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Chapitres 2.1 et 2.2: Une justice « efficace » et « au nom du peuple »... mais non par le peuple !

La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.

Billets précédents :

Chapitre 1.1

Chapitre 1.2

Chapitre 1.3

Chapitre 1.4

Chapitre 1.5

Chapitre 1.6

2. 1) et 2) Une justice « efficace » et « au nom du peuple »... mais non par le peuple !

Les deux premiers points du chapitre II du programme AEC peuvent être regroupés car ils sont tous deux consacrés à la question de la justice. Le premier, intitulé « La justice au nom du peuple », est censé se concentrer plutôt sur la question des moyens : « En République, la justice est rendue au nom du peuple. Mais la justice n’a plus les moyens de ses missions : elle a été laissée à l’abandon par les gouvernements successifs. Les pressions sur elle se sont multipliées. Les liaisons dangereuses aussi. Il faut des moyens humains et financiers pour qu’elle soit bien assurée, et dans des délais raisonnables. » Quant au second point, « Une politique de justice efficace », il prétend « propos[er] d’ores et déjà de nombreuses réformes » de l’institution judiciaire (« en attendant » la Constituante, est-il précisé), car « la justice inspire de plus en plus la défiance de nos concitoyens. Elle est perçue comme trop lente, trop déconnectée de la réalité et du vécu des accusés ou des victimes au pénal, ou des parties au civil. Son indépendance est mise en cause dans les affaires politico-financières. » Mais, en réalité, on trouve déjà des propositions de réforme dans le premier point et beaucoup de moyens sont revendiqués dans le second : de fait, leurs mesures respectives pourraient être rassemblées en un paragraphe unique.

Toujours est-il que nous sommes bien évidemment d’accord pour réduire le plus possible les dysfonctionnements dus aux manques criants de moyens, aux dépens des justiciables (ajoutons que c’est au premier chef au détriment des suspect-e-s et des jugé-e-s coupables, mais aussi bien souvent des plus pauvres). Nous sommes ainsi d’accord (dans le point a) pour « assurer un meilleur accès de toutes et tous à la justice, en augmentant notamment l’aide juridictionnelle et en veillant au retour des tribunaux de proximité ». Et cela implique notamment de « planifier des moyens pour la justice et recruter davantage de fonctionnaires : magistrats, greffiers, agents de la protection judiciaire de la jeunesse ». On peut d’ailleurs se réjouir que, dans la dernière version du programme AEC, ait été supprimée la revendication de « recruter 2000 agents pénitentiaires pour escorter les détenus », qui non seulement restreignait la mission des agents en question à la répression, mais qui surtout dispensait de toute mise en cause des prisons elles-mêmes.

Nous sommes également d’accord (dans le point b) avec la revendication de moyens pour « lutter contre la délinquance financière : doubler les effectifs des services qui luttent contre les infractions financières, supprimer réellement le verrou de Bercy, donner plus de moyens humains aux brigades en charge de la délinquance financière, augmenter le nombre de juges d’instruction », ou encore pour « donner les moyens d’une justice pénale environnementale efficace, punir les pollutions industrielles et appliquer strictement le principe pollueur-payeur »

Quant aux propositions de réformes, nous approuvons (au point a) l’ajout de mesures progressistes dans la dernière version du programme AEC, comme celles de « garantir la gratuité des procédures les plus courantes (le divorce, par exemple) » ou de « renforcer les droits de la défense, inscrire le droit à une défense dans la Constitution, renforcer la place de l’avocat et limiter le recours à la visioconférence qui déshumanise la justice ». De même, nous sommes d’accord (au point b) avec les projets de réformes visant à « poursuivre et punir tous les complices de violation du secret de l’instruction » ou à « renforcer l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif : interdire les instructions individuelles et les remontées d’information individuelle sauf lorsqu’elles appellent à une intervention directe de l’exécutif en matière d’ordre public (le terrorisme, par exemple) ». Nous partageons aussi, évidemment, l’exigence (qui combine la question des moyens et celle d’une réforme, voire d’un large changement d’état d’esprit des magistrats) de « lutter contre l’impunité des agresseurs sexuels et la correctionnalisation des viols ». Enfin, il est crucial de « respecter la dignité et les droits des personnes privées de liberté : en finir avec la surpopulation carcérale et assurer aux personnes détenues des moyens de se réinsérer dans notre société ».

