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A nos ami.e.s
Incontestablement, le mouvement contre la loi travail et son monde, qui a démarré le 9 mars dernier, est révélateur de plusieurs phénomènes politiques : la résurgence d'une certaine conscience de classe, la capacité d'action et de confrontation des travailleur·se·s (avec ou sans emploi) ainsi que des lycéen·e·s/étudiant·e·s face au gouvernement, le désaveu de nombre d'entre elles/eux du PS, l’absence de réelle stratégie de lutte de la part des bureaucraties syndicales. Mouvement révélateur aussi de la volonté implacable de la bourgeoisie à imposer son ordre social, tant par l'utilisation des armes parlementaires (l'article 49,3) que par celle de son bras armé : la police.
Dans ce mouvement, nous avons aussi assisté à un renforcement très net de la « mouvance autonome ». Nous utilisons ce terme volontairement large, pour ne pas masquer la grande diversité qu’il recouvre1, d’autant plus que cette mouvance n’est pas et ne veut pas être centralisée. Avec ce texte, nous voulons revenir à la fois sur les aspects positifs et les convergences que nous avons, et sur les désaccords politiques que nous, communistes révolutionnaires, ne pouvons ignorer, tant pour clarifier nos positions mais aussi envisager des actions communes dans les semaines et mois à venir.
Black Blocks, zadistes, AFA, Comité Invisible… l’envie d’en finir avec la soumission
La mouvance autonome s’exprime bien au-delà des enceintes des facs (même si beaucoup sont de fait étudiant·e·s). Nous ne pouvons pas énumérer dans cet article toutes les composantes de cette mouvance, tant cela serait et incomplet et éloigné de certaines réalités, mais nous pouvons revenir sur celles qui ont le plus fait parler d’elles.
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L’Action antifasciste (AFA) est une bannière commune pour plusieurs organisations locales. Celles-ci sont avant tout des groupes antifascistes, regroupant des militant.e.s qui peuvent être dans diverses organisations d’extrême gauche. Mais le fond idéologique majoritaire qui les anime est proche du milieu autonome.
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Les Zones à défendre (ZAD) sont des cadres de lutte (contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, contre la LGV Lyon-Turin, contre le barrage de Sivens, au bois du Tronçay, contre CIEGO à Bure2...) assez larges. Les militant·e·s autonomes y ont joué un rôle essentiel, tant par l'occupation du terrain que par la construction d'une réelle convergence avec les paysan·ne·s et habitant·e·s, nécessaire à la fois pour établir un rapport de force certain face à l’État et la police mais aussi partager des expériences de luttes communes.
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Le Mouvement inter-luttes indépendant (MILI), s’appelant à l’origine Mouvement inter-lycées indépendant. Le terme « indépendant » signifie une opposition à ce qui est vu comme de la « récupération » par les partis politiques.
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Des sites internet comme Paris-luttes infos qui s'apparente à un média internet de masse ouvert aux contribut.eur.rice.s (plus de 13k likes sur Facebook, des centaines de milliers de pages consultées), Lundi.am dont le fond idéologique est plus poussé, ou encore le flux RSS Sedna Medias Libres qui diffuse chaque jour les articles publiés sur plusieurs sites regroupés sous l'appellation « média libres » (dont Paris luttes, Rebellyon, Zad nadir, Indymedia Nantes etc.).
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Des sites d’information et de reportages vidéo comme Taranis News ou le collectif Œil (qui a émergé lors du mouvement). Bien que ces médias ne se revendiquent pas directement de la mouvance autonome, il est indéniable que leurs points de vue lors des manifestations sont clairement orientés sur le black bloc, les affrontements etc. Signalons au passage que les nouveaux média comme les réseaux sociaux permettent à cette mouvance hétérogène et décentralisée d’être très réactive et de diffuser rapidement des informations. Des blocages de lycées aux manifestations (souvent sauvages) étudiantes et lycéennes, les informations étaient transmises quasiment en simultané. Par exemple, la vidéo du flic tabassant le lycéen de Bergson a vite fait le tour de la toile, ce qui a forcé les chiens de garde du capitalisme que sont les médias bourgeois à en faire un (court) sujet.
