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Licenciements massifs, austérité et illégitimité de Macron/Barnier... Les appels à mobilisation doivent converger pour un grand mouvement social uni
Les annonces sont tombées au début du mois de novembre : Auchan et Michelin, fleurons du capitalisme français, vont respectivement supprimer 2 500 et 1 250 emplois en France. Ce n’est que le début : le ministre de l’Industrie dit s’attendre à « de nouvelles annonces de fermetures de sites industriels » et le Ministère du Travail a recensé plus de 50 000 « procédures collectives ouvertes par les entreprises en difficulté ».
Les fermetures de sites et les plans sociaux dans les entreprises françaises se multiplient ces derniers mois, motivés par la nécessité de préserver et d’augmenter les marges bénéficiaires tout en élargissant les parts de marché. Cette vague de licenciements met en lumière la crise structurelle profonde du capitalisme qui frappe de plein fouet les travailleurs/euses. Dans ce contexte, les appels à la grève se multiplient : grève illimitée à la SNCF contre la privatisation du fret à partir du 11 décembre, lutte dans la fonction publique contre l’instauration de 3 jours de carence en cas de maladie, la rémunération à 90 % des agents de la fonction publique en arrêt maladie et la suspension de la GIPA (garantie individuelle de pouvoir d’achat), auxquelles il faut ajouter la mobilisation des agriculteurs/trices. Si ces appels sont autant de points d’appuis potentiels pour construire un réel mouvement de combat face au patronat et à Macron/Barnier, ils demeurent pour l’instant dispersés, et donc loin d’être à la hauteur face aux attaques particulièrement violentes qui arrivent.
2024, une année marquée par la fermeture de sites et des plans sociaux en série
Les licenciements massifs chez Michelin et Auchan s’inscrivent dans une tendance plus large de restructuration dans les entreprises françaises aux prises avec une concurrence internationale exacerbée.
Michelin et Auchan : des milliers d’emplois supprimés
Michelin, le géant français du pneu, a annoncé la suppression de 1 250 emplois sur les sites de Vannes et Cholet dans le cadre de son plan de « simplification et de compétitivité », en dépit de bénéfices en hausse. Des fermetures d’usines ont déjà eu lieu dans les années précédentes, notamment à La Roche-sur-Yon et à Bamberg, et les sites français sont de nouveau menacés. En 2023, le groupe Michelin, qui compte 132 000 salariés dans le monde et 19 000 en France, a réalisé un bénéfice opérationnel record de 3,6 Md€, en hausse de 5 % par rapport à 2022. Néanmoins, les perspectives dans le secteur de l’automobile sont mauvaises. Mais la profitabilité de Michelin, comme de l’ensemble des grands groupes capitalistes, est soutenue par des aides publiques de plus en plus massives. Par exemple, Michelin a touché en 2024, 55 millions de crédit impôt-recherche.
Auchan, de son côté, a annoncé un plan social prévoyant la fermeture de plusieurs dizaines de magasins en France et la suppression de plus de 2 500 emplois. Il s’agit d’une stratégie de « réorientation vers des segments plus rentables » et une « adaptation aux nouvelles habitudes de consommation » : dans les faits, on assiste à la fermeture de plusieurs hypermarchés car Auchan veut privilégier désormais, en retard sur ses concurrents, les petites structures, notamment en ville. Cette restructuration témoigne d’une pression croissante dans le secteur pour maintenir la compétitivité hors-prix, c’est-à-dire la capacité d’une entreprise à attirer de la demande pour d’autres raisons que pour le prix (qualité, design, image de marque…). Comme en témoigne la faillite du groupe Casino en début d’année, ce secteur est en effet particulièrement soumis à la concurrence des plateformes en ligne, et doit chercher à s’en différencier.
D’autres entreprises et secteurs touchés
Outre Michelin et Auchan, des entreprises de différents secteurs ont également annoncé des plans sociaux et des fermetures. Renault, par exemple, a fermé en 2023 plusieurs sites en France et supprimé 4 600 postes dans le cadre de son plan de réduction des coûts. L’équipementier automobile MA France, sous-traitant pour Stelantis, a fermé cette année son site basé à Aulnay-sous-Bois, laissant 280 ouvrier.e.s sur le carreau. Sanofi, géant de la pharmacie, a supprimé également 1 700 postes en Europe dont une partie en France, malgré des profits records. Airbus va supprimer d’ici 2025 jusqu’à 2 500 postes et le secteur de la chimie s’attend à une hécatombe avec près de 15 000 suppressions de poste en 3 ans. Le commerce de vêtements n’est pas en reste : Tati, Camaïeu ou encore La Halle ont également fermé des dizaines de magasins, mettant des centaines d’employé.e.s au chômage. Enfin, il faut noter la suppression de 500 emplois à France Travail et 4 000 dans l’Éducation Nationale.
