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Notre-Dame-des-Landes : faire reculer le gouvernement, le patronat et le productivisme
Un consensus de toutes les forces bourgeoises
L'idée d'un grand aéroport aux alentours de Nantes remonte au début des années 60. Pour le pouvoir gaulliste, il s'agit d'ouvrir la région aux vols long-courrier, notamment au Concorde, ainsi qu'au fret international. Le site de Notre-Dame-des-Landes, à vingt kilomètres au nord-ouest de Nantes, est choisi en 1968, et en 1974 une Zone d'Aménagement Différée1 (ZAD) de 1200 hectares y est créée.
Une première contestation apparaît alors avec l'Association de Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport (ADECA), qui rassemble plusieurs centaines d'agriculteurs locaux. Sa mobilisation, conjuguée à la crise pétrolière des années 70, enterre provisoirement le projet.
Il est relancé en 2000 par le gouvernement de la Gauche Plurielle. Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes et baron du PS tient à ce projet de prestige. Le vieux fond productiviste du PCF apporte son soutient au projet et Dominique Voynet, ministre de l'Environnement et principale figure du parti Les Verts, n'est pas en reste. Le 30 octobre 2000, elle déclare à l'Assemblée Nationale : « nous avons un effort particulier à réaliser en faveur du rééquilibrage de la localisation des équipements vers l'ouest de notre pays. C'est pourquoi il a semblé nécessaire, compte tenu des nuisances qui pesaient sur les habitants de Nantes, de déplacer l'aéroport actuel sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes »2.
Le projet d'étude est finalisé en 2007, et reconnu d'utilité publique dans la foulée (quelques mois après que le « Grenelle de l'environnement » ait annoncé le gel de toute nouvelle construction d'aéroport, mais il s'agit officiellement d'un simple « transfert »...). Pour le mettre en œuvre, un partenariat public/privé est élaboré sur appel d'offre : la construction et la gestion du futur aéroport sont confiées à la société Aéroports du Grand Ouest, détenue à 85 % par le géant du BTP Vinci (et qui gère déjà l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique ainsi que celui de Saint-Nazaire).
Une contestation hétéroclite qui se radicalise
La relance du projet entraîne celle de son opposition, très diverse :
-L'ADECA, réactivée en 2000, se voit attribuer un traitement de faveur autant pour des raisons historiques que pour institutionnaliser l'opposition. Elle est ainsi la seule association pouvant participer aux débats du syndicat mixte d'études au cours des années 2000 (encore que cette faveur ne vaille que pour les questions agricoles; elle n'est pas reconnu compétente sur les autres aspects). Malgré des coups d'éclat symboliques (ex :manifestations rassemblant des centaines de tracteurs) l'association ne cherche pas véritablement à communiquer au delà du monde agricole et son discours reste très corporatiste.
-l'ACIPA (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport), crée en 2000, se veut le pendant généraliste de l'ADECA. Très dynamique, elle parraine la constitution de comités de soutiens dans toute la France et coordonne les grandes manifestations organisées périodiquement sur la ZAD (chaîne humaine, festivals). Malgré un discours légaliste lénifiant, elle offre un réel espace alternatif et militant, un peu à l'image de ce que furent les écologistes des années 70.
-En Loire-Atlantique, une Coordination contre le projet d'aéroport rassemble une cinquantaine d'organisations. Parmi les plus actives on compte le NPA, le PG, les membre du « troisième pôle » du Front de Gauche, Solidaires, la Confédération Paysanne3. Sont également présent des associations de riverains de défense de l’environnement.
-Le CéDPA (collectif d'élus doutant de la pertinence de l'aéroport), rassemble un petit millier d'élus locaux. S'il se targue d'une certaine expertise technique, il ne conçoit évidemment pas de solution autre qu’institutionnelle et son action se réduit à d'inaudibles motions présentées dans les assemblées locales.