Mais, sur ce point, le programme AEC ne fait aucune proposition concrète. Pire, la dernière version a supprimé le projet de « rénover les prisons et mettre fin au tout-carcéral par des peines alternatives ». Or c’est évidemment une question clé, même dans une perspective démocratique seulement réformiste – sans même développer ici les bonnes raisons qu’il y a, d’un point de vue révolutionnaire, de s’opposer à la prison en tant que telle, institution historique majeure des États de classe et qui devra disparaître dans la construction de la société communiste ! Ainsi, pourquoi ne pas reprendre tout simplement les revendications élémentaires, portées par toutes les organisations progressistes, comme le refus de la prison provisoire pour les gens suspecté-e-s seulement de délits s’ils ne sont pas évidemment dangereux, la généralisation des travaux d’intérêt général comme peines pour les délits, celle du bracelet électronique pour éviter l’incarcération et augmenter les libérations conditionnelles, celle des dispositifs de réinsertion par le travail (dans le respect du Code du travail et des conventions collectives du secteur), les études, etc. ?

Plus généralement, le programme AEC ne propose en fait pas de réformes fondamentales. De façon significative, sa « mesure clé » (pour le point b) est de « confier au Parlement l’orientation de la politique pénale du pays par un débat annuel sur un texte avec un vote » : pas de quoi bouleverser le système judiciaire en France ! Quant aux « outre-mer », le programme AEC propose seulement de « garantir des sessions de formation (histoire, géographie et enjeux locaux) pour les magistrats non originaires dans les Outre-mer »... Comment croire sérieusement que cela puisse suffire à mettre fin au caractère largement colonial et raciste de la justice dans ces territoires ? Il faut bien plus fondamentalement permettre aux peuples qui ont été colonisés de s’autodéterminer en général et de décider eux-mêmes du système judiciaire qu’ils veulent mettre en place – avec ou sans le soutien de la France et l’envoi de magistrat-e-s non originaires.

Mais, au-delà de la question coloniale, le problème est général : quelles que soient les améliorations préconisées (petites réformes toujours utiles et grands moyens évidemment nécessaires), le système judiciaire en France n’est pas démocratique, et c’est à cela que le programme AEC ne s’attaque pas centralement. Non seulement parce que, depuis la constitution bonapartiste de la 5e République, les procureur-e-s sont nommé-e-s par le/la garde des sceaux (au mépris du principe élémentaire de la séparation des pouvoirs : ainsi la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle jugé le 10 juillet 2008 que, en France, « le procureur de la République n’est pas une "autorité judiciaire" au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : [...] il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié » (arrêt Medvedyev)), mais surtout parce que le pouvoir judiciaire échappe (encore plus que le législatif) à toute participation populaire. Le peuple « au nom de » qui est rendu la justice est totalement exproprié de la souveraineté qui devrait pourtant être la sienne ici comme ailleurs ! Les juges et les procureur-e-s ne sont élu-e-s par personne et jouissent de pouvoirs exorbitants, puisqu’ils décident presque seul-e-s des peines. La seule exception est celle des cours d’assises (pour juger les crimes), mais les réformes récentes mettent en cause ce maigre acquis démocratique : en 2012, le nombre de membres du jury populaire est passé de 9 à 6 (12 à 9 en appel), diminuant par là même l’intelligence collective et augmentant le poids relatif des magistrat-e-s dans la réflexion ; de plus, depuis septembre 2019, sept départements ont remplacé leur cour d’assises par une cour criminelle sans jury populaire (pour les crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion) et cette « expérimentation » risque d’être généralisée à partir de 2022. La raison officielle de cette réforme, c’est que les jurys populaires auraient trop tendance, au moment de prendre leur décision, à être influencé-e-s par les médias et la façon dont ceux-ci s’emparent des affaires criminelles, de sorte qu’ils seraient moins impartiaux que les juges professionnel-le-s. Mais le fait même est douteux (il ne semble établi que par une seule étude et l’impact immédiat des médias sur les peines prononcées par les jurys populaires ne se compte qu’en dizaines de jours de prison en plus ou en moins, alors que les peines en assises se compte évidemment en de nombreuses années !) ; et surtout, cela ressemble fort à un prétexte pour exclure totalement les représentant-e-s du peuple (qui ne serait évidemment jamais compétent, toujours ignorant, plus passionnel que rationnel, etc.) et augmenter encore la toute-puissance des magistrat-e-s. Car, même si les gens subissent indéniablement l’influence des médias, c’est le cas aussi des magistrat-e-s (même le secret de l’instruction devient de plus en plus un secret de Polichinelle !) et surtout les juges et procureur-e-s, contrairement aux jurys populaires, subissent en outre la pression bien plus directe du pouvoir exécutif, des politicien-ne-s proches des gouvernements successifs et bien sûr de leur hiérarchie (les enjeux de carrière sont toujours exacerbés dans les petits milieux). De ce point de vue, on ne peut que se réjouir que la dernière version du programme AEC se prononce pour « mettre fin à la disparition progressive des jurés populaires [et] supprimer les cours criminelles sans jurés ».

