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Condamnation de Sarkozy : bravo encore aux juges du tribunal de Paris !

En avril dernier, nous félicitions les juges du tribunal de Paris d’avoir condamné Marine Le Pen et ses acolytes dans l’affaire des assistants parlementaires utilisés pour faire fonctionner leur parti et servir ses dirigeants (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1997). Nous ne pouvons que nous réjouir encore plus de la condamnation de Sarkozy par d’autres juges du même tribunal, pour des faits beaucoup plus graves. Ces magistrat-e-s ont eu le courage de ne pas céder aux pressions exercées sur eux depuis des mois – et savaient bien sûr que leur décision allait soulever un tollé d’indignations aussi hypocrites que dangereuses de la part de la droite et de l’extrême droite.
L’inquiétante trumpisation de la droite et de l’extrême droite
Celles-ci, fortes de leurs machines médiatiques (celles des milliardaires, mais aussi malheureusement certain-e-s journalistes du service public qui leur sont complaisant-e-s), se déchaînent depuis jeudi contre la décision de justice en prétendant qu’elle condamnerait un innocent pour des raisons de vengeance politique de « juges de gauche » et même qu’elle constituerait une violation de l’État de droit. Ces hurlements, bien connus depuis des années de l’autre côté de l’Atlantique, font franchir un pas de plus à la dangereuse « trumpisation » d’une partie croissante des politiciens, qui ne fait qu’accompagner la montée des positions de l’extrême droite dans la bourgeoisie française. Comme toujours, ce genre de campagnes entraîne aussi des menaces de mort contre les juges, notamment contre Nathalie Gavarino, la présidente du tribunal de Paris, qui a dû être mise sous protection policière, comme d’autres magistrat-e-s avant elle. De manière incroyable, il a fallu d’ailleurs attendre trois jours pour que Macron condamne ces attaques et ces menaces : aurait-il hésité au moment où il sait que son salut à la tête de l’État ne sera probablement plus dû bientôt qu’au bon vouloir de l’extrême droite ?
Sarkozy est un voyou
Non seulement Sarkozy n’a évidemment rien d’un innocent, mais c’est un délinquant multirécidiviste : il a été déjà condamné deux fois (dans les affaires « Bismuth » et « Bygmalion ») à des peines de prison, même s’il avait réussi jusque là à échapper à la prison ferme. Ceux qui prétendent que l’emprisonnement d’un ancien président donnerait une mauvaise image de la France devraient plutôt avoir honte que le pays ait été dirigé par un tel « malfaiteur ». Car, au moment même où Sarkozy, ministre de l’Intérieur de Chirac, disait haut et fort vouloir se débarrasser des « bandes de racailles » (en octobre 2005), il était en train de constituer en catimini sa bande de voyous avec notamment Guéant, Hortefeux et Djouhri, eux aussi condamnés jeudi à des peines de prison. Selon le tribunal de Paris, c’est en effet à l’automne 2005 que leur « association de malfaiteurs » a décidé de se tourner vers le régime libyen pour financer leur campagne présidentielle qui se profilait en 2007. Cette « association de malfaiteurs [...] avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale » ; en particulier, « des dignitaires libyens, dont Abdallah Senoussi, ont envoyé de l’argent dans le but de financer la campagne », écrivent les juges pour motiver leur jugement, même s’ils n’ont pas pu établir avec certitude les preuves que cet argent soit arrivé à bon port. On savait depuis longtemps que la première campagne présidentielle de Sarkozy avait coûté 40 millions d’euros, soit deux fois plus que le plafond autorisé – ce qui suffisait à rendre son élection illégale. Mais il est maintenant établi que beaucoup de démarches ont été faites pour financer cette élection avec de l’argent libyen.
La bande de Sarkozy avait en son cœur un terroriste
Il ne s’agit pas de n’importe quels Libyens : Sarkozy sait choisir ses amis. Au centre de l’affaire trône Abdallah Senoussi, que Guéant et Hortefeux étaient chargés d’aller rencontrer à Tripoli pour organiser le financement de la campagne présidentielle. Il n’était pas seulement le n°2 du régime libyen et le beau-frère du dictateur Kadhafi. Parmi toute une kyrielle d’autres horreurs qu’il avait déjà commises (il massacrera par la suite, en 2011, les révoltés de Benghazi) se trouve l’organisation de l’attentat à la bombe qui a coûté la vie en 1989 aux 170 passagers du vol 772 de l’UTA, dont 54 Français-es. Cela a été établi en 1999 par la justice française, qui a condamné Abdallah Senoussi, par contumace, à la prison à perpétuité. Alors que cet ignoble personnage était dès lors sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Sarkozy s’est engagé à le gracier, manifestement en retour de ses bons services : « Dès ma prise de fonctions à la présidence de la République, pas le premier acte, mais le deuxième acte d’amnistie sera pour M. Senoussi », avait-il déclaré (https://www.mediapart.fr/journal/international/200318/sarkozy-second-jour-de-garde-vue?onglet=full). S’il ne l’a finalement pas gracié (la gratitude est rarement une qualité des malfaiteurs !), il a de fait multiplié les démarches pour faire reconsidérer la situation pénale du terroriste, avec notamment une réunion en mai 2009 à l’Élysée, comme le souligne le tribunal de Paris [1].