La liste n’est pas exhaustive : dans l’ensemble, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui ont été supprimés ou qui vont l’être, notamment dans les entreprises qui ont bénéficié du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Cette « subvention » de l’État au capital se révèle être ce qu’elle est réellement : un cadeau, sans contrepartie, aux capitalistes, un transfert des fonds publics vers des fonds privés, cadeaux en partie responsables du déficit actuel de l’État. Au total, la CGT estime que plus de 150 000 emplois vont être supprimés en 2025.
Michelin et Auchan : des piliers capitalistes du « monde d’avant » en crise
Les fermetures de sites annoncées par Michelin et Auchan ne touchent pas seulement les travailleurs/euses, mais ébranlent également des écosystèmes territoriaux qui se sont construits autour de ces deux entreprises emblématiques. Ces multinationales, bien qu’évoluant dans des secteurs différents, ont joué un rôle majeur dans la structuration du capitalisme français et dans l’organisation du territoire. L’implantation de Michelin dans le secteur industriel et celle d’Auchan dans la grande distribution ont contribué à transformer les modes de vie, les infrastructures et le paysage socio-économique français.
Michelin : un acteur historique de l’industrie et de la « mobilité »
Créée en 1889 à Clermont-Ferrand, Michelin n'est pas seulement un fabricant de pneus, mais un acteur décisif de l’industrie automobile française et européenne. L'entreprise a accompagné, développé et renforcé la mobilité en France, devenant un symbole de l'essor industriel et technologique du pays. À partir des années 1930, le groupe développe le guide Michelin et l’atlas routier, outils qui ont encouragé la mobilité automobile, contribuant indirectement à façonner les réseaux routiers et autoroutiers français et faisant de la voiture un modèle de réussite sociale, tout en s’appuyant sur l’exploitation des colonies françaises pour la fourniture de matières premières comme le caoutchouc.
Auchan : un pilier de la société de consommation et du périurbain
Fondé en 1961 dans le Nord de la France, Auchan a accompagné la transformation du pays vers la société de consommation de masse, en lien avec l’urbanisation rapide et l’émergence des banlieues et zones périurbaines. Le choix de l’implantation d’Auchan dans ces espaces n’est pas un hasard. Elle répond à l’essor des logements populaires en périphérie, que ce soient les grands ensembles ou le modèle pavillonnaire, et à l’augmentation de la motorisation des ménages. Les centres commerciaux Auchan se sont installés à proximité des axes autoroutiers, créant des "temples de la consommation" accessibles en voiture, participant, là aussi, au développement du réseau routier et renforçant la dépendance automobile.
Par ailleurs, l’entreprise a aussi marqué l'évolution de l'économie française en imposant des pratiques commerciales dominées par les logiques de prix bas, de rationalisation et de standardisation des produits : les marges des distributeurs sont au cœur de la pression subie par les agriculteurs/eurs et les producteurs/trices pour produire toujours plus et toujours moins cher.
Ces deux géants, marqueurs identitaires du capitalisme triomphant des années 60 et 70 et acteurs structurants du quotidien de millions de travailleurs/euses, illustrent comme par un effet miroir les impasses de ce modèle. En effet, les modes de vie individualistes, structurés autour de la voiture et de la surconsommation, ne peuvent en aucun cas être viables à long terme. Ces entreprises polluantes, voraces et meurtrières montrent que le modèle capitaliste, basé sur le profit à court terme et la destruction du vivant, n’apporte que misère et désillusions.
Un contexte global marqué par la crise économique et la concurrence mondiale
La concurrence internationale : une guerre économique sans merci entre les capitalistes
La période de rattrapage post-récession de la profitabilité du capital s’est refermée, et les tendances au ralentissement mondial de la croissance (le rythme de l’accumulation du capital) refont alors surface. Dans ce contexte où les nouveaux débouchés se font rares, la concurrence s’intensifie sur les débouchés préexistants. Les industries des vieilles puissances impérialistes occidentales, y compris la France, peinent à tirer leur épingle de ce jeu face aux grands groupes chinois. Dans le secteur des pneus, par exemple, Michelin fait face à la concurrence de fabricants chinois comme Linglong et Zhongce Rubber, qui produisent à des coûts bien inférieurs. La Chine, devenue le premier exportateur mondial de pneus, bénéficie d’un avantage concurrentiel du fait, notamment, d’une plus grande exploitation des travailleurs/euses du secteur ainsi que d’un prix plus faible de l’énergie (Ajoutons à ces éléments que la demande est moins élevée qu'anticipé du fait de la politique monétaire de la Banque centrale qui a relevé les taux d'intérêt directeurs depuis 2022. De plus, il semble que Michelin ait laissé tomber la filière des pneus pour camionnettes en ne répondant pas à certains appels d'offre pour se concentrer sur les activités à haute valeur ajoutée afin d’augmenter ses marges. Ce sont des "facteurs aggravants" qui interviennent dans un contexte de re-stagnation de l'économie mondiale). Dans le contexte d’une rentabilité menacée par la concurrence et le coût de l’énergie, Michelin doit donc opérer des choix stratégiques et se débarrasser des segments les moins rentables de sa production, comme celui des pneus poids lourds à destination du transport routier. Lié à la circulation des marchandises, ce segment subit indirectement les conséquences du ralentissement du commerce international.
