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    Chapitre 1.3: « Balayer l’oligarchie, abolir les privilèges de la caste »... tout en gardant les hauts fonctionnaires et le patronat ?

    La Tendance CLAIRE a décidé d’« appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme » (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.

    Episode précédent :

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    Episode 2

    1. 3) « Balayer l’oligarchie, abolir les privilèges de la caste »... tout en gardant les hauts fonctionnaires et le patronat ?

    Il est juste de dénoncer « la collusion entre des intérêts privés, financiers ou industriels, et l’oligarchie qui s’est emparée de nos institutions » (ou plus exactement la minorité des capitalistes et de leurs agents qui ont mis en place et font logiquement fonctionner ces institutions, qui ne sont justement pas les « nôtres »...). Nous aussi sommes contre  la « caste de privilégiés, vouée aux plus riches, [qui] gangrène l’État. Nous voulons défaire ce système injuste, rappeler le principe fondamental de l’égalité entre tous, organiser la séparation de l’État et de la finance ». On peut donc appuyer le projet de « mettre en place un plan de séparation de l’argent et de l’État ». Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Comment faire en sorte que les riches, les capitalistes, cessent de dominer l’État, d’imposer leurs intérêts à la majorité ? Pour nous, cela pose la question de la nature même de l’État et rend nécessaire le passage du pouvoir réel dans les mains de la majorité, celle des travailleur/se-s, des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Or c’est ce pas que le programme AEC ne franchit pas, prenant le risque de mesures abstraites ou inefficaces.

    Nous sommes bien sûr d’accord avec le projet de « combattre l’influence des lobbys dans le débat parlementaire » (ou plus exactement des lobbys représentant des intérêts privés lucratifs, car nous sommes au contraire pour que les élu-e-s s’informent et débattent avec les associations d’utilité publique et les organisations représentant les travailleur/se-s et les opprimé-e-s), d’« interdire l’entrée du Parlement aux lobbyistes et leurs cadeaux aux parlementaires, aux membres du gouvernement et à leurs cabinets », de « rendre inéligible à vie toute personne condamnée pour corruption », d’« appliquer les recommandations anti-corruption d’Anticor et Transparency International » ou encore de « cesser de sous-traiter et de surfacturer la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques à des cabinets de conseils privés »... Oui, mais qui peut faire tout cela de manière globale et efficace, notamment contrôler les élu-e-s, sinon les citoyen-ne-s eux/elles-mêmes ? Cela suppose que ceux/celles-ci se réunissent régulièrement pour discuter et mandater leurs délégué-e-s, sans attendre l’élection suivante.

    Par ailleurs, la nouvelle version du programme AEC propose de « réformer le financement de la vie politique », mais n’avance curieusement aucune mesure précise. Pourtant, il serait élémentaire de dénoncer les rémunérations des ministres, des députés et sénateurs, des maires des grandes villes : dans la tradition démocratique du mouvement ouvrier depuis la Commune de Paris, il faut exiger qu’aucun-e élu-e ne gagne plus que le salaire moyen (soit 2300 euros nets par mois), afin que nul-le ne soit tenté-e d’être élu-e pour des raisons financières. La seule mesure concrète que propose le programme AEC est d’« abaisser à 200 euros le plafond des dons individuels aux partis politiques ». Alors que les partis bourgeois sont aujourd’hui financés par la collusion avec des capitalistes (comme l’ont révélé l’affaire Bygmalion et tant d’autres), pourquoi empêcher les travailleur/se-s qui le souhaitent de donner plus de 200 euros au parti de leur choix ? Il est juste de fixer un plafond, pour empêcher les riches de promouvoir artificiellement les partis qui les intéressent, mais tout-e membre d’un parti du mouvement ouvrier qui touche un vrai salaire sait que sa cotisation annuelle peut parfois s’élever à plus de deux cents euros (soit 0,72% du salaire net moyen). Si les chef-fe-s de la France insoumise avaient voulu faire de ce mouvement un véritable parti, ils/elles s’en seraient certainement rappelé !

