[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Churchill, sa vie, ses crimes de Tariq Ali

histoire

Lien publiée le 26 juin 2023

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Churchill, sa vie, ses crimes de Tariq Ali (revolutionpermanente.fr)

En interrogeant quelqu’un au hasard dans la rue et en lui demandant quel est, selon lui, le personnage politique anglais le plus détesté, il ne fait absolument aucun doute que sa réponse sera Margaret Thatcher. Il faut dire qu’elle incarne le tournant des années 1980 : le passage au néolibéralisme, le délitement de ce qui pouvait exister d’État-providence et la mise au pas de la classe ouvrière anglaise, notamment des mineurs. Peu de chance que Winston Churchill, qui incarne, lui, l’opposition à Hitler et le flegme tout à fait britannique soit cité. Et pourtant, Churchill ne démérite pas sa place sur le podium des grandes ordures. Quel que soit le sujet abordé : racisme, sexisme, impérialisme, colonialisme, Churchill s’est systématiquement placé du côté de la réaction. Mieux, il en était l’incarnation. Avec la traduction de l’ouvrage de Tariq Ali Churchill, sa vie, ses crimes, les éditions La fabrique nous permettent de revenir sur de nombreux aspects de la vie de Winston Churchill peu connus des publics contemporains, qu’ils soient français ou anglais.

Churchill, artisan des répressions les plus féroces au Royaume-Uni …

Churchill ne correspondait en rien à l’image que nous en connaissons en France, où l’on ne connait de lui que quelques citations, quelques films hagiographiques et sa place de grand gagnant de la Seconde Guerre mondiale. Or, toute sa vie durant, il n’a été guidé que par la volonté de préserver l’Empire britannique. Il s’est opposé farouchement aux mouvements progressistes de son époque, au mouvement ouvrier comme aux luttes pour l’indépendance des colonies. Il a tout fait pour préserver les intérêts de l’aristocratie et de la bourgeoisie britanniques, en résistant à tout changement social.

Churchill a été durant toute sa vie, militaire et politique, l’artisan de la répression la plus féroce contre les mouvements sur l’île. Dès 1910, il écrase la grève des mineurs du Pays de Galles, les émeutes de Tonypandy. En 1919, à la sortie de la guerre, il ordonne le déploiement de l’armée britannique à Glasgow pour réprimer les revendications — principalement portées par la faim — des Écossais.

En 1926, une grève des mineurs éclate. En cause la réduction de leur salaire afin de “relancer l’industrie”, industrie en berne suite à la décision économique catastrophique de Churchill du retour à l’étalon-or. En 1926, donc, alors, que des millions de travailleurs sont en grève et que les imprimeurs refusent d’imprimer les mensonges gouvernementaux, Churchill lance un journal officiel du gouvernement, la British Gazette, l’un des premiers exemples de journal officiel créé spécifiquement pour répandre des fausses nouvelles. Dans le même temps, il mobilise l’armée, les universités, alors majoritairement conservatrices, et également les organisations d’extrême droite comme briseuses de grève. Il coordonne en parallèle les force de répressions, justifiant toutes les exactions et les violences.

Concernant l’Irlande, Churchill a soutenu, en tant que secrétaire d’État aux colonies dans les années 1920, une politique répressive totale et a joué un rôle clé dans la répression violente du mouvement pour l’indépendance. Il a encouragé l’utilisation de la force militaire pour écraser les aspirations nationales, entraînant de nombreux morts et des souffrances considérables. Churchill a également été un fervent défenseur du maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni, ce qui a — évidemment — créé des tensions et des divisions persistantes encore aujourd’hui en Irlande. Sa politique vis-à-vis de l’Irlande reflétait son approche impérialiste et son refus d’accorder aux peuples colonisés le droit à l’autodétermination.

En effet, s’il cherchait à maintenir l’unité de l’ensemble du Royaume-Uni sous une politique conservatrice, il a, tout au long de sa vie, cherché à maintenir et à sauvegarder l’Empire britannique. Les politiques menées sur l’île comme à l’autre bout du monde n’avaient qu’un seul objectif, faire taire toute contestation, nationale ou politique, pour préserver les intérêts de la bourgeoisie anglaise et accroître ses profits. Et ce, peu importe le nombre de morts ou les souffrances causées.

… et de la mort dans les colonies

Les crimes de Churchill dans les colonies sont marqués par une série d’actes répressifs et violents, illustrant son mépris flagrant pour les droits et la dignité des peuples colonisés. En témoigne l’exemple tragique de la famine au Bengale en 1943, où Churchill a adopté une politique impitoyable en refusant d’envoyer l’aide alimentaire adéquate, malgré les avertissements concernant des pénuries imminentes. Cette décision délibérée a conduit à la mort de millions de personnes, faisant de la famine au Bengale l’une des pires tragédies de l’histoire. Aujourd’hui, pour les historiens libéraux, il est coutume d’imputer la responsabilité des famines à des décisions individuelles, ils incriminent, par exemple, Mao pour la terrible famine du Grand Bond en avant. En adoptant cette logique, il faudrait ajouter le nom de Churchill à celui des plus grands criminels de guerre de l’histoire, la famine ayant causé près de cinq millions de morts.