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Les « black blocks » ne sont pas une sensibilité à proprement parler, mais un mode d’action. Ils ont fait leur apparition dans les années 1990 aux États-Unis lors des regroupements alter-mondialistes comme Seattle, puis en Europe dans les cortèges de tête des manifestations depuis les années 2000, notamment lors de la manifestation anti-G8 à Gênes. Ils étaient également présents lors des soulèvements arabes, particulièrement en Turquie et en Egypte. Le code vestimentaire (s’habiller en noir) permet de créer une image de force commune plus large que la somme des individus qui composent le black block. Ils manifestent généralement visage masqué pour montrer et leur opposition claire à la surveillance d’État et dé-personnaliser les militant.e.s tout en mettant en avant le fait qu’illes sont prêt·e·s à riposter face à la police. Lors des dernières manifestations contre la loi travail, les « cortèges de tête » que l’on peut rapprocher des black blocks ont pu regrouper, en plus des militant·e·s autonomes, des militant·e·s luttes de classe, de nombreux·se·s jeunes rapidement politisé·e·s mais aussi tout·e·s celleux qui ne voulaient plus défiler derrière les cortèges syndicaux.
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Enfin, même si les auteurs (du moins les plus médiatisés) s'en défendent, le Comité invisible apparaît comme un des piliers idéologique majeur de la mouvance autonome.
Par la radicalité de leurs moyens d’action, les autonomes apportent un nouvel aspect à la lutte revendicative, tant dans les manifestations appelées par les syndicats que dans l'implication dans des actions de natures différentes (occupations, manifestations sauvages, blocages).
On y trouve une volonté d'occuper l'espace, les ZAD ou les places (en lien direct à la fois avec les exemples comme en Grèce, en Espagne, place Taksim en Turquie, Maidan en Ukraine...). Les pétitions, les réunions d'information, les tractages et les manifestations ne suffisent plus, il faut s'installer sur place, faire Commune comme proposé dans le livre A Nos Amis du Comité Invisible (la ZAD de NDDL s'est d'ailleurs constituée de la sorte). Dans ces espaces se sont considérablement développés les réseaux affinitaires « autonomes ».
L’occupation n’est jamais passive mais est un lieu de débats (souvent riches et intenses) et de nombreuses prises d’initiatives, comme des actes de blocages (stopper des trains transportant des déchets nucléaires…), des départs en manifestations sauvages ou non, en occupation d'autres lieux clefs, etc. Pour la plupart, la somme de ces actions s’inscrit dans une stratégie visant à déstabiliser la production / la construction / l'acheminement.
De nombreu·x·ses « autonomes » ont répondu présent·e·s à l’appel de Nuit Debout à occuper la place de la République à la fin de la grande manifestation du 31 mars. En plus des « anonymes », on trouvait également des personnes comme Mathieu Burnel aux côtés d’autres célébrités (majoritairement masculines !) de la contestation « non-encartée » (Frédéric Lordon, Samuel Churin, François Ruffin, Xavier Mathieu…). A Paris, les militant·e·s proches de l’autonomie et de l’AFA ont d'ailleurs joué un rôle important pour combattre les facho qui ont tenté de profiter du côté « large et ouvert » de Nuit Debout pour distiller leur poison.
Le mouvement étudiant
Les manifestations du 9 mars, puis du 31 mars, ont été réussies et ont lancé le mouvement. C’était la jeunesse qui était alors en pointe, et une de ses caractéristiques est de ne pas être aussi encadrée par des bureaucraties que les salarié·e·s. L’UNEF a une influence que l’on doit bien sûr prendre en compte, mais depuis les mouvements des dernières années, les AG étudiantes parviennent à la fois à regrouper plus largement que l’UNEF et à la dépasser en termes de radicalité. Dans ces AG, les militant.e.s autonomes et d’extrême gauche parviennent souvent à exercer une influence notable.
Dans les dernières luttes étudiantes d’il y a quelques années (CPE, LRU…), des secteurs autonomes ont pu trouver des terrains d’entente avec des secteurs d’extrême gauche.
Mais il semble que la génération actuelle de militant·e·s autonomes dans les facs a une attitude plus hostile. En effet, dans plusieurs endroits, certain·e·s ont refusé le cadre des prises de décision en AG, au nom de la liberté d'action (« les initiatives doivent êtres individuelles, que chacun fasse comme il l'entend »), voire en les qualifiant de « bureaucratiques ».