    Plus fondamentalement, le programme AEC propose surtout de « durcir les règles contre les conflits d’intérêts et interdire le pantouflage : tout haut fonctionnaire souhaitant travailler dans le privé devra démissionner de la fonction publique et rembourser le prix de sa formation s’il n’a pas servi au moins dix ans » ; et il veut « allonger à dix ans les périodes d’interdiction d’exercice d’une fonction privée après avoir exercé une activité dans la fonction publique relative au même secteur ». Il est indéniable que ces mesures seraient progressistes, mais comment ne pas voir à quel point elles sont superficielles ? Il est scandaleux que les haut-e-s fonctionnaires formé-e-s aux frais de l’État (c’est-à-dire par les impôts des travailleur/se-s) aillent faire profiter les grandes entreprises de leurs compétences et surtout de leurs réseaux (qui relèvent souvent du copinage), s’en mettent plein les poches et reviennent ensuite faire du lobbying pour ces entreprises dans les services de l’État (car la « concurrence libre et non faussée » est évidemment un leurre). Mais là aussi le problème principal, que ne pose pas le programme AEC, c’est que ces hauts fonctionnaires ont beaucoup de pouvoir entre les mains ! Au lieu d’être simplement des technicien-ne-s hautement qualifié-e-s, dont on aura encore besoin demain pour organiser (et planifier !) l’économie, ils/elles sont de fait hors de tout contrôle citoyen. C’est pourquoi il faudrait démettre une bonne partie de ces hauts fonctionnaires qui ont servi les gouvernements successifs et qui saboteraient toute mesure de rupture avec le système. Et il faudrait placer les technicien-ne-s qui les remplaceraient (quand ce serait nécessaire, par exemple pour élaborer techniquement la planification) sous le contrôle populaire : celui des agent-e-s des services où ils/elles travaillent et celui des usager-ère-s, via leurs représentant-e-s, à tous les niveaux.

    Ce n’est pas la voie que prend la nouvelle version du programme AEC, qui ajoute la proposition d’« abolir la réforme Macron du corps préfectoral »... mais ne met pas en cause l’existence même des préfets. Ceux-ci ont pourtant été mis en place par le dictateur Napoléon (dont Macron fait logiquement l’apologie) contre la logique non centralisatrice de la Première République suite à la révolution française (dont Mélenchon et LFI sont prompts d’habitude à se réclamer) ; ils ne sont pourtant ni élus, ni contrôlés par le peuple, mais fondés de pouvoir de l’exécutif national dans les départements, au détriment du pouvoir de ces collectivités dont les conseils sont au moins élus. De fait, ces plus petits des « hauts fonctionnaires » n’arrêtent pas d’utiliser leur pouvoir pour briser les arrêtés des mairies qui ne plaisent pas aux ministres, sans même avoir besoin de passer par une procédure judiciaire contradictoire (sachant par ailleurs que le prix des recours est prohibitif pour les petites communes déjà souvent asphyxiées financièrement).

    Sur un tout autre plan, la nouvelle version du programme AEC a également ajouté une mesure qui mérite débat : elle préconise de « garantir des recrutements qui reflètent la diversité sociologique de la société dans les concours de la fonction publique ». Sans que l’audace aille jusqu’à l’emploi du mot, il s’agirait donc concrètement d’instaurer des quotas – mais le texte ne précise pas si cela concernerait le genre, la classe sociale et/ou le quartier de provenance, l’origine ethnique... Cela justifierait pour le moins des clarifications et surtout une vaste discussion, plutôt qu’une simple ligne ajoutée en passant dans une longue liste de mesures disparates ! Cette proposition a le mérite de supposer qu’on reconnaisse à quel point la méritocratie républicaine est un leurre à l’échelle de la population : la reproduction sociale, qui procède du fait même de l’existence de classes sociales, empêche la mobilité sociale de la grande majorité – même si les exceptions sont brandies à longueur de médias comme de prétendues preuves qu’il serait possible de « réussir » avec du travail, du caractère, de la bonne volonté, etc. Pour autant, l’instauration de quotas pour les concours de la Fonction publique est-elle une solution ? Le programme AEC permet d’ouvrir la discussion et la Tendance CLAIRE l’a commencée, sans encore pouvoir prendre position. Mais une chose nous semble sûre : le problème que posent les différentes solutions visant à améliorer la mobilité sociale – qu’il s’agisse du républicanisme abstrait en France ou des quotas « raciaux » aux États-Unis –, c’est qu’elles ne peuvent de toute façon pas empêcher la reproduction des inégalités. En effet, le problème principal des sociétés contemporaines n’est pas la reproduction sociale en soi, qui est inévitable dans toutes les sociétés, mais le fait même qu’elles sont profondément inégalitaires. Or, tant qu’elles le seront, les classes se reproduiront d’une manière ou d’une autre : seul le degré d’hypocrisie systémique et d’illusions individuelles peut varier quelque peu. La vraie solution pour mettre fin aux inégalités sociales, ce n’est pas d’améliorer la mobilité sociale d’un certain nombre d’individus, mais de mettre fin à l’existence même des classes sociales, donc au capitalisme, au patriarcat et au racisme structurel...