Autre exemple frappant de ses crimes coloniaux au Kenya où Churchill a soutenu la répression brutale de l’insurrection des Mau Mau. Les forces britanniques ont utilisé des méthodes de torture systématiques, notamment des passages à tabac, des viols et des exécutions extrajudiciaires, contre les membres du mouvement de libération. Les populations kenyanes ont été victimes de déplacement forcés des hautes terres fertiles pour laisser place aux colons et plus de 150 000 personnes ont été détenues dans des camps de concentration.

En Palestine, Churchill a soutenu une politique de répression à l’encontre des Arabes palestiniens et a favorisé la partition des terres palestiniennes contribuant ainsi à l’intensification des tensions et du conflit. Sa politique a ignoré les droits et les aspirations légitimes des Palestiniens, alimentant un cycle continu de violence et d’injustice. L’approbation de politiques discriminatoires et la négligence des conséquences humanitaires témoignent de l’attitude indifférente de Churchill envers les droits des peuples colonisés.

Un réactionnaire dans tous ces combats

Le racisme faisait partie de l’identité même de Churchill. Il considérait les peuples non-blancs et colonisés comme inférieurs et justifiait l’exploitation et l’oppression des colonies par les puissances coloniales. Ses déclarations racistes et méprisantes envers les Indiens, les Africains et d’autres peuples colonisés sont largement documentées par Tariq Ali. Il ne s’agit ainsi pas “seulement” d’une stratégie pour défendre les intérêts de sa classe, mais d’une vision raciste systémique et systématique où la seule question d’importance pourrait se résumer ainsi “Combien de milliers de non-blancs morts l’opinion est-elle prête à accepter pour que prospèrent les intérêts de la Couronne ?”. À cette question, Churchill a toujours été de ceux qui poussaient le curseur le plus loin.

Nous pourrions continuer à documenter longuement les crimes de Churchill et l’ouvrage de 450 pages le fait très bien. Notons toutefois que le sexisme de Churchill était également manifeste. Toute sa vie il s’est opposé farouchement au droit de vote des femmes. Il considérait ces dernières comme inférieures intellectuellement et socialement et croyait fermement en une division rigide des rôles de genre. Ainsi en 1920, Il ordonne à la Royal Air Force d’utiliser du gaz toxique contre les rebelles kurdes dans le nord de l’Irak. Il dit alors : " Je ne comprends pas cette attitude délicate à l’égard de l’utilisation du gaz. Je suis fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées". En 1943, au Bengale alors que les Indiens réclament leur indépendance en échange d’un effort de guerre au profit des Britanniques, il répond : "Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion bestiale." Et de continuer, sur la volonté d’indépendance des Indiens : "Comment ? Partir à la demande de quelques macaques ?". Ou encore s’exprimant au sujet de l’installation de Juifs en Palestine, il fait des analogies avec d’autres continents, et soupèse les droits de chacun.

"Je n’admets pas que le chien dans la mangeoire ait le dernier droit à la mangeoire, sous prétexte qu’il l’occupe depuis très longtemps, je n’admets pas ce droit. Je n’admets pas par exemple qu’un grand tort a été fait aux Indiens rouges d’Amérique ou au peuple noir d’Australie. Je n’admets pas qu’un tort ait été fait à ces personnes par le fait qu’une race plus forte, une race de grade supérieur ou en tout cas une race plus mondaine, pour le dire ainsi, est arrivée et a pris leur place. Je ne l’admets pas. Je ne pense pas que les Indiens rouges avaient le droit de dire : "Le continent américain nous appartient et nous n’allons faire venir aucun de ces colons européens". Ils n’avaient ni le droit ni le pouvoir."

Ce ne sont là que quelques exemples, Tariq Ali en cite de nombreux autres.

L’anticommunisme à n’importe quel prix

Tout comme ces choix politiques, la stratégie militaire de Churchill était profondément influencée par son désir de préserver l’Empire britannique et de maintenir la position de l’élite dirigeante. Alors qu’il est aujourd’hui loué pour son audace et sa détermination, sa volonté d’engager des opérations risquées reflète également une mentalité impérialiste faisant fi des risques pris et de la vie des soldats.