Mais il ne suffit pas de revenir à cela : pourquoi ne pas systématiser la participation populaire au système judiciaire, en créant des jurys populaires dans tous les tribunaux et en formant les gens aux spécialités requises ? On pourrait par exemple procéder par tirage au sort (comme aujourd’hui pour les cours d’assise) tout en créant plusieurs collèges spécialisés entre lesquels les citoyen-ne-s pourraient choisir (selon leur métier, qui reste une des meilleures formations, et/ou leurs souhaits). La dernière version du programme AEC se contente de proposer en passant d’« expérimenter les jurés dans les tribunaux correctionnels ». Elle reprend ainsi la proposition 46 du député FI Ugo Bernalicis, qui avait présidé une commission parlementaire préconisant des mesures de réforme de la justice et qui avait proposé, au nom du groupe FI, de « développer le recours aux jurys populaires pour certains délits ». Mais le programme AEC ne va pas plus loin : il ne reprend pas d’autres propositions d’Ugo Bernalicis, comme celle d’accorder une certaine participation des citoyen-ne-s aux décisions, voire à la gestion des tribunaux.

Les propositions du député étaient beaucoup plus précises et progressistes, mais restaient bien timides du point de vue de la souveraineté populaire. Leur conception était limitée dès le niveau constitutionnel, qui relève pourtant des principes : Ugo Bernalicis ne proposait pas que le peuple rende lui-même la justice, mais voulait inscrire dans la constitution : « le pouvoir de rendre la Justice est confié à des juges impartiaux, inamovibles, qui ne sont soumis qu’à la loi. Ce pouvoir judiciaire constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir » (proposition 1). Autrement dit, même dans leurs propositions les plus audacieuses, les représentants de LFI assumaient de vouloir rendre le pouvoir judiciaire indépendant non seulement de l’exécutif, mais aussi du peuple lui-même ! Par exemple, U. Bernalicis revendiquait (proposition 20) que la politique pénale du gouvernement fasse l’objet d’une loi spécifique débattue et votée par le parlement – alors qu’elle consiste aujourd’hui essentiellement en de simples directives du garde des sceaux, véritable « fait du prince ». Mais cette loi elle-même devrait être proposée par « un collège des procureurs et des avocats généraux » : il n’y aurait donc pas de place pour des représentant-e-s du peuple dans l’élaboration de la politique pénale avant les débats parlementaires. Mais pourquoi devrait-elle n’être confiée qu’aux magistrat-e-s, alors même qu’ils/elles sont chargé-e-s de la mettre en œuvre ? Ugo Bernalicis proposait aussi que les procureurs et juges soient nommés exclusivement par le Conseil supérieur de la magistrature, et non plus par le garde des sceaux (proposition 11), et que le CSM lui-même soit ouvert à d’autres professionnel-le-s de la justice que les magistrat-e-s, à des universitaires, des représentant-e-s d’associations et même de simples justiciables (proposition 8). Mais le poids de ceux/celles-ci n’était pas précisé et semblait très secondaire, alors même que le pouvoir du CSM augmentait. De même, la proposition 40 visait à ce que des associations et des citoyen-ne-s participent aux « conseils de juridiction », chargés d’améliorer l’accessibilité aux tribunaux et aux informations juridiques, la proposition 47 voulait que des jurés retenus pour les assises participent à des préconisations pour améliorer le fonctionnement de la justice et la proposition 48 proposait de « mettre en place un système d’élection au sein des jurés afin de désigner un collège des jurés, qui aura en charge de donner un avis simple auprès du CSM sur le budget de la Justice, et sur les affectations des magistrats »... Bref, contrairement au programme AEC pour la présidentielle, Ugo Bernalicis allait le plus loin qu’il pouvait, d’un point de vue réformiste, pour que des représentant-e-s du peuple « participent » marginalement au système judiciaire – mais en aucun cas il n’envisageait de leur donner ce pouvoir. Dans cette logique, le peuple n’avait droit au mieux qu’à des strapontins, du moment que les juges gardent leur « siège ». Pour nous, au contraire, la priorité est que la robe de la justice revienne aux sans-culottes !

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