-A partir de 2007, et surtout après le Camp action climat d'août 2009, les fermes abandonnées par les agriculteurs qui acceptent de vendre leur terres sont reprises par des occupants illégaux qui renomment la ZAD « zone à défendre ». Ces « zadistes » établissent de petites communautés autogérées, cultivent les terrains laissés à l'abandon et tissent des relations, parfois tendues, avec les habitants et paysans des alentours. Des initiatives très intéressantes y naissent : organisation de cuisines collectives, de potagers bio, création d'une radio libre (Radio Klaxon, qui émet sur la fréquence de Vinci autoroutes), stage de construction (de cabanes, d'éoliennes, etc.), mise sur pied d'une cabane non-mixte qui héberge les femmes qui le souhaitent et distribue une importante littérature féministe : plus qu'une simple protestation, la lutte devient l'expression d'un mouvement positif, pour un autre mode de vie, pour une societé solidaire et non-marchande4. Des communautés sont régulièrement expulsées sur décision de justice, et reviennent tout aussi régulièrement réoccuper les lieux. Cet ensemble hétérogène est plutôt jeune, proche des milieux autonomes, et revendique une certaine marginalité : pas de travail salarié, pas d'adresse fixe, pas de porte-parole. En 2013, on estime qu'ils sont entre 100 et 300, selon les saisons.
L'Etat tente évidemment de diviser le mouvement et d'isoler les zadistes. Reste que les autres acteurs, s'ils expriment parfois des regrets en cas de débordements violents, se gardent bien de les condamner en bloc. Et pour cause : ce ne sont pas les discours ou les actions en justice qui empêchent les travaux de commencer, mais bien la présence physique permanente d'occupant-e-s déterminé-e-s. D'ailleurs, les concessions du gouvernement (calendrier repoussé, surface du projet ramenée à 730 ha) n'ont pas calmé l'opposition, dont leur seul mot d'ordre reste le refus d'un nouvel aéroport : « ni ici, ni ailleurs ».
La bataille pour la ZAD
Le 12 octobre 2012, le gouvernement qui espère alors lancer les travaux de construction en 2013 et ouvrir l'aéroport en 2017, tente de vider la ZAD de ses occupants une fois pour toute. C'est l'opération César : plus de 1200 policiers et gendarmes, appuyés par des hélicoptères, sont envoyés expulser les zadistes et détruire leurs cabanes. L'ampleur et la violence de l'opération, cependant, loin de décourager les occupants, renforce leur combativité. Des barricades sont érigées sur les routes de la ZAD, les fermes transformées en camps retranchés5. Mieux encore : une large partie de la population locale, très au delà des cercles militants, les soutient : des riverains les ravitaillent en nourriture et en matériel, des agriculteurs mettent à leur disposition champs et hangars. Et des aspirants zadistes arrivent de toute la France, et même plus6, pour renforcer la lutte. L'opération ne fait que rouvrir un débat que le gouvernement espérait clos, et lui donne une portée politique nationale.
La situation commence à échapper au gouvernement. Les expulsés reviennent chaque jour plus nombreux. Des dizaines de milliers de manifestants viennent soutenir la lutte à la ZAD même le 17 novembre. Dans plusieurs villes de France, des permanences du PS sont attaquées. EELV, pourtant jamais à un renoncement près, menace sérieusement de quitter la majorité. Même les flics finissent par se lasser de cette opération rapide qui n'en finit plus7 ! Ayrault est finalement obligé de reculer et annonce en janvier que les policiers seront retirés le temps que divers recours judiciaires contre le projet soient examinés. Entre temps, une « commission de dialogue » est mise sur place. L’État a annoncé la reprise des travaux pour début 2014. Une manifestation est prévue pour le 22 février. Le comité de défense de l’emploi de Carhaix envisage d’y appeler : c’est un enjeu majeur que ces deux luttes qui font peur au gouvernement puissent converger.
Contre l'aéroport... et son monde
Les arguments avancés contre l'aéroport sont divers :
-Techniques : l'unique piste de l'actuel aéroport peut accueillir bien plus 3,5 millions de passagers annuels, limite fixée par l'enquête publique et qui devrait être atteinte d'ici quelques années (3,2 millions en 2011). Des aéroports comme Genève ou San Diego dépassent largement les 10 millions avec une seule piste.
-Financiers : sur un budget prévisionnel de 556 millions d'euros, plus de 240 doivent être versés par l’État et les collectivités locales. N'y-a-t-il donc rien de plus urgent que l'on pourrait faire de cette somme ?
-Écologiques : le mécanisme de la ZAD a permis de préserver le site de l'extension urbaine nantaise. Aujourd'hui, quasiment toute la bio-diversité de l'aire urbaine de Nantes y est concentrée.
