seul espoir reste sa maison mère, Mondragon.

    En mai 2013, la corporation de coopératives Mondragon, la plus grande coopérative au monde, avec près de 83 000 salariés et plus de 250 structures, est déjà venue à sa rescousse, appliquant le principe de solidarité en vigueur entre les coopératives du groupe. Un fonds de 70 millions d'euros lui a été accordé. Les salariés de Fagor electrodomésticos ont encore réduit leur salaire de 6,5 %. Même le gouvernement basque y a mis du sien en accordant un prêt de 40 millions d'euros. Mais, en octobre, Mondragon a refusé d'y injecter davantage de fonds. La menace d'une faillite est devenue pressante.

    Au troisième étage du centre culturel municipal Kulturate, les représentants de la plate-forme Ordaindu (" payer " en basque) expliquent à la presse la situation de ceux qui ont fait des " apports volontaires ", des prêts versés à l'entreprise moyennant le paiement d'intérêts (environ 4 % annuels) et pouvant être en théorie récupérés dans un délai maximal d'un mois. En théorie car, depuis un an, " près de 170 familles qui ont demandé leur argent se sont vu répondre que le groupe avait des problèmes de trésorerie ", souligne Mikel Olabe, porte-parole de la plate-forme. " Pour nous, prêter cet argent n'était pas qu'une façon de placer notre patrimoine à un bon taux. C'était aussi une manière de renforcer la santé de la coopérative, de contribuer à sa croissance. Mais en aucun cas il ne s'agit de l'argent de la coopérative. Ce sont des fonds privés que nous avons prêtés. "

    A ses côtés, Mari Carmen Etxabarri, 43 ans, les traits tirés, les yeux gonflés, est au bout du rouleau. Depuis plus de vingt ans, elle travaille pour Fagor, dont dix ans comme coopérateur. Tout son patrimoine, celui de son père, lui aussi ancien travailleur de Fagor, de sa mère et de son mari, actuellement au chômage, sont placés dans Fagor. " J'ai besoin de cet argent de toute urgence. Ce n'est pas un caprice motivé par la peur. J'en ai besoin. Nous n'avons aucune information, nous sommes dans l'incertitude de savoir si nous allons être ruinés et certains se trouvent dans un état d'angoisse terrible, à la limite de la dépression ", dit-elle. Pour le moment, elle n'a pas perdu son emploi, car elle travaille dans l'usine de Bergara, à 12 kilomètres, la seule qui maintient un peu d'activité, car elle est le fruit d'un partenariat avec le groupe allemand Vaillant. " Mais il y a un risque que les Allemands ne veuillent pas assumer seuls les coûts de fonctionnement... ", souligne-t-elle, pessimiste.

    **

    L'inquiétude règne donc à Arrasate, où tout le monde a un proche, un parent, un ami chez Fagor. Dans les commerces, les restaurants ou les hôtels, tous pensent que sa chute aurait des conséquences dévastatrices pour cette commune riche. " Ce qui se passe est une mauvaise publicité qui peut nous porter préjudice ", regrette Jokin, pourtant transféré il y a deux ans chez Fagor Ederlan, une autre coopérative spécialisée dans la fabrication de composants automobiles, en bonne santé.

    Le groupe Fagor regroupe huit coopératives qui fonctionnent de manière autonome. Fagor electrodomésticos est la plus grande et la seule, selon la direction, à connaître des difficultés. Cependant un effet domino n'est pas à écarter. " Fagor electrodomésticos a beaucoup de relations avec les autres coopératives et une chute aurait un impact sur leurs comptes de résultat ", a résumé le directeur Sergio Trevino, lundi 28 octobre au soir à la télévision publique basque ETB2, brisant un silence de quinze jours.

    Les rumeurs alarmistes filent dans la ville : l'assureur du groupe Mondragon, Lagun Aro, pourrait avoir du mal à couvrir les prestations chômage des licenciés. Sans parler des pertes infligées tant aux fournisseurs qu'aux autres coopératives de la corporation Mondragon qui lui ont prêté des fonds. La dette de Fagor electrodomésticos s'élève à 859 millions d'euros, dont 378 millions d'euros de dette bancaire.

    La question n'est plus de savoir si on peut sauver le spécialiste de l'électroménager mais quelles activités rentables peuvent être préservées. Le plan de viabilité prévoit la suppression de celle des réfrigérateurs et le redéploiement des ouvriers qui en dépendent sur d'autres coopératives du groupe Mondragon. Mais, pour mener le plan de viabilité qui permettrait de sauver plus de 1 000 des 2 000 emplois de Fagor electrodomésticos au Pays basque, il lui faut " 170 millions d'euros dans les dix prochains jours ", a prévenu dans le journal El diario Vasco M. Trevino.

    L'urgence vient de la situation des quatre usines de France, celles de l'ancien Brandt. L'arrêt de production ordonné au début du mois d'octobre pourrait aboutir à un redressement judiciaire forcé, provoquant le dépôt de bilan du siège espagnol et une possible faillite. Il lui faut donc réactiver la production au plus vite ou trouver des fonds pour présenter un plan social. Dans ce cas, en France, l'onde de choc aussi pourrait être terrible. La CGT estime que près de 3 500 emplois directs et indirects dépendent de Fagor Brandt.