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Retraites : veillée d’armes avant le début d’une lutte décisive contre Macron
Ça y est : nous connaissons donc le contenu de la contre-réforme des retraites de Macron et de Borne. Il n’y a aucune surprise :
- L’âge légal passerait progressivement (au rythme d’un trimestre par an) de 62 à 64 ans. Certes, Macron a fait mine de faire une concession en abandonnant la jauge de 65 ans, mais c’est une concession symbolique : le passage de 64 à 65 ans était programmé après 2027… Et rien n’empêchera un macroniste (ou un autre) de proposer un nouveau report de l’âge légal dans quelques années.
- L’allongement de la durée de cotisation (prévue par la contre-réforme Touraine en 2014) serait considérablement accéléré : nous serions à 43 années de cotisations en 2027 au lieu de 2035. La « concession » de Macron sur les 65 ans se paie donc par un allongement de la durée de cotisation qui concernera tout le monde.
- La suppression des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants (« clause du grand-père »). Cela concerne notamment les agents de la RATP et ceux du gaz et de l’électricité.
Le gouvernement essaie néanmoins de nous vendre, laborieusement, une réforme à la fois « nécessaire » (pour « sauver » notre régime de retraite) et « juste » (grâce à une revalorisation des petites retraites et à la possibilité de départs à la retraite plus tôt pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé une activité pénible). Examinons rapidement ces deux points :
- Le gouvernement nous explique que le déficit prévu du régime général de retraite impose des coupes dans les dépenses. En réalité, le Conseil d’orientation des retraites (peu suspect de gauchisme) réfute tout problème important de financement des retraites. Au pire, il y aurait dans quelques années un déficit d’une dizaine de milliards sur plus de 300 milliards versés. Une très légèrement augmentation des cotisations sociales suffirait à combler le « trou ». Pas question pour le gouvernement, qui compte bien continuer la baisse des cotisations sociales payées par les patrons. Il faut avoir en tête que la part des cotisations patronales dans le financement des prestations de Sécurité sociale est passée de près de 60 % en 1990 à 40 % aujourd’hui. Un immense basculement du financement de la Sécu s’est opéré au bénéfice des patrons et au détriment des salariés, avec la hausse drastique de la part de la CSG.
- Le gouvernement promet une retraite minimale à 1 200 €, soit 85 % du Smic net (avec les revalorisations automatiques prévues en 2023), à condition d’avoir une carrière complète. D’une part, le gouvernement oublie de dire que les « 1200 € » correspond à la pension minimale « brute ». Nette, cela fait moins de 1 100 €, et donc moins que 85 % du Smic net. En outre, la grande majorité de celles et ceux qui touchent une pension de retraite inférieure à ce seuil sont précisément celles et ceux qui n’ont pas de carrière complète. Avec l’allongement de la durée de cotisation, la proportion de celles et ceux qui n’auront pas toutes leurs années de cotisation va augmenter… et donc les retraites de misère également ! Enfin, le principe d’une retraite minimale de 85 % du Smic figure dans la loi… depuis la contre-réforme de 2003, et ce principe n’a jamais été appliqué. Pourquoi en serait-il autrement avec Macron ?
- Le gouvernement se vante de permettre à celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé une activité pénible de pouvoir partir à la retraite plus tôt que les autres. Quelle générosité ! C’est déjà le cas aujourd’hui, mais ces personnes devront, comme les autres, travailler deux ans de plus avant de pouvoir partir à la retraite. Pire, les personnes ayant commencé à travailler avant 21 ans devront cotiser 44 ans (sans surcôte) contre 43 ans pour les autres avant de pouvoir partir à la retraite. Par ailleurs, Macron se vante de prendre en compte la pénibilité… alors qu’il a supprimé des critères de pénibilité en 2018, notamment la « manutention de charges lourdes ». Si vous êtes déménageur, vous ne faites pas un métier pénible, et vous êtes bon pour travailler jusqu’à 64 ans si vous avez la chance de ne pas être encore en invalidité ! Mais, dans sa grande générosité, vous passerez une « visite médicale obligatoire et systématique » à 61 ans si vous exercez un métier à risque : si vous êtes suffisamment déglingué, vous pourrez alors avoir une retraite anticipée. Autrement dit, si vous êtes déménageur, il faudra que vous soyez en mauvaise santé pour espérer un départ anticipé. Sinon, vous êtes bon à la tâche jusqu’à 64 ans !