Nous pensons que cette attitude est une impasse. Les AG doivent permettre de regrouper celles et ceux qui luttent, quelle que soit leur radicalité, et de leur permettre de faire des expériences ensemble. Nous sommes convaincu·e·s que c’est une nécessité pour encourager un maximum d’étudiant·e·s à se joindre à la lutte (et espérer la gagner), mais aussi pour garder le contact avec celles et ceux qui sont le moins politisé·e·s afin de les faire parvenir à l’anticapitalisme.
Le fonctionnement démocratique n’est jamais acquis, et si des tribunes d’AG sont trustées par des militant·e·s aux pratiques autoritaires ou manœuvrières, cela peut dégoûter largement. Mais selon nous, ce cadre reste indispensable pour la lutte. L’auto-organisation est trop importante pour l’abandonner.
De notre point de vue, la force du mouvement étudiant a manqué dans ce mouvement contre la loi travail : peu de facs furent réellement bloquées, peu d'AG furent tenues avec peu de monde, amenant progressivement à une extinction de la mobilisation étudiante. Certes, d'autres facteurs sont à prendre en compte, comme les vacances scolaires ou les examens. Pourtant, avec des comités de mobilisation, des AG décisionnelles régulières, des comités d'action larges et inclusifs, les choses auraient été différentes à n'en pas douter.
Les syndicats et la classe ouvrière
Depuis 1995, les luttes sociales se sont affaiblies, tant par la vigueur des attaques patronales et gouvernementales contre notre classe que par la soumission progressive des directions syndicales au nom du prétendu « dialogue social ». Des luttes qui avaient pourtant du potentiel, comme celles contre les réformes des retraites, ont été perdues à la fois à cause des directions syndicales mais aussi par le manque d'auto-organisation des travailleur·se·s sur leur lieu de travail, ce qui pourtant aurait permis qu'elleux-mêmes décident de leur investissement dans les luttes et aurait permis de peser face aux bureaucraties. Aujourd’hui encore, mis à part dans quelques secteurs combatifs, cette auto-organisation a fait défaut. Ces échecs sont certainement la raison principale de la baisse de la syndicalisation, et du développement de la mouvance autonome, car beaucoup de militant·e·s cherchent d’autres stratégies révolutionnaires.
Depuis plusieurs années le clivage s’est creusé, et s’est vu très nettement dans les dernières mobilisations. On peut lire parfois des catégorisations générales présentant les « syndicats » comme des traîtres au service du gouvernement, faisant, par exemple, mention de « la CGT » comme s'il s'agissait d'un corps parfaitement homogène (qui pourtant rassemble 700 000 adhérent.e.s), des manifs « cortèges-ballons-merguez », des syndicats « servant au mieux la pérennité du capitalisme »3 ou encore étant les « chiens » des « maîtres ».4 Les tensions maximales ont été atteintes entre certains services d’ordre FO et CGT et certain·e·s « autonomes ».
Heureusement il n’y a pas que ces oppositions, et on doit aussi noter les rapprochements. Au fil de l'évolution et de la contestation, le discours relayé par les média autonomes a changé. Suite aux grèves et mises à l'arrêt des raffineries, des docks, des centrales nucléaires ou encore des sites logistiques, c'est-à-dire suite à des décisions communes prises par des travailleur·se·s sont apparus des appels à « visibiliser la présence des syndicalistes au sein du cortège de tête »5, ainsi que le terme « syndicalistes sincères »6. Ce qui s'est joué là a été de faire une différenciation entre les bon.ne.s ou les mauvais.e.s syndicalistes, entre les syndicalistes « d'action » et les syndicalistes passif·ve·s (ce qui rappelle d'ailleurs ce que les médias font en faisant la distinction entre les bon·ne·s et les mauvais·e·s manifestant·e·s).
