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Chapitre 1.2: « Abolir la monarchie présidentielle »
La Tendance CLAIRE a décidé d’« appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme » (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.
Episode précédent :
1. 2) « Abolir la monarchie présidentielle »... oui, mais si c’est seulement pour l’« instauration d’un régime parlementaire », la souveraineté populaire n’y gagnera qu’une bricole !
Le programme AEC rappelle à juste titre que « le président de la République concentre beaucoup trop de pouvoirs : tout le pays est entraîné par sa seule volonté » – mais on doit préciser que, le plus souvent, « sa seule volonté » n’est en fait pas tant la sienne que l’expression des intérêts bien compris du capitalisme français... En tout cas, « les députés deviennent plus des témoins que des acteurs de la décision politique ; il faut mettre fin à cette aberration, qui a atteint son paroxysme autoritaire sous la présidence de Macron. » Oui, mais pour que le peuple soit réellement souverain, il ne suffit pas de « passer à une 6e République qui soit un régime parlementaire stable ». Un tel « régime parlementaire » existe dans bien d’autres pays, comme en Allemagne, et a existé en France sous la 3e et surtout la 4e Républiques : si cela permet indéniablement une plus grande sensibilité des institutions aux rapports de force politiques, donc notamment aux opinions et surtout aux mobilisations populaires, ce n’est pas pour autant que le peuple y ait beaucoup plus de pouvoir. Il faut au contraire réorganiser de fond en comble le système politique pour mettre fin au quasi-monopole du pouvoir par la bourgeoisie et permettre une véritable souveraineté populaire, c’est-à-dire l’hégémonie des travailleurs/se-s.
De ce point de vue, « élire l’Assemblée nationale au scrutin proportionnel départemental » (avant la nouvelle Constitution prévue pour plus tard) serait évidemment progressiste : l’élection des député-e-s par l’actuel mode de scrutin uninominal à deux tours, maintenu par presque tous les gouvernements successifs de la 5e République, donne une Assemblée nationale qui ne « représente » nullement l’opinion publique réelle. Les véritables rapports de forces politiques seraient évidemment mieux exprimés par un scrutin proportionnel par listes (on peut d’ailleurs débattre de l’échelon départemental introduit par la nouvelle version du programme AEC : pourquoi pas des listes nationales, vu qu’il s’agit d’élire une Assemblée nationale et non de faire valoir les intérêts des départements ?). Cependant, même avec un scrutin proportionnel, on resterait loin du compte si l’on élisait cette Assemblée dans les conditions actuelles qui font la part belle aux médias capitalistes et aux partis bourgeois de tous bords.
On retrouve ici l’urgence d’une véritable Assemblée, telle qu’une Constituante pourrait la décider : la vraie condition pour que les citoyen-ne-s s’approprient pleinement les questions politiques et contribuent réellement à faire les lois, c’est qu’ils/elles se réunissent, débattent et proposent dans tout le pays, à tous les niveaux et de façon permanente – par des AG locales fréquentes –, l’élaboration de mandats précis et l’élection de délégué-e-s pour les porter aux niveaux supérieurs, jusqu’à une Assemblée nationale qui serait ainsi réellement représentative et pourrait prendre des décisions à la fois majoritaires et les plus rationnelles possibles, car élaborées et réfléchies par le plus grand nombre possible.
Pourtant, en attendant la Constituante, le programme AEC ne propose rien d’autre que le scrutin proportionnel... Il n’est d’ailleurs pas très clair : sans que ce soit explicite, il semble prévoir que l’Assemblée nationale qui sera ainsi élue (on suppose au printemps, dans la foulée de la présidentielle), siègera jusqu’à ce que la Constituante ait terminé ses propres travaux, c’est-à-dire pendant plus de deux ans. Autrement dit, la constitution de la 5e République continuerait de s’appliquer ! Il est certes précisé ensuite que, « dans le cadre de la Constituante », il serait décidé d’« obliger le gouvernement à rendre réellement des comptes devant le Parlement » et d’« abolir les procédures de "votes forcés" du Parlement comme l’article 49.3 de la Constitution de la 5e République ». Mais, là aussi, ce passage est assez curieux : si la Constituante est souveraine, c’est elle qui décidera ! Et, s’il s’agit de verser d’ores et déjà des propositions au débat, pourquoi s’en tenir à ces mesures élémentaires ?
La question se pose d’autant plus que la nouvelle version du programme AEC a supprimé ici un passage de la version antérieure qui parlait du « remplacement du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental par une Assemblée du long-terme, compétente sur l’aspect écologique et social des lois ». Cette suppression est regrettable car il ne faut perdre l’occasion de dénoncer l’existence même du Sénat actuel, seconde chambre inutile, même pas élue au suffrage universel direct, qui aggrave encore la distorsion de la représentation. Quant au CÉSE, qui n’est pas non plus élu et n’a d’ailleurs qu’un rôle consultatif, il ne doit pas non plus être conservé. Au demeurant, la version antérieure du programme AEC ne disait pas comment son « Assemblée du long-terme » devait être élue, ni si elle devait avoir un rôle délibératif ou consultatif.
On peut déplorer enfin que le programme AEC (nouvelle et anciennes versions) ne parle pas non plus du Conseil constitutionnel, qui est pourtant la « chambre » la plus anti-démocratique de la 5e République, puisqu’il a un droit de véto sur les lois votées par le Parlement, jouissant ainsi d’un gigantesque pouvoir de monopole pour l’interprétation de la Constitution, alors qu’il est composé seulement de 9 membres, qu’il n’est élu par personne et n’est pas responsable devant le peuple. Pourtant, si Mélenchon arrivait au pouvoir par les élections actuelles, le Conseil constitutionnel casserait une bonne partie des lois qu’il promet, alors même qu’elles ne procèdent que d’une logique réformiste (sur ce sujet, voir également le point 1 concernant le référendum visant à convoquer une Constituante) . Certes, dans d’autres textes, le député LFI Ugo Bernalicis propose quant à lui quelques aménagements de la nomination au Conseil constitutionnel, et LFI déclare soutenir les propositions de son député (voir à ce sujet le ch. 2, points 1 et 2). . Mais celui-ci ne propose nullement de mettre en cause l’existence même et les fonctions du CC : il veut seulement « supprimer la catégorie de membre de droit du CC » (il s’agit en fait des anciens présidents de la République, mais en pratique ceux qui sont encore vivants ont déjà renoncé à y siéger) et « réformer la procédure de nomination des membres du CC afin de la confier au pouvoir législatif en associant le Conseil supérieur de la magistrature » [Propositions FI n° 6 et 7, rapport de la commission Bernalicis, p. 196 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cejustice/l15b3296_rapport-enquete.pdf] alors qu’aujourd’hui ses membres sont nommés par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale. Peut-on vraiment croire que ces mesures suffiraient à faire du Conseil constitutionnel (création propre et typique de la 5e République) une institution démocratique ?