    Dans la longue liste de mesures hétéroclites de ce point 3 du chapitre I, le programme AEC propose ensuite de lutter contre la fraude fiscale des capitalistes et des riches, qui fait perdre des milliards d’euros chaque année à l’État, aux collectivités et à la Sécurité sociale : « supprimer le monopole du déclenchement de poursuites judiciaires par la seule administration fiscale pour toutes les affaires en cas de fraude, quelle qu’elle soit : la justice doit pouvoir enquêter librement, même contre l’avis du ministre ». Oui, mais quelle « justice » ? Là encore, le problème que pose le système judicaire, comme l’ensemble des autres pouvoirs, c’est que les citoyen-ne-s en sont exclu-e-s, car il est dans les mains de professionnel-le-s, qui eux/elles aussi forment une « caste » (on y reviendra dans le chapitre 2, points 1 et 2). Or la meilleure façon de contrôler les comptes des capitalistes et des riches n’est-elle pas d’en confier la tâche aux salarié-e-s de leurs entreprises, qui sont les mieux placé-e-s (avec bien sûr le support technique des comptables, spécialistes juridiques, etc.) pour vérifier l’adéquation des chiffres et des choses, établir les bilans réels et régler les impôts qui doivent l’être ? Et bien sûr cela passe par la levée du secret des affaires... Le programme AEC sème des illusions en se contentant d’en appeler à « la justice », c’est-à-dire au seul système judiciaire professionnel, pour lutter avec des petites cuillers contre l’océan de la fraude patronale !

    De ce point de vue, la proposition d’« organiser l’élection des administrateurs de la Sécurité sociale par les assurés eux-mêmes » est juste (c’était d’ailleurs prévu dans le projet initial de la Sécurité sociale), mais pourquoi ne pas l’étendre aux autres fonctions et aux autres mandats de l’administration ? Pourquoi, là encore, ne pas vouloir faire basculer l’essentiel du pouvoir dans les mains de la population, alors que c’est pour elle que les services publics devraient fonctionner ?

    Enfin, le programme AEC propose de « mettre fin au monopole de la parole des patrons par le MEDEF et fonder la représentativité des organisations patronales sur la base d’élections des chefs d’entreprise, comme c’est le cas pour les syndicats de salariés ». Entre deux maux, on peut certes préférer le moindre et, après tout, peut-être que les patrons aussi souffrent du manque de « démocratie » parmi eux – tout comme du sexisme, du racisme, de l’homophobie, etc., qui doivent toujours être dénoncés. Mais le problème ici, comme pour les haut-e-s fonctionnaires, c’est que le programme AEC ne met pas en cause le fait même qu’il y ait des patrons ! Plus particulièrement, le problème du gros patronat, ce n’est pas avant tout que la représentativité du MEDEF ou de la CGPME soit approximative ou même abusive. Le problème, c’est que cette catégorie, véritable classe sociale (ou fraction fondamentale de la bourgeoisie), détienne l’essentiel des richesses et du pouvoir économique et, par son influence et ses réseaux (notamment les médias qui leur appartiennent, leurs ami-e-s haut-e-s fonctionnaires et policien-ne-s), une bonne partie du pouvoir politique et idéologique. Il n’est donc pas possible de changer le système si l’on ne supprime pas l’existence même de cette classe, avant tout par l’expropriation des grands capitalistes et la socialisation de leurs entreprises (nous y reviendrons). Autrement, la promesse de « balayer l’oligarchie, abolir les privilèges de la caste » ne peut être qu’un miroir aux alouettes !

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