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Suède : l’échec de la social-démocratie et l’absence d’alternative sont responsables de la montée de l’extrême-droite
Depuis 2014, le parti social-démocrate dirigeait un gouvernement de gauche, avec la participation des Verts et le soutien du parti de gauche (gauche réformiste antilibérale). Minoritaire au parlement, la gauche a pu gouverner grâce à un « accord historique » trouvé avec la droite, valable en théorie jusqu'en 2022, qui permet à la plus forte minorité de gouverner. L'objet de cet accord était de neutraliser l'influence de l'extrême-droite.
Lors des élections législatives du 9 septembre, le parti social-démocrate a réalisé son plus mauvais score depuis 1908. Longtemps habitué à des scores autour de 40-50%, les sociaux-démocrates passent sous le seuil des 30%. Les Verts paient aussi leur participation au gouvernement, en franchissant de justesse le seuil de 4% nécessaire pour être représenté au parlement. L'ensemble de la gauche rassemble 143 sièges, un de plus que la coalition de droite, dont la principale composante (les « Modérés ») est également en perte de vitesse.
L'extrême-droite tire son épingle du jeu en progressant de 5 points pour atteindre 17,6%. C'est moins qu'annoncé dans certains sondages, mais c'est une hausse significative. Elle perce notamment chez les ouvriers (26%, + 15 points) où elle talonne les sociaux-démocrates (31%, -8 points). Elle perce également dans la classe ouvrière organisée puisqu'elle réalise 25% parmi les adhérents de la confédération syndicale du pays LO (https://tendanceclaire.org/breve.php?id=29773).
Le parti de gauche tire aussi, plus modestement, son épingle du jeu, pour atteindre 8%, en progression de 2 points par rapport à 2014. Il réalise ses meilleures performances chez les moins de 30 ans (12%) et chez les femmes ('11%). De façon générale, on note de très fortes différences entre le vote des femmes et celui des hommes : les femmes votent à 45% pour la gauche et 14% pour l'extrême droite, alors que les hommes votent à 33% pour la gauche et 24% pour l'extrême droite.
La fin du modèle suédois : une conséquence de la crise capitaliste
Pendant longtemps la Suède a été cité en exemple pour son modèle social et la faiblesse de ses inégalités. L'ampleur des réformes sociales assura une base remarquablement solide et stable au parti social-démocrate, qui a obtenu entre 43% et 50% à toutes les élections entre 1936 et 1988. Le début des années 1980 marque l'apogée de ce modèle, avec la figure emblématique d'Olof Palme (premier ministre suédois assassiné en 1986), qui s'opposa à l'impérialisme états-unien, consolida le modèle social, et mit en place une politique d'accueil des migrants.
Mais la situation a radicalement changé au début des années 1990. Le taux de profit a décliné dans les années 1960 et 1970, est remonté au début des années 1980 avant de chuter fortement à la fin des années 1980 (http://urlz.fr/7Jkq). Cela a provoqué une crise très importante entre 1991 et 1993 : chute de la rentabilité des entreprises, crise bancaire, déséquilibre de la balance des paiements. Des mesures drastiques ont été prises pour restaurer la compétitivité de l'économie suédoise. En 10 ans, le nombre de fonctionnaires a été divisé par deux. Les dépenses sociales ont été sabrées. Les taux d'imposition des plus riches ont été fortement baissé (le taux marginal maximum est passé de 87% en 1979 à 57% en 2013), de même que le taux d'imposition des profits des entreprises (60% dans les années 1980, 20% aujourd'hui). Le modèle social a été liquidé. D'un point de vue capitaliste, l'austérité sociale a marché : le taux de profit s'est redressé et la croissance est repartie à la hausse.
Mais les conséquences sociales sont terribles : disparition des services publics dans les campagnes et hausse des inégalités. Dans les années 1990 l'écart de revenu entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres était de 1 à 4. Il est aujourd'hui de 1 à 6,5. Les 1% les plus riches gagnaient 4% des revenus en 1980 et 7% en 2012. Le taux de pauvreté (part de la population disposant de la moitié du revenu médian) est aujourd'hui supérieur à la France : 9,1% contre 8,1% pour la France. L'accès à la santé se dégrade (http://urlz.fr/7Jkp). Par exemple, alors qu’en 2000, 40 000 Suédoises se trouvaient à un peu plus de dix kilomètres de la maternité la plus proche, en 2017, leur nombre avait quasiment doublé pour se situer à 75 000. La privatisation de l'éducation est une catastrophe (http://urlz.fr/7Jkn).