Beaucoup de militant·e·s autonomes ont fait l’expérience qu’il y avait aussi une colère et de la radicalité chez de nombreu·x·ses syndiqué·e·s. Beaucoup ont aussi conscience qu’il faut compter avec la force du nombre si l’on veut se donner des chances de gagner. Ce sont, par exemple, les syndicats qui ont permis de déplacer 600 bus pour la manifestation nationale du 14 juin, ou encore qui ont pu bloquer les raffineries, des trains et des avions, le port du Havre, la ville de Rouen… Et malgré toutes les critiques que nous pouvons faire (en commun avec les militant.e.s autonomes) sur ces manifestations très espacées qui diluent le rapport de force global, il n’y a pour l’instant que les appels intersyndicaux qui arrivent à mobiliser dans la rue des centaines de milliers de personnes.
En tant que marxistes7, nous considérons que pour renverser les capitalistes et leur système, il est nécessaire que le prolétariat augmente son niveau d’auto-organisation toujours plus, jusqu’à la révolution. Par prolétariat, nous entendons la classe des ouvrier·e·s, salarié·e·s ou chômeur·se·s, qui ne possèdent pas les moyens de production et sont réduit·e·s à vendre leur force de travail pour vivre. Pour faire progresser cette auto-organisation, nous pensons qu’il est indispensable de partir des organisations telles qu’elles existent, notamment les syndicats, sans pour autant considérer que c'est là le seul moyen. Actuellement, malgré leur état de crise, ce sont les principales structures qui permettent aux salarié·e·s à la fois de se protéger et de contester avec plus de force.8
Il est fondamental de voir la différence entre les syndiqué·e·s et les directions. Les premier·e·s sont parmi nous, et parmi nos collègues ce sont celles et ceux qui sont les plus conscient·e·s de la nécessité de défendre ensemble leurs intérêts communs, par le rapport de force. Les dirigeants sont plus souvent assis autour d’une table avec le MEDEF ou les ministres, qui les tiennent en laissent financièrement et idéologiquement. Sous l’influence capitaliste, ce sont des bureaucraties qui refusent de s'affronter radicalement et pleinement aux gouvernements (par exemple en acceptant sans broncher le cadre des manifestations nassées...). De fait, il est nécessaire de dénoncer et de combattre les bureaucrates, mais aussi de le faire aux côtés des autres travailleur·se·s, au sein de ces structures.
Les partis et la « récupération »
Nous sommes conscient·e·s que les directions syndicales (confédérales mais aussi de la plupart des UL ou UD) jouent le rôle de rouages de l’État capitaliste dans la plupart des circonstances. Mais nous pensons qu’il est possible de peser sur les contradictions qui traversent ces structures, et de construire collectivement sur d’autres bases, comme le font de nombreu·x·ses camarades du NPA (à la Poste, la SNCF, dans l'Education nationale, ou encore parmi les chômeur·se·s, précaires et intermittent·e·s...).
Nous ne voulons pas seulement renforcer les syndicats pour gagner des luttes ponctuelles, et d’ailleurs nous ne pensons pas que cela soit possible, car les capitalistes nous reprennent un à un tout acquis, et finissent par faire croire qu’il n’y a pas d’alternative. C’est pour cela que nous défendons, comme les « autonomes », le projet d’une autre société. Nous défendons également ces idées dans des cadres comme les ZAD ou Nuit Debout.
Certain·e·s autonomes sont extrêmement méfiant·e·s vis-à-vis du NPA, considérant qu’en tant que parti politique, nous avons forcément une volonté de « récupérer » les mouvements9. Pourtant, contrairement aux partis réformistes, nous misons réellement sur le succès des mouvements, que nous ne cherchons absolument pas à canaliser vers des élections. Celles-ci ne sont pour nous qu’une façon de diffuser des idées. Même s’il y a désaccord sur ce point entre communistes et anarchistes/autonomes, nous pensons que cela doit rester secondaire.
Les revendications
Certain·e·s militant·e·s autonomes refusent de « revendiquer », en se disant que cela revient à mendier face au pouvoir, et tentent de vivre comme illes l’entendent, que ce soit dans les ZAD , des squats ou tout autre forme d'espace dit « marginal ». Souvent illes misent sur l’exemple qui se répandrait peu à peu et/ou sur une insurrection soudaine du peuple à partir des poches de résistances.10 Comme nous l’avons dit nous pensons qu’il ne faut pas se couper des travailleur·se·s, et miser sur la radicalité collective. En revendiquant quoi ?