Les fermetures, délocalisations et « restructurations » d’entreprises répondent à la nécessité de comprimer les coûts pour lutter contre la concurrence sur les prix de marché, mais elles découlent aussi la pression des marchés financiers. Craignant la chute de la valeur de leurs titres, les capitalistes financiers accroissent leurs exigences de rentabilité financière de ces titres. Chez Michelin, cette logique se traduit par des distributions de dividendes qui ont atteint 964 millions d’euros en 2024, soit une hausse de 8,6% par rapport à l’année précédente. A cela s’ajoutent 500 millions d’euros de rachat par Michelin de ses propres actions pour tenter d’en soutenir le cours (le prix de l’action) sur les marchés financiers.
Des chiffres révélateurs de l’injustice sociale
Dans ce contexte de crise latente du capitalisme mondialisé, entre les nécessités de la concurrence pour les débouchés et la pression accrue du capital financier, la masse des profits réalisés ne peut suffire à maintenir certains bassins d’emplois, et les travailleurs en payent le prix fort. Plus qu’une question de « répartition des richesses », la lutte pour l’emploi est – objectivement - de plus en plus directement une lutte contre la propriété capitaliste. Selon les données de l’Insee, la part de l’emploi industriel en France a diminué de 2,6 % entre 2010 et 2020, un déclin accéléré par des stratégies de délocalisation. Le nombre de « Plan de Sauvegarde de l’Emploi » enregistrés en 2022 a atteint 12 500, avec plus de 50 % des licenciements concentrés dans l’industrie manufacturière. Certes, des emplois ont été créés et de nouvelles usines ouvertes, comme s’en glorifie le gouvernement ; mais le solde encore positif entre les créations et les suppressions d’emplois industriels, dû notamment à l’explosion de l’apprentissage, est plus bas en 2024 que ces dernières années et l’industrie manufacturière en particulier est en baisse constante depuis 2017. Par ailleurs, malgré leur augmentation en 2024, les fermetures de site et de plans sociaux sont restées limitées jusqu’à présent par les mesures gouvernementales au moment de la crise COVID (notamment les prêts à taux zéro pour les entreprises, qui arrivent maintenant à échéance) et du pic de l’inflation (limitations des hausses des prix de l’énergie, qui touchent également à leur fin). Le retour de bâton est d’autant plus violent dès lors que le volume de ces perfusions se réduit.
Les conséquences sociales de ces fermetures sont dévastatrices. En 2022, le taux de chômage en France était de 7,4 %, mais il grimpe jusqu’à 12 % dans certaines régions industrielles durement touchées par les fermetures. Les travailleurs/ses, privé.es de leur emploi, se retrouvent souvent face à des perspectives de reconversion limitées, accentuant la précarité économique et sociale. De fait, l’objectif de « réindustrialisation » et dee « plein emploi » défendu par Macron – et censé justifier la « politique de l’offre » faite d’allègement de charges pour les entreprises en échante d’investissements en France – est en train de faire long feu. Les effets de la crise profonde du capitalisme français ont pu être différés ou limités, mais ils sont d’autant plus violents aujourd’hui.
Pour la convergence des appels à la mobilisation, pour le » front uni » et le « tous ensemble »
De fait, ces annonces mettent en difficulté le gouvernement déjà très fragile de Michel Barnier. À l’heure où le budget d’austérité (avec 10 milliards d’euros de coupes budgétaires en 2024 et 40 milliards programmés en 2025) s’apprête à être imposé par le 49.3 à défaut d’une majorité pour le camp présidentiel, les licenciements massifs qui vont avoir lieu sont susceptibles d’être une étincelle sur un tonneau de poudre. Pour combattre efficacement les licenciements, les directions syndicales doivent proposer des perspectives crédibles. Supplier les patrons de ne pas licencier est un vœu pieux, et ne peut qu’alimenter la démotivation et le repli vers la négociation d’indemnités de licenciements… Les directions syndicales devraient mettre en avant le droit de véto des CSE sur les plans de licenciement (pour les stopper) et le mot d’ordre d’expropriation et de nationalisation, sous contrôle des travailleurs, des entreprises qui veulent mettre en œuvre des plans de licenciement. C’est la seule façon de garantir la pérennité des emplois. Cette perspective est mise en avant par des courants lutte de classe dans la CGT : ils ont raison !