Comme on le voit, le mépris de la bande de Sarkozy pour les décisions de justice ne date pas d’hier : ils ne se sont pas contentés de chercher de l’argent sale, mais ils ont tenu à le puiser dans des mains ensanglantées. On voit aussi que l’indignation de ces gens-là à l’égard du terrorisme est à géométrie variable : le terrorisme du Hamas justifierait le massacre de dizaines de milliers de Gazaoui-e-s, mais les terroristes de la dictature libyenne pouvaient bien être des amis. Les médias mentionnent d’ailleurs rarement le fait que les familles de victimes du vol 772 de l’UTA se sont portées parties civiles au procès et que le tribunal a condamné aussi Sarkozy, Guéant et Hortefeux à leur verser des dommages et intérêts, reconnaissant le préjudice moral qu’elles ont subi du fait qu’ils sont allés traiter avec l’assassin de leurs proches. Tous ceux qui s’inquiètent que la condamnation de Sarkozy soit une honte pour la France seraient bien inspirés de se demander s’il n’est pas plutôt honteux d’être les amis des amis des terroristes d’État.
Relative clémence du tribunal de Paris
Loin de se montrer particulièrement sévère contre Sarkozy et ses sbires, le tribunal de Paris s’est en fait montré plutôt clément. Il n’a pas retenu trois des quatre chefs d’inculpation, dont ceux de corruption et de financement illicite de la campagne électorale de 2005. Le réquisitoire a pourtant montré à quel point les soupçons sont fondés, mais l’absence de preuves indiscutables et différentes questions juridiques « techniques » ont empêché de condamner les prévenus sur ces points (voir l’analyse précise de Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/260925/sarkozy-kadhafi-dix-questions-pour-tout-comprendre-d-un-jugement-historique). De plus, le tribunal a considéré comme étant « probablement un faux » la note de Moussa Koussa révélée par Médiapart, alors même que le Parquet national financier, mais aussi des jugements antérieurs, fondés sur des expertises extrêmement convaincantes, avaient établi son authenticité (https://www.mediapart.fr/journal/france/260925/argent-libyen-la-verite-sur-la-note-moussa-koussa). Même si cette dernière décision reste difficile à comprendre, il est possible que le tribunal de Paris ait anticipé les réactions de la droite et de l’extrême droite et préféré ne pas prendre le moindre risque de pouvoir être pris en défaut sur quoi que ce soit. En tout cas, cela confirme d’autant plus la solidité de l’argumentation retenue pour établir l’accusation d’« association de malfaiteurs », qui est ici imparable.
De même, la peine infligée relève elle aussi d’une certaine mansuétude. Alors que, à lui seul, le chef d’inculpation retenu est passible de 10 ans d’emprisonnement, Sarkozy n’est condamné qu’à 5 ans. Or, d’habitude, quand il s’agit de délinquants récidivistes comme c’est le cas ici, les tribunaux se rapprochent plutôt des peines maximales. De plus, on peut regretter que des gens qui étaient ministres au moment des faits, et qui ont donc un devoir d’exemplarité, n’écopent que de la moitié de la peine possible. À quoi l’on peut ajouter l’argument certes non juridique, mais politique, qu’eux-mêmes ne cessaient et ne cessent d’exiger des peines dures et de la fermeté des juges contre les petits délinquants...
Enfin, le mandat de dépôt lui-même, c’est-à-dire l’envoi de Sarkozy en prison malgré son appel, n’a rien de particulièrement dur. C’est au contraire la règle générale (dans 86% des cas exactement) quand on est condamné à des peines de cinq ans ou plus. La raison invoquée est souvent le risque de récidive (qui peut prétendre que Sarkozy ne veuille plus faire partie de bandes de malfaiteurs ?) ou de fuite du pays (après tout, Sarkozy doit avoir encore bien des amis à l’étranger, et pas seulement parmi les dictateurs...). Mais, en l’occurrence, le tribunal s’est justifié par l’argument que « les faits [sont] d’une exceptionnelle gravité, de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions mêmes de la République ». Il est juste en effet que des gens qui étaient ministres au moment des faits soient traités au moins comme les autres justiciables. On peut noter cependant que le tribunal de Paris a tenu à différer le mandat de dépôt, c’est-à-dire à reporter l’emprisonnement de Sarkozy – alors que, dans ce genre de cas, les autres prévenu-e-s sont généralement menotté-e-s en plein tribunal et envoyé-e-s directement en prison.
Soutenir le tribunal, est-ce soutenir la justice bourgeoise ?