Nous pensons qu'avec une ligne révolutionnaire, il est possible de trouver le chemin de luttes qui s’élargissent tout en s’approfondissant dans leurs revendications. Il faut pour cela éviter deux erreurs : celle de dévier vers l’intégration au système sous prétexte de rejeter à plus tard la révolution, et celle d’abandonner les revendications concrètes des travailleur·se·s sous prétexte que cela n’est pas la révolution. Selon nous, la mouvance autonome a tendance à se situer dans ce deuxième travers. Les militant·e·s autonomes proclament en général leurs objectifs, qui sont souvent les mêmes que les nôtres (« abolition du salariat », « droit à la paresse », fin de la propriété privée, fin de l'Etat…) mais les opposent à celleux qui cherchent aussi à s’adresser à la conscience plus défensive d’autres militant·e·s, qui forment la majorité.
Pour beaucoup de travailleur·se·s pris·e·s à la gorge par le stress du travail ou du chômage, du loyer, du crédit de la voiture, des factures, parfois de la nourriture... les choses sont très concrètes. A cela nous devons apporter des réponses concrètes et paraissant un horizon atteignable, comme le partage du temps de travail (« travailler moins pour travailler tou·te·s »), augmentation des salaires, gratuité des premiers kWh d’électricité et premiers m³ d’eau… Nous ne le présentons pas comme un programme minimum qui pourrait être généreusement donné par un parti, mais comme des mesures transitoires à viser par la lutte. Nous cherchons à attiser la lutte sur ces mesures, tout en affirmant que nous ne pourrons les mettre en place que si nous (non un parti mais la classe auto-organisée) prenons le contrôle des moyens de production et du pouvoir.
Le rapport à la violence
Un des points commun à la mouvance autonome, c’est d’assumer un certain rapport de force avec la police. Mais il y a évidemment des différences dans les réactions selon les situations, et des débats qui traversent ce milieu militant.
La violence est souvent, avant tout, une volonté de se défendre face une violence de l’État, qui elle est quotidienne, et se durcit d’année en année.11 L'opération César, menée en 2012 pour déloger la ZAD de NDDL fût une démonstration de la volonté du gouvernement et du ministre de l'intérieur de l'époque (Valls) de casser toute contestation. Surtout, ce fut sur la ZAD du Testet, contre le barrage de Sivens en 2014, que la contestation pris une forme plus radicale suite à l'assassinat de Rémi Fraisse par des gardes mobiles. A Rennes et à Toulouse, les manifestations contre les violences policières (en plus d'avoir ouvert d'autres lieux de lutte que Paris) tournèrent à chaque fois à l'affrontement, d'autant plus que l’État gendarme ne cessait d'augmenter son arsenal répressif (LBD40, canons à eau, bouclage des centres-villes mais aussi interdiction de manifestations, détentions préventives, comparutions immédiates…). De ces expériences de lutte communes se sont développés des moyens d'action communs qui se retrouvent, de la manifestation interdite contre la COP21 aux mobilisations contre la loi travail, régulièrement.
Cependant l’augmentation de l’affrontement se fait de façon inégale : des militant·e·s y sont régulièrement confronté·e·s, se protègent, voire ripostent, tandis que d’autres gardent l’illusion d’une « police républicaine ». D’un côté, certaines franges des mouvements autonomes font de l’affrontement avec la police un but en soi, y compris par l’attaque. De l’autre, des services d’ordre collaborent parfois avec la police pour faciliter l’isolement (et donc la répression) de groupes autonomes – ce que nous dénonçons sans hésiter12.
Dans les manifestations, tous les différents niveaux de conscience et de tactique coexistent, et cela peut vite conduire d'une situation de tension à des fractures. Pour autant, il n’y a rien de définitif. On a pu lire par exemple dans paris-luttes.info un témoignage d’un militant cégétiste appelant « les k-ways noirs et les chasubles rouges à s'unir » 13.