Comme nous le disions en début d’article, plusieurs fronts semblent s’ouvrir. Deux sont potentiellement explosifs : l’appel à la grève illimitée à la SNCF, avant les fêtes de fin d’année, et celui des agriculteurs/trices qui, dans la continuité du mouvement du printemps dernier, va être au moment où l’accord entre l’UE et le Mercosur doit être signé malgré les réticences formelles et bien trop tardives du gouvernement français. La capacité de blocage de ces deux poids lourds permettrait d’établir un réel rapport de force avec un gouvernement fragile, attendu au tournant à l’Assemblée, attaqué sur sa gauche par les député.e.s du NFP et « surveillé » sur sa droite par le RN. Cependant, dans la mesure ou chaque secteur est appelé à se mobiliser indépendamment des autres, le risque est de voir apparaître plusieurs feux de paille plutôt qu’un incendie général. De plus, si les intérêts sont « en soi » convergents entre la plupart des secteurs, les divisions opérées entre fonctionnaires et salarié.e.s du privé, entre grands propriétaires terriens et petits paysans ou encore entre précaires et salarié.e.s « protégé.es » risquent de disperser les forces.
Dans la fonction publique, le gouvernement se livre à une attaque frontale, et le ministre de la fonction publique (Kasbarian) affiche son enthousiasme autour de la « méthode Trump » pour « débureaucratiser » la fonction publique. Il a salué la nomination d’Ehon Musk à la tête d’un ministère de l’« efficacité gouvernementale » dont l’objectif est de démanteler des pans entiers des services publics. Cela appelle une réponse forte pour obtenir des résultats concrets. FO fonction publique a eu le mésite de mettre en avant la nécessité de rompre avec la tactique des journées d’action dispersées qui ne peut que mener à la défaite. FO fonction publique a proposé 3 jours de grève consécutifs en lien avec la mobilisation des cheminots. Cela a été refusé par les autres organisations syndicales qui appellent à une journée d’action le 5 décembre. FO fonction publique a quitté l’intersyndicale et appelle à la grève les 11, 12, et 13 décembre en même temps que le début de la grève reconductible à la SNCF. Il faut arrêter de diviser les forces ! Il aurait fallu que les directions syndicales appellent dans l’unité à la grève, à la fois dans la Fonction publique et chez les cheminots, avec la perspective immédiate de reconduire, et en convergence également avec les agriculteur/trice-s. On sait par expérience que c’est la seule solution pour gagner, alors que les journées d’actions sans perpsective condamnent à la défaite. Dans la situation, nous prenons acte de l’appel à la grève du 5 décembre et nous appelons à y participer massivement ; mais nous exigeons en même temps des directions syndicales qu’elles appellent aussi à la grève à partir du 11 décembre, à sa reconduction avec les cheminots.
Au vu de la situation, les différentes mobilisations qui se préparent pourraient se transformer en un mouvement social de masse, à condition que les directions syndicales prennent leurs responsabilités et engagent un réel rapport de forces, après avoir tiré le bilan de la défaite de la bataille des retraites. Il faut donc mener la bataille en ce sens dans nos organisations comme à une échelle de masse, en défendant la nécessité d’un « front uni » des organisations et d’un « tous ensemble » interprofessionnel contre les licenciements, contre l’austérité et contre ce gouvernement Macron-Barnier illégitime. Surtout, c’est par l’intervention directe des travailleurs et des travailleuses dans la lutte économique et politique que la conflictualité pourra atteindre un seuil significatif capable de faire face au rouleau compresseur néolibéral. De ce point de vue, l’expérience du mouvement des Gilets jaunes peut jouer un rôle important, en visant cette fois une union immédiate avec les organisations ouvrières.
C’est donc cela qu’il faut mettre à l’ordre du jour des discussions avec les collègues, des réunions et des AG dans nos lieux de travail et de l’agenda politique en général, qui ne saurait être plus longtemps dominé par les batailles parlementaires comme cela a été le cas depuis la séquence électorale, vu le déni de démocratie dont Macron s’est rendu coupable. Les équipes syndicales de lutte, les organisations d’extrême-gauche et la France insoumise peuvent et doivent jouer un rôle moteur pour que les appels à mobilisation des premiers secteurs qui entrent en lutte convergent et débouchent sur un grand mouvement social, capable de stopper les licenciements et l’austérité – ce qui entraînerait logiquement la chute de Macron/Barnier.