-Économiques : une fois les travaux réalisés, très peu d'emplois seront au final créés, ceux de Nantes-Atlantique seront juste transférés. En revanche, un grand nombre d'exploitations agricoles auront disparues.
Mais ces arguments ne sont pas satisfaisants car fondamentalement interclassistes. D'ailleurs, plusieurs forces bourgeoises ont fait connaître leur opposition au projet : le FN raille la lubie d'Ayrault, la CCI de Vendée pleurniche sur l'avantage déloyal qu'un tel équipement donnerait au patronat de Loire-Atlantique...
Pour nous la question dépasse de très loin l'aéroport, elle pose directement la question du modèle de société que nous voulons. Il ne s'agit pas de savoir combien de passagers un aéroport peut accueillir, mais si nous voulons laisser les capitalistes développer les transports polluants.
Il ne s'agit pas de débattre du montant auquel la collectivité doit financer une entreprise privée, mais de dénoncer un tel financement. Ce qui implique de s'opposer, bien au delà des seuls partenariats public-privés, aux multiples façons dont les patrons bénéficient de l'argent des contribuables (allègement de cotisations, crédit d'impôt, aides à la compétitivité...).
Il ne s'agit pas de savoir où placer des zones naturelles protégées, mais de mettre un arrêt total à l'artificialisation des sols, et tant pis pour les bétonneurs ! Vinci, comme toutes les entreprises de BTP, vit de commandes publiques et serait prêt à construire n'importe quoi n'importe où pourvu que cela remplisse son carnet de commande. A ce titre, l'aéroport n'est qu'un des nombreux grands projets imposés et inutiles qui nous pourrissent la vie.
En affirmant le droit à un environnement sain et non-pollué pour tous et toutes, contre la logique du profit, cette lutte contient donc bien des germes anticapitalistes. Il appartient aux révolutionnaires de s'appuyer sur ces revendications, sans subordonner leur programme aux intérêts des diverses factions bourgeoises opposées à l'aéroport.
Contre l’État, contre les capitalistes et contre l'idéologie productiviste : ZAD partout !
1 Mécanisme de droit foncier permettant à une collectivité locale, en l’occurrence le Conseil Général de Loire-Atlantique, de bénéficier d'un droit de préemption sur tous les bien immobiliers d'un secteur.
2 archives.assemblee-nationale.fr/11/cri/2000-2001-ordinaire1/036.pdf Si les écologistes gesticulent beaucoup aujourd'hui pour faire oublier ce fait d'arme, le PCF reste constant dans sa position, ayant même l'ignominie de renvoyer dos-à-dos flics et opposants dans « l'escalade de la violence »...
3 Seul syndicat agricole résolument opposé au projet et participant à la lutte. La Coordination Rurale est théoriquement contre mais a déserté dès la fin de l'année 2012 un combat jugé trop radical, arguant de sa « responsabilité syndicale » et condamnant les zadistes. La FDSEA (qui avait soutenue la première ADECA dans les années 70) et les JA refusent de s'opposer au projet, se bornant à réclamer une meilleure indemnisation des paysans expropriés. Quant au MODEF, proche du PCF, il s'abstient prudemment de prendre position.
4 Bien sûr, toutes les personnes présentes à la ZAD ne partagent pas cette vision et la présence de voyous et de dealers est parfois à déplorer. Cela rend d'autant plus regrettable l'absence d'une véritable auto-organisation sur place : les AG de la ZAD sont surtout des lieux d'échange et d'information, les décisions prises étant rares et aucun organe légitime n'existant pour les faire appliquer. Pour plus d'information, il existe un site très complet fait par des zadistes et sympathisants : zad.nadir.org
5 Hypocrisie du droit bourgeois : la trêve hivernale interdit l'expulsion de ceux qui occupent, même illégalement, des bâtiments en dur. En revanche, les occupants des cabanes ne bénéficient d'aucune protection.
6 Manuel Valls mentionne les « squatteurs, souvent étrangers » qui font de Notre-Dame-des-Landes un « kyste ». Un an avant sa grande campagne anti-Roms, le gouvernement Ayrault étalait déjà son chauvinisme criard
7 http://www.unitesgppolice.com/article;4497;aeroport-notre-dame-des-landes.html Rythme pénible, fatigue importante, risques accrus... matraqueur professionnel est un bien dur métier !