La transformation du « réformisme » en « réformisme sans réforme » du parti social-démocrate l'a coupé de sa base sociale (pour plus de détail sur la trajectoire du parti social-démocrate, cf. https://tendanceclaire.org/article.php?id=682). En alternance avec la droite, il a pris en charge les politiques néolibérales qui ont détricoté le modèle social suédois. Il est important de comprendre que ce tournant ne s'explique pas par une perte de vertu des dirigeants sociaux-démocrates, mais par un changement de la situation économique. Depuis les années 1980, il n'y a plus de marge de manœuvre pour les politiques réformistes : tous les gouvernements capitalistes sont donc condamnés à mettre en œuvre la même politique (à quelques détails près) à partir du moment où ils gouvernent dans le cadre du capitalisme.
L'extrême-droite prospère sur la faillite de la social-démocratie et l'absence d'alternative à la gauche de la social-démocratie
On aurait pu penser que la faillite de la social-démocratie profiterait à une nouvelle force de gauche. Mais il n'en est rien. L'indigence du principal parti à la gauche des sociaux-démocrates est frappante. En 1990, il a abandonné l'étiquette « communiste » la jugeant sans doute démonétisé. Depuis, il n'a cessé de dériver à droite. Son programme électoral (http://urlz.fr/7Jkm) est totalement illusoire puisqu'il propose de restaurer le modèle social sans aucune incursion dans la propriété ou le pouvoir des capitalistes ! Il ne propose même pas de revenir sur la moindre privatisation ! Sa crédibilité politique est nulle. Le parti de gauche est perçu comme faisant partie de l'establishment et est incapable d'incarner la colère populaire. Il a relégué au second plan son opposition à l'UE et à l'euro (que les Suédois ont rejeté en 2003 à 56% par un remarquable vote de classe puisque 70% des ouvriers ont rejeté l'euro), laissant ce terrain (traditionnellement occupé par la gauche dans les pays nordiques) à l'extrême-droite. En outre, il a appuyé le gouvernement social-libéral depuis 2014 (votant chaque année le budget)... et a clairement indiqué qu'il était prêt à soutenir sans condition un nouveau gouvernement social-démocrate !
Du coup, le terrain est laissé libre à l'extrême-droite qui surfe sur la nostalgie de l’État social, en martelant que l’État social était possible parce qu'il y avait moins d'immigrés ! Du coup, beaucoup de travailleurs assimilent la défense des acquis sociaux et la limitation de l'immigration, d'autant plus que la droite néolibérale prône une politique migratoire volontariste. La base électorale de l'extrême-droite est les victimes de 30 ans de néolibéralisme échevelé. C'est ce qu'a bien montré un article de Romaric Godin pour Mediapart (http://urlz.fr/7Jkj). Le vote pour l'extrême-droite est un symptôme du désastre social et de l'absence de perspective pour le monde du travail.
Néanmoins, la résistance aux idées d'extrême-droite est forte en Suède. D'après une étude de la Commission européenne (http://urlz.fr/7Jkk), la Suède est le pays qui a l’attitude la plus positive à l’égard de l’immigration de tous les pays de l’UE. Et l'immigration était classée au 8ème rang des préoccupation des Suédois, bien derrière la santé, l'éducation, l'égalité, et le modèle social (cf. article de la tendance marxiste internationale : http://urlz.fr/7Khg)
L'impasse du néoréformisme et la nécessité d'une alternative communiste révolutionnaire
Après les élections, les tractations ont commencé en Suède. Selon « l'accord historique » de 2014, la gauche devrait continuer à gouverner car ils ont un siège de plus que la droite au parlement. Mais une partie de la droite (les Modérés et les Chrétiens démocrates) est tentée de revenir sur cet accord et de gouverner avec le soutien passif de l'extrême-droite, qui fait pression pour une solution de ce type. Le premier ministre social-démocrate (Löfven) a déclaré qu'il fallait en finir à la logique de bloc contre bloc, montrant qu'il était ainsi ouvert à une alliance avec une partie de la droite (les centristes et les libéraux). Le dirigeant du parti de gauche (Sjöstedt) n'a lui non plus pas exclu cette possibilité ! Nous verrons ce qu'il en sortira, mais il est clair qu'un prolongement de l'accord de 2014 (incluant la gauche antilibérale) ne pourra que renforcer l'extrême-droite qui aura beau jeu de se poser en seule alternative à toutes les forces coalisées du système.
Le néoréformisme n'est pas une alternative au social-libéralisme. Il n'y a pas de marge de manœuvre pour une politique antilibérale en Suède comme dans les autres pays européens. Du coup, le néoréformisme se vautre dans la collaboration avec les forces du système ou/et professe un antilibéralisme utopique. Renoncer à toute perspective communiste pour brasser plus large est un calcul misérable, une lâcheté politique, qui en dernière instance nourrira le désespoir et le vote d'extrême-droite. Malgré toutes les difficultés et les obstacles, en Suède comme en France, il faut construire des partis anticapitalistes qui défendent ouvertement une alternative communiste révolutionnaire au système capitaliste.