De plus, il est à noter que le mouvement qui a duré près de 5 mois s'est retrouvé modifié au fil des rendez-vous : si le cortège de tête des premiers jours était principalement composé par les militant·e·s autonomes, la violence des flics appuyés par les gardes mobiles et les « baqueux » à l'encontre des lycéen·e·s et étudiant·e·s mobilisé·e·s a entraîné une partie de celleux-ci à rejoindre le-dit cortège. De fait, les banderoles aux mots d'ordre politiques se sont retrouvées côte à côte avec des banderoles renforcées aux extraits de paroles de rap (« le ciel sait que l'on saigne sous nos cagoules » du rappeur Booba).
Pourtant, la détermination de cette « tête de manif », malgré l'image du casseur véhiculé par les média et la répression des forces du désordre, a encouragé d'autres composantes du mouvement à en faire partie, non pas dans un but d'affrontement mais dans un but de radicalité par rapport aux cortèges syndicaux. Ainsi, progressivement, des groupes de secteurs en lutte auto-organisés s’y sont retrouvés (postier·e·s, cheminot·e·s, enseignant·e·s, syndiqué·e·s, étudiant·e·s …), de même que des syndicalistes.
Pour notre part, nous pensons qu’il ne faut ni porter de jugement moral sur la violence « en soi », ni qu’il faut la fétichiser. Nous sommes convaincu·e·s, par toute l’histoire passée et par les expériences présentes les plus avancées, que l’État ne restera pas sans réagir au fur et à mesure qu’augmentera l’intensité de la lutte. La police se révélera clairement comme la « milice du capital ».
En revanche, actuellement, pour la plupart des centaines de milliers de gens qui manifestent, le bras de fer principal est avec le gouvernement, pas avec l'Etat. Les millions de gens qui sont contre la Loi travail mais qui n’ont aucune habitude de manifester ont forcément une vision encore plus déformée, à travers le filtre des média bourgeois. Multiplier les actions minorisantes, c'est risquer de couper le fil qui nous relie potentiellement à celles et ceux qui pourraient nous rejoindre.
Une chose est certaine : le gouvernement n'a pas peur « des casseurs ». Il n'y a que de rares situations où le pouvoir tremble devant la violence de rue, comme en Mai 68 où De Gaulle avait fui discrètement.
Nous sommes loin d'une situation insurrectionnelle comme certain·e·s aimeraient le croire. Aucune barricade ne s'est élevée dans Paris, il ne s'agissait que de quelques morceaux de tôles. Chaque espace occupé à été délogé avec violence par les flics (Théâtre de l'Odéon, Théâtre du Nord, mairie d'Amiens, piquets de grèves). La police nous a toujours défait·e·s : plus de 800 personnes ont été placées en GAV, des dizaines jetées en prison, des dizaines sont en attente de jugement. Des dizaines de personnes ont été mutilées par des tirs tendus de lance grenade, de LBD40, des jets de grenades de désencerclement ou encore par des coups de matraque. L’État gagne car il est mieux organisé que nous.
Une petite minorité seulement est disposée à s'affronter avec ses propres moyens à la police. Même s'il est incontestable qu'elle a grossi depuis le début du mouvement, on peut aussi craindre que cela ait empêché beaucoup d'autres de se joindre à nous. Le gouvernement arrive plutôt facilement à jouer sur les peurs, en terrorisant le reste des travailleur·se·s qui refusent de se mobiliser par crainte pour leur sécurité. Car il s'agit bien de sécurité : tout le monde n'est pas prêt·e à se faire matraquer, tirer dessus, enfermer, passer en garde à vue etc, etc. De plus, avec la promulgation de l'état d'urgence qui s'annonce être perpétuel et avec le spectre du terrorisme instrumentalisé par le gouvernement et les média, l’État-flic montre sa capacité à briser toute contestation.
Il ne s'agit pas ici de réclamer un retour à des manifs « plus calmes » ni de faire peser la responsabilité de la relative faiblesse du mouvement sur les dits « casseurs » mais de garder notre énergie pour une lutte de plus longue haleine, mieux réfléchir collectivement à comment nous protéger, protéger les cortèges, les piquets de grèves. Comment lutter face à la machine judiciaire bourgeoise. Comment s'organiser pour tenir une occupation.
Quelles convergences pour les prochaines luttes ?
De fait, la « mouvance autonome » dans toute sa diversité fait partie intégrante de l'avant-garde anti-capitaliste. Pourtant, des désaccords politiques existent, et nous devons les exprimer pour qu'ils soient débattus collectivement. Nous espérons avoir montré que nous ne proposons pas « moins de radicalité », mais une forme différente de radicalité, une tentative de frayer un chemin vers la sortie pour l'ensemble de notre classe.