Le gouvernement a perdu la bataille de l’opinion publique
Le gouvernement ne parvient pas à cacher ses véritables intentions : baisser notre salaire socialisé et donc augmenter la part des profits dans la valeur ajoutée. Contrairement au projet avorté de contre-réforme de 2019, ce projet est lisible. Malgré les efforts de McKinsey et autres parasites des sociétés de conseil, la pilule ne passe pas. Entre 60 et 80 % de la population rejette la contre-réforme de Macron. Le rejet monte même à 93 % chez les actifs dans un sondage !
Par ailleurs, les Français sont non seulement contre la réforme, ils soutiennent à 60 % la mobilisation qui s’annonce (contre 27 % qui la désapprouvent et 12 % d’indifférents). Cela monte à 66 % chez les ouvriers et employés, 83 % chez les électeurs de Mélenchon et 70 % chez ceux de Le Pen. Plus intéressant encore, 46 % des Français se disent prêts à se mobiliser dans les semaines à venir. Cela monte à 56 % chez les ouvriers et employés, 70 % chez les électeurs de Mélenchon et 58 % chez ceux de Le Pen.
Bien entendu, ce ne sont pas les sondages qui sont décisifs, mais la mobilisation réelle. Néanmoins, ils contribuent à acter l’illégitimité de cette réforme et à donner de la force à celles et ceux qui se mobilisent. C’est d’autant plus important qu’il faudra combattre la résignation et le pessimisme, évidemment entretenus par les grands médias au service du pouvoir. Seulement un quart des Français pensent que la mobilisation contraindra le gouvernement à retirer sa réforme. C’est évidemment un frein à la mobilisation, qu’on peut comprendre aisément : les précédentes mobilisations ont échoué en raison notamment des stratégies désastreuses des directions syndicales, dont il faudra tirer toutes les leçons pour la mobilisation qui débute aujourd’hui.
Le gouvernement n’a réussi qu’une chose à ce stade : sceller un accord avec les Républicains qui devrait lui offrir une majorité au parlement. En choisissant d’inclure la réforme des retraites dans le projet de loi rectificatif sur la financement de la Sécurité sociale, il s’assure que la réforme pourrait être votée définitivement mi-mars car les débats seraient limités dans le temps, quelle que soit la quantité d’amendements. La bataille ne se jouera pas au parlement. Elle se jouera dans la rue et dans les entreprises.
Se mobiliser massivement les 19 et 21 janvier pour imposer un plan de bataille vers la grève générale, qui seule peut vaincre Macron et sa contre-réforme
Sans surprise, l’intersyndicale a décidé suite aux annonces du gouvernement de programmer une journée d’action et de grèves jeudi 19 janvier. D’une part, il faut se féliciter de l’unité syndicale la plus large, qui va aider à la mobilisation la plus large. D’autre part, on doit regretter que l’intersyndicale n’ait pas annoncé un plan de bataille crédible pour contraindre le gouvernement à retirer sa contre-réforme. Or, nous le savons : de puissantes journées d’action, dispersées, ne suffiront pas à gagner. En 2003 et en 2010, d’immenses manifestations n’avaient pas permis d’obtenir le retrait des contre-réformes des retraites. Pour obtenir la victoire, il faut qu’une grève puissante et interprofessionnelle, qui bloque l’économie, oblige le gouvernement à reculer, car il n’a pas le choix. Si l’économie ne tourne plus, les profits disparaissent et la situation devient rapidement intenable pour le gouvernement. Or, pour qu'une telle grève soit possible, il faut se donner les moyens de la construire.
Fort de cette analyse (impossible à réfuter), les directions syndicales devraient proposer un plan de bataille permettant la montée vers la grève générale, sur le modèle de ce qui s’est fait en Guadeloupe ces dernières années. Malheureusement, elles ne le font pas. Il faudra donc se battre pour imposer ce plan de bataille, à l’intérieur de nos syndicats et dans les assemblées générales !
