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    Vertige politique au Népal

    Lien publiée le 14 novembre 2013

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Assis sur le banc d'un local exigu, Debi Raj Gurung arrive à peine à caser une phrase. Ses partisans ne cessent de l'interpeller, son téléphone sonne sans répit, il sort parfois dans la ruelle commerçante donner l'accolade, revient s'asseoir sur le bois fendillé en soufflant dans un sourire. En ces faubourgs de Pokhara, cité du Népal central entourée de massifs himalayens, Debi Raj Gurung mène campagne pour les élections constituantes du 19 novembre.

    Dhaka topi (calot traditionnel) enfoncé sur la tête, épais collier de fleurs jaunes lui couvrant le torse, le tribun est un chef gurung (d'où son patronyme). Il n'a pas de mots assez durs pour dénoncer les méfaits du « centralisme » au Népal, le « déclin » de l'« identité » des Gurung – l'une des minorités tibéto-birmanes du pays –, le « détournement » des ressources locales (l'eau notamment) par l'élite de Katmandou. Aux yeux de Debi Raj Gurung, nul doute : l'avenir du Népal réside dans le modèle fédéral qui permettrait de créer une quinzaine d'Etats épousant la mosaïque ethnique du pays. Dont, bien sûr, un « Etat gurung » jouissant d'une large autonomie.

    C'est peu dire que la petite nation agrippée à flanc d'Himalaya, coincée entre l'Inde et la Chine, est à un tournant de son histoire. La nouvelle Assemblée constituante censée sortir des urnes le 19 novembre aura pour mandat de remettre sur le métier un ouvrage juridique – une Loi fondamentale révisée – jusqu'à présent inabouti. L'affaire est cruciale car elle met en jeu la cohésion nationale d'un pays d'une grande diversité (on compte une centaine d'ethnies ou de castes) à l'heure où le réveil des identités communautaires attise les forces centrifuges.

    La précédente Assemblée constituante, élue au printemps 2008, a échoué à redessiner l'architecture institutionnelle du Népal. La fragmentation du paysage politique, où s'illustrent notamment des acteurs nouveaux (émanations d'ethnies ou de castes), rend de plus en plus difficile l'élaboration d'un consensus.

    La controverse sur le fédéralisme s'est substituée à la question du communisme comme ligne de clivage principale structurant le champ politique. Jusqu'à la fin des années 2000, le parti maoïste – Unified Communist Party of Nepal (Maoist) (UCPN-M) – avait réussi à dicter l'agenda politique népalais. D'abord quand il était dans l'insurrection (1996-2006), en plongeant le pays dans une guerre civile qui aura fait 13 000 tués. Puis comme principal protagoniste de l'accord de paix de 2006 conclu avec les partis parlementaires libéraux. Aux élections constituantes de 2008, il émerge comme le principal parti, doté d'une majorité relative. Cette position dominante lui permet d'imposer sans mal la dissolution de la monarchie vieille de 239 ans, la dernière qui existait en Asie du Sud (avec le Bhoutan).

    Le climat toutefois ne tardera pas à se crisper autour de plans occultes prêtés à l'UCPN-M, en particulier une supposée stratégie de conquête du cœur de l'Etat dans la grande tradition bolchevique. La volonté des maoïstes de recycler en grand nombre de leurs anciens combattants dans l'armée nationale avait notamment cristallisé toutes les frayeurs, les partis libéraux y voyant un putschisme rampant. Devant les résistances, la direction de l'UCPN-M a finalement dû composer avec le jeu parlementaire et renoncer aux rêves de « grand soir ». Son chef suprême, Pushpa Kamal Dahal, devint ainsi une figure omnipotente – il fut premier ministre – et très à son aise dans le jeu politicien de Katmandou.

    L'AFFADISSEMENT DU "PÉRIL" ROUGE RELANCE LE FÉDÉRALISME

    En réaction à cette institutionnalisation des anciens chefs de la guérilla, l'aile dure du mouvement a fait sécession. Un parti maoïste dissident s'est créé en 2012, reprenant le titre originel de Communist Party of Nepal (Maoist) (CPN-M). Dirigée par Mohan Baidya, cette faction rebelle a débauché près du tiers de l'ex-comité central du parti et l'essentiel des ex-combattants. « Nos anciens dirigeants se sont servis, eux et leurs familles, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils ont oublié la révolution », dénonce Rupesh Wangle, le dirigeant de cette « faction Baidya » à Pokhara. Dans la pièce où il reçoit, les murs sont tapissés de drapeaux rouges et de portraits des patriarches de la révolution (Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao). S'ils entendent boycotter activement le scrutin du 19 novembre – des incidents sont à redouter –, ces gardiens du dogme n'ont pas encore tranché la question d'une éventuelle reprise de la lutte armée.

    Dans ce contexte d'affadissement du « péril » rouge, la question du fédéralisme domine désormais le débat politique. Certes, la revendication est un sous-produit de la montée du maoïsme qui, très tôt, avait joué sur le sentiment d'aliénation des groupes marginalisés – dalits (intouchables) et minorités ethniques – désireux de s'affranchir de la tutelle historique des hautes castes hindoues brahmanes ou kshatriyas. Afin d'attirer ces groupes dominés dans les rangs de la révolution, des promesses leur avaient été faites sur leur future émancipation.

    Mais le réveil identitaire qui a suivi chez les Gurung, Tamang, Magar, Rai et Limbus (tibéto-birmans) ou les Tharus et Madeshi de la plaine du Teraï (frontalière de l'Inde) est devenu comme une boîte de Pandore. Les forces nouvelles qui s'en échappent ne sont plus contrôlées par les maoïstes. Il flotte en ce moment au Népal une animosité – à tout le moins verbale – entre ethnies et castes qui dérape souvent en « discours de haine sur les réseaux sociaux », regrette, à Katmandou, le journaliste Kunda Dixit, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Nepali Times.

    La crise népalaise est scrutée de très près par les deux grands voisins, l'Inde au sud et la Chine au nord. Les deux géants d'Asie partagent la même anxiété de voirun chaos au Népal déborder ses frontières. Pékin est obsédé par la stabilité de la frontière entre le Népal et le Tibet. Et New Delhi veut éviter toute connexion entre l'aile dure des maoïstes népalais et les naxalites (insurgés d'extrême gauche) en Inde même. Mais au-delà, Chinois et Indiens ne cessent de se livrer à une âpre lutte d'influence sur ces flancs stratégiques de l'Himalaya, une lutte qui semble tourner de plus en plus à l'avantage du « dragon » du nord.