C’est donc la deuxième fois, après le verdict contre Marine Le Pen et ses amis du RN, que nous soutenons le tribunal de Paris. S’il est vrai que, parmi celles et ceux qui se réclament de la révolution, nous sommes cette fois beaucoup moins seul-e-s à le faire, d’aucuns pourraient craindre que cela ne devienne une habitude... Autrement dit, comment se fait-il que le tribunal de Paris produise, dans ces dossiers, un excellent travail, tout en prouvant son indépendance, alors que les institutions judiciaires en général relèvent de la « justice bourgeoise » que nous pouvons dénoncer par ailleurs ?
D’une part, il y a évidemment des acquis démocratiques au sein des institutions judiciaires, comme dans les autres institutions de l’État et même beaucoup plus, bien sûr, que par exemple dans l’armée ou la police. Cela est dû à l’histoire, aux luttes politiques et sociales, qui ont inscrit des conquêtes progressistes limitant l’écrasement des individus sous les rouages de l’État. Le droit évolue selon les rapports de forces et des acquis sont obtenus quand les mobilisations les imposent, soit directement, soit, le plus souvent, par des évolutions sociales progressives, par exemple en raison de l’évolution des mœurs ou suite à des affaires qui endommagent l’hégémonie culturelle et la légitimité de la classe dominante. En l’occurrence, un ensemble de dispositifs contre la corruption des politicien-ne-s ont été mis en place depuis les années 1980, notamment après les scandales politico-financiers qui ont éclaboussé le PS au pouvoir, comme la droite avant et après lui – en particulier, l’interdiction du financement des campagnes électorales par les entreprises et la limitation des dons individuels (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Sarkozy est allé chercher de l’argent à l’étranger).
D’autre part, si le tribunal de Paris a fourni un travail considérable, s’il a pris le temps de mener un procès exemplaire et s’il a tenu à condamner Sarkozy tout en faisant tout pour n’être pas trop sévère, c’est bien parce qu’il s’agissait de l’ancien président de la République – et aussi parce qu’il a voulu limiter les possibilités d’attaques de la droite et de l’extrême droite. De fait, malgré la peine de prison infligée ici, il n’y a évidemment pas d’égalité entre les justiciables si l’on prend en compte leurs positions sociales : Sarkozy comme Le Pen ont une situation personnelle unique et disposent de relais considérables parmi les politicien-ne-s et les médias, qui leur permettent de hurler à l’injustice, de recevoir des myriades de soutiens, de mettre en cause publiquement l’impartialité des juges et même de s’en prendre à l’État de droit. Or, comme ce n’est pas le cas des coupables qui sont condamnés non seulement aux peines judiciaires, mais aussi à l’anonymat et au silence, on comprend bien que les autres procès ne soient pas aussi soignés. C’est même une litote : on sait que, faute de moyens, non seulement beaucoup de plaintes sont classées sans suite avant même d’avoir été examinées, mais les procès et les procédures en général sont largement bâclés, avec notamment les « comparutions immédiates » traitées en quelques minutes, à la chaîne, les avocats commis d’office, mal payés et débordés, les détenu-e-s abandonné-e-s à leur sort pendant des années avant de pouvoir faire valoir leurs droits à des remises de peine ou des libertés conditionnelles, etc. Plus profondément, en raison à la fois des directives de leur ministère et de leur fonction même, qui est de faire respecter l’ordre bourgeois (et souvent aussi parce qu’ils sont socialement et politiquement conservateurs, voire réactionnaires, contrairement à ce que prétendent ceux qui voient des « juges rouges » partout !), les magistrats sont souvent très sévères contre les petits délinquants, et plus encore contre les sans-papiers, les jeunes des quartiers populaires, les personnes racisé-e-s et les militant-e-s d’extrême gauche – voire les simples manifestant-e-s quand le gouvernement impose de faire du chiffre pour intimider tout le monde.
C’est pourquoi nous devons non seulement nous féliciter que, grâce en particulier au travail de Médiapart, les juges du tribunal de Paris aient condamné Le Pen et Sarkozy, avec courage et sérieux, mais aussi revendiquer que toutes et tous les prévenu-e-s soient traité-e-s avec la même exigence de justice, la même précaution et la même méticulosité – celles que requiert tout droit digne de ce nom. C’est bien sûr un minimum, mais nous savons que même ce minimum est impossible dans le cadre des politiques actuelles et de l’État bourgeois en général. Au-delà, nous devrons nous battre pour un bouleversement complet de l’institution judiciaire, afin qu’il revienne enfin au peuple d’exercer le pouvoir dans ce domaine comme dans les autres (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1738).
Note
[1] Nous ne revenons pas ici sur la réception de Kadhafi lui-même en grande pompe dans les jardins de l’Élysée... avant que Sarkozy, décidément toujours reconnaissant, ne décide de le faire assassiner, tout en bombardant les Libyens – et peut-être, disent certains, en faisant viser particulièrement des personnages et des maisons qui pouvaient abriter des secrets compromettants...





