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    Affaire Tarnac: un policier anglais avait pour mission de surveiller Coupat

    Lien publiée le 12 mars 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Son ombre planait sur l'affaire de Tarnac (Corrèze). Désormais, grâce à plusieurs documents judiciaires anglais obtenus par Le Monde, la volonté d'infiltration du sulfureux espion anglais Mark Kennedy auprès de Julien Coupat, considéré par lesservices de renseignements comme le leader du groupe issus de la « mouvance anarcho-autonome », est une certitude. Et son rôle de pourvoyeur d'informations pour les policiers français est attesté. Le 24 août 2008, le « rapport de suivi » de l'UCO 133 (undercover officer, « officier infiltré »), signé par son responsable hiérarchique, est ainsi mis à jour, « pour ajouter Julien Coupat aux personnes autorisées pour une infiltration spécifique par l'UCO ».

    Dix personnes sont mises en examen, depuis novembre 2008, pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste » dans le dossier de Tarnac. Il leur est notamment reproché le sabotage de lignes TGV.

    Le scandale qui a suivi la révélation des méthodes du policier anglais et de son service – provocations à la commission de délits, relations sexuelles avec les militantes, mensonges – n'en finit pas de provoquer des soubresauts judiciaires au Royaume-Uni. Les documents témoignant du rôle de M. Kennedy dans l'affaire de Tarnac sont issus de l'une des procédures en cours à Londres. Les services du procureur ont autorisé la déclassification des rapports d'activité de Mark Kennedy de juin à août 2008.

    TRADITION ANCIENNE

    Or, cet été 2008 est un moment-clé du dossier Tarnac. Une enquête préliminaire a été ouverte en avril à la suite d'informations fournies par les Renseignements généraux (RG), mais elle est au point mort. La sous-direction antiterroriste de lapolice judiciaire (SDAT), chargée des investigations, a manifestement d'autreschats à fouetter.

    Quelles sont les sources des RG, qui ont servi à justifier l'ouverture d'une enquête judiciaire ? Les surveillances physiques et les écoutes téléphoniques mises en place depuis fin 2007, mais également les services anglais, qui fournissent de précieux renseignements sur les réunions et manifestations qui ont lieu dans toute l'Europe, souvent autour des sommets internationaux (OTAN, G8, G20).

    Au coeur de ces informations, le NPOIU, National Public Order Intelligence Unit, un service créé en 1999 à Londres pour lutter contre l'« extrémisme intérieur ». Mouvements anarchistes, marxistes, écologistes, de défense des droits des animaux : le but du NPOIU est d'infiltrer des officiers de police dans les mouvances protestataires, pour plusieurs années.

    Au Royaume-Uni, la tradition d'infiltration des policiers hors de tout cadre judiciaire est ancienne. Comme l'expliquent les journalistes du Guardian Paul Lewis et Rob Evans dans leur ouvrage Undercover : The True Story of Britain's Secret Police(non traduit, Faber and Faber, 2013), depuis la fin des années 1960, entre 100 et 150 policiers ont été infiltrés pour cinq ou six ans, parfois plus. Certains ont développé des relations intimes avec des militantes, ont même fait des enfants, avant de disparaître à la fin de leur mission.

    MÉTHODE ASSUMÉE

    Dans certains cas, ils ont joué un rôle non négligeable dans les actions de « subversion » qu'ils étaient censés combattre. En 2007, sur les trois représentants envoyés par les altermondialistes anglais à Varsovie pour préparer un « contre-sommet » du G8, deux sont des policiers, dont Mark Kennedy.

    La méthode est assumée, comme en témoigne la feuille de route de l'UCO 133. Le policier est « autorisé à participer à des délits mineurs, à des dégradations mineures, à des blocages et à des intrusions. C'est ce statut qui permet aux officiers de “grimper les échelons” chez les militants et d'atteindre la situation de confiance qui leur permet d'avoir accès à des renseignements préventifs particulièrement pertinents ».

    En France, de telles pratiques sont illégales pour un service de renseignement sur le territoire national. Cela n'a pas empêché les RG de tenter le coup, dans les années 1970. L'expérience a été abandonnée au début des années 1980. Trop risquée, trop chère. Mais un renseignement venu d'un service étranger reste un renseignement, et on n'est pas obligé de poser trop de questions. « Le NPOIU nous a dit : “On a une source à l'intérieur de la mouvance.” On était destinataires de tout ce qui se disait », confirme un haut responsable des RG de l'époque.

    LA DCRI COMME FRAPPÉE D'AMNÉSIE

    Les documents témoignent qu'un pas est franchi à l'approche de la création de la DCRI, puis lorsque le service naît, le 1er juillet 2008. L'espion anglais n'est plus un observateur passif des « anarcho-autonomes ». Sa hiérarchie lui demande de s'impliquer activement dans leur surveillance, y compris en France. Dès le 4 juin, Mark Kennedy affirme, dans ses carnets manuscrits, qu'il a « reçu de brèves instructions à propos d'un contact avec (…) Julien et Gabby ». Dix jours plus tard, son agent traitant écrit que leur responsable hiérarchique a réclamé une surveillance sur la visite d'un militant américain chez « Julien, à sa ferme », à Tarnac. Puis, à la fin de l'été, l'« infiltration spécifique » est demandée.

    La toute jeune DCRI, sous pression pour bâtir son dossier, a-t-elle demandé un coup de main aux Anglais ? Interrogés, les responsables de l'époque semblent frappés d'amnésie. Il faut dire que, pour eux, il n'y a pas de bonne réponse : soit un agent étranger a opéré au nez et à la barbe de la DCRI, censée surveiller de près Julien Coupat et ses amis ; soit la DCRI a demandé aux services anglais demener une opération parfaitement illégale sur le sol français.

    Ils n'ont probablement pas d'inquiétude à avoir. Là où, au Royaume-Uni et enAllemagne, l'affaire du NPOIU a déclenché procédures judiciaires et enquêtes parlementaires, elle ne provoque qu'une indifférence polie en France. La juge d'instruction a refusé, en octobre 2013, les demandes d'actes supplémentaires. Contacté, M. Kennedy, qui poursuit sa carrière de consultant aux Etats-Unis, renvoie aux autorités policières anglaises et françaises. Lors d'une audition devant le Parlement britannique, le 5 février 2013, il s'était félicité d'avoir approché « des personnes qui envisageaient de saboter des centrales électriques (…), le réseau ferré, et qui ont eu un certain succès dans ce domaine en France ».