Dans ce sens, nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur des positionnements syndicaux bien plus avancés que ceux des confédérations. La CGT de la Chimie (qui couvre les raffineries) met sur la table un plan de bataille avec une grève de 24h le 19 janvier, de 48h les 26 et 27 janvier, de 72h à partir du 6 février avec l’objectif d’entamer une grève reconductible dans la foulée. La CGT de l’Energie a lancé un appel à la grève reconductible à partir du 19 janvier en indiquant sa disponibilité pour participer à des actions interprofessionnelles. Ces Fédérations CGT montrent la voie à suivre : il faut un plan de bataille avec un appel clair à la grève générale reconductible jusqu’au retrait, qui s’accompagnerait d’actions de blocage pour maximiser l’impact sur l’économie. Or, les confédérations syndicales cherchent avant tout à organiser un mouvement « dans la durée », à coups de journées d’action dispersées. Nous ne voulons pas un mouvement qui dure deux ou trois mois, nous voulons un mouvement qui gagne, et le plus vite possible !
À court-terme, nous devons tout faire pour que la journée d’action du 19 janvier soit la plus massive possible. Il faudrait au moins 1 million de personnes dans la rue pour que le signal soit donné qu’une mobilisation victorieuse est possible face au gouvernement. Dans la foulée, nous devons aussi nous battre pour l’unité la plus large du mouvement ouvrier : syndicats, partis, associations, les mobilisations ne doivent pas être séparées ou « complémentaires », elles doivent être « tous ensemble ». Nous devons nous battre pour que la manifestation du 21 janvier prolonge la dynamique du 19 janvier, bien que les calculs médiocres des dirigeants syndicaux les ont poussé à boycotter cette manifestation.
Les militants anticapitalistes et révolutionnaires devraient mettre toutes leurs forces dans cette bataille pour la grève générale. De ce point de vue, le discours du « NPA » de l’ancienne direction autour de Poutou et Besancenot, groupe qui a scissionné l’ancien NPA, n'est pas suffisant. Si nous approuvons leur politique unitaire, leur appel à la manifestation du 21 janvier et leur ouverture à l’égard de la France insoumise dans le cadre d’une politique de front uni, nous regrettons leur orientation qui consiste simplement à accompagner la politique des confédérations syndicales. Besancenot et Poutou refusent d’interpeller publiquement Martinez et consort pour exiger d’eux un plan de bataille pour la grève générale ! Une politique d’ouverture devrait avoir pour but de porter à une échelle plus large une parole originale, et non de s’aligner sur les discours les plus minimalistes, ce qui revient à dissoudre la singularité de la voix des militants révolutionnaires. Ils se contentent d’espérer que les travailleurs/ses se mobiliseront à la base le plus fort possible, et veillent surtout à ne rien dire qui heurte les oreilles des dirigeants réformistes. Or, les travailleurs/ses ont bien évidemment besoin d’un plan de bataille national clair et crédible pour se lancer dans des actions dures et une grève reconductible ! Se lancer dans un mouvement reconductible est évidemment bien plus compliqué si cela ne s’inscrit pas dans un plan de bataille national…
En revanche, nous nous réjouissons que les camarades de Révolution Permanente et du « NPA » de l’ancienne opposition de gauche défendent une orientation proche de la notre, fixant clairement l’objectif de la grève générale et interpellant les dirigeants réformistes autour de cet objectif. Il reste à présenter de façon plus concrète le plan de bataille en question, en prenant en compte les questions matérielles de calendrier, de financement de la lutte par la diffusion à grande échelle, et dès maintenant, de caisses de grève, etc.
C’est le moment de jeter toutes nos forces dans cette bataille qui sera décisive pour toute la suite du quinquennat Macron, et sans-doute au-delà. Il faudra convaincre un maximum de collègues de participer aux mobilisations du 19 et 21 janvier. Mais il faudra aussi ne pas remettre à plus tard les discussions nécessaires au nom de « l’unité » derrière les confédérations syndicales. Les salariés ne sont pas des moutons ! Partout, organisons des AG, mettons en place des comités de mobilisation regroupant syndiqués et non syndiqués, et discutons sans tabou des stratégies de mobilisation. L’auto-organisation et l’implication, la coordination des militants lutte de classe autour d’une stratégie claire pourront s’avérer décisives pour gagner face à Macron !