Aussi, nous sommes conscient.e.s de nos propres faiblesses, de nos propres manques. Qu'il s'agisse, par exemple, de notre faible implantation dans des milieux d'avant-garde tel celui des intermittent.e.s ou de la moindre prise en compte des personnes ultra précaires, au chômage ou encore au RSA.
Malgré c'est état de fait, nous considérons cette capacité à l'auto critique nécessaire pour avancer tant sur les questions d'ordre théorique que sur celles dites « de terrain ». Cela permet notamment de défendre un programme, une vision politique claire : contre les licenciements, l'aliénation au travail, la précarité, la pauvreté, nous opposons le droit au salaire à vie, l'autogestion dans l'entreprise. Au pouvoir patronal sur l'économie, nous opposons la nécessité d'exproprier les grands groupes capitalistes, la socialisation des moyens de production, la planification démocratique de l'économie pour satisfaire les besoins, en rupture avec le productivisme destructeur de la planète. Nous expliquons qu'il n'y a pas d'alternative à l'austérité et à la destruction de nos acquis sociaux sans rupture avec les institutions capitalistes, tant nationales qu'européennes. Nous devons prendre le contrôle des moyens de production et de la monnaie. Nous devons rompre avec les marchés capitalistes internationaux. Un tel programme de transition est audible et réalisable dans la mesure ou les composantes de l'avant garde s'unissent dans un objectif commun.
Ce texte est donc une main tendue pour élaborer collectivement face aux échéances futures qui s'annoncent. Le mouvement s'est effondré pendant l'été, la loi travail est passée à coup de 49.3. Quand bien même, nous plaçons nos forces et notre espoir dans la reprise du mouvement à la rentrée. Il a, depuis le début, fait mentir tous les pronostics des médias et du gouvernement. Mais prenons déjà acte des manques de ces 5 derniers mois. Nous avons tout pour être plus nombreu·x·ses et plus fort·e·s. Mais soyons aussi plus « voyant·e·s » : viendra le tour de la casse du statut des fonctionnaires, la privatisation des facs, des hôpitaux publics, des lignes de trains, la casse du droit au chômage, le service civique obligatoire pour les 18-25 ans, la casse de tout droit protecteur du travail… Bref, il y aura d'autres luttes.
Ce qui nous attend nécessite une organisation commune solide pour y faire face, sans quoi, nous serons de nouveau défait·e·s. Saisissons-nous de cet avenir commun.
1 Tout comme il n’est pas correct d’assimiler indistinctement Lutte ouvrière, le NPA et tous ses courants, voire l’extrême gauche (NPA, LO...) et la gauche radicale (PCF, PG...).
2 http://tendanceclaire.org/article.php?id=all&keyword=Bure
3 https://paris-luttes.info/sur-les-syndicats-et-le-5746
4 https://lundi.am/Nouvel-article-No-386
5 https://paris-luttes.info/k-way-noirs-et-chasubles-rouges-5765
6 https://www.mediapart.fr/journal/france/130616/julien-coupat-la-loi-travail-est-laffront-qui-fait-monter-au-front?onglet=full
7 Une partie du mouvement autonome vient de l’opéraisme italien (« autonomie ouvrière ») issu du marxisme. Même si ce courant rejetait selon nous à tort tout travail dans les syndicats, il avait néanmoins une forte implantation.
8 http://www.normandie-actu.fr/la-cgt-toujours-le-premier-syndicat-de-france-en-2017-moins-d-adherents_195875/
9 https://lundi.am/le-monde-ou-rien-comite-d-action-16-mars-2016
10 Voir notamment La révolution qui vient, réponse à L’insurrection qui vient.
11 La violence que subissent de plus en plus les militant·e·s est un aperçu de ce que subissent déjà quotidiennement les populations majoritairement Noires et Arabes des quartiers relégués socialement.
12 Tendance CLAIRE, Non à la collaboration obscène entre police et SO syndicaux, 20 mai 2016
13 https://paris-luttes.info/k-way-noirs-et-chasubles-rouges-5765