Au sortir de la boucherie qu’a été la Première Guerre mondiale, alors que le peuple russe lutte pour établir une société égalitaire et renverser les chaînes de l’oppression capitaliste, Churchill a choisi de s’aligner avec les forces réactionnaires pour réprimer la révolution prolétarienne en renvoyant les hommes sur le front pour faire taire la première expérience socialiste de l’histoire, alors même que l’on sortait de la guerre la plus atroce que l’humanité n’avait jamais connue.
Pour combattre le communisme, Churchill a participé à une coalition internationale visant à renverser le gouvernement bolchévique et à rétablir l’ordre ancien. Cette intervention a été menée en collaboration avec les forces blanches, composées de monarchistes, de libéraux conservateurs et de factions réactionnaires cherchant à rétablir le régime tsariste. Leur objectif était de réprimer le mouvement révolutionnaire et de réinstaurer un système économique et politique qui favorise les privilèges de l’aristocratie et de l’élite capitaliste.

Churchill et ses alliés ont utilisé leur puissance militaire pour tenter de réduire au silence les aspirations révolutionnaires du prolétariat russe, ignorant ainsi le droit à l’autodétermination des nations et piétinant les principes de la solidarité internationale.

Les conséquences de cette intervention ont été désastreuses pour le peuple russe. Des vies ont été perdues, des communautés ont été dévastées et la répression brutale s’est abattue sur ceux qui osaient rêver d’un avenir meilleur et plus juste. La soif de pouvoir et de domination impériale de Churchill l’a amené à s’allier avec les forces les plus rétrogrades, cherchant à maintenir les privilèges de l’ancien régime et à étouffer les espoirs de libération du prolétariat russe : une manifestation de la lutte de classes mondiale et une illustration frappante de la manière dont les puissances impérialistes réagissent violemment lorsqu’elles sont confrontées à la menace d’une révolution.

À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Churchill est l’un des seuls dirigeants européens à affirmer qu’il faut combattre frontalement Hitler, ayant compris que les volontés expansionnistes de celui-ci n’auraient pas de limite, alors que le français Édouard Daladier et le britannique Neville Chamberlain se fient aux promesses d’Hitler selon lesquelles l’obtention des Sudètes serait sa « dernière revendication ». Cependant, ce sont bien des rapports inter-impérialistes et la défense de l’Empire britannique qui l’amènent à s’opposer à Hitler, en effet, le fascisme en tant que tel ne le dérange pas. Il voit même dans le fascisme un courant extra-parlementaire en capacité de vaincre le communisme, est admiratif de Mussolini, lui apportant à plusieurs reprises un soutien chaleureux. Durant la guerre d’Espagne, il se range du côté de Franco contre les républicains. Une fois la guerre terminée, il a soutenu l’utilisation de ce qui restait de forces fascistes pour préserver les possessions coloniales occidentales en Asie et pour maintenir la Grèce dans le camp capitaliste. Enfin, il soutiendra le recyclage de pans entiers de l’appareil d’État fasciste en Allemagne, en Italie et en France (fonctionnaires, policiers, juges, militaires, magistrats) pour l’aider à lutter durant la guerre froide. Pour Churchill, il n’est de pire ennemi que le communisme.

Churchill réinventé, l’historiographie est une bataille

Churchill, durant sa vie politique, a été un homme profondément détesté, y compris par la droite qui lui reproche son arrivisme. En effet, toute sa vie politique il a été guidé par l’opportunisme. Véritable girouette, il passe des Torys aux Libéraux au gré des vents et des aléas de la vie politique. À bien des égards, il symbolisait le concordat établi entre la noblesse terrienne, l’industrie agricole et la bourgeoisie tant marchande qu’industrielle. C’est pourquoi il passait si facilement d’un parti politique à l’autre, d’un portefeuille ministériel à l’autre. Or, cet arrivisme est très mal vu par une partie de la bourgeoisie anglaise, qui lui reproche son manque de cohérence.

De son côté, la classe ouvrière aussi détestait profondément Churchill, pour les politiques de répression qu’il a mené depuis le début de sa vie publique. S’il perd les élections en 1945, c’est d’ailleurs parce que la classe ouvrière le déteste. Elle n’a pas oublié comment depuis 30 ans le mouvement ouvrier anglais a été attaqué, réprimé, harcelé, comment elle s’est fait tirer dessus à plusieurs reprises. Churchill se définissait lui-même comme ennemi de la classe ouvrière organisée.

Alors pourquoi, un demi-siècle plus tard, l’image de Churchill semble faire consensus, ou du moins ne se rappelle-t-on que de son rôle d’opposant à Hitler ? Comment tant de crimes ont-ils été oubliés ? Pour Tariq Ali, au milieu des années 1980, le consensus économique thatchéro-reaganien exigeait une refonte politique et culturelle : il fallait de nouveaux récits pour construire le marché anglophone mondial. L’image de Churchill est réhabilitée, déifiée. Elle sert de socle commun et culturel à un Royaume-Uni qui se persuade qu’il mérite toujours sa place dans un monde en plein changement. L’image de Churchill est en fait le résultat, le produit, d’un Empire britannique en fin de vie à la recherche de reconnaissance. L’image de Churchill sert de continuum historique à l’installation du néolibéralisme comme doctrine politique et économique. « There is no alternative » prenant la relève de « I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat ». Tous les sacrifices sont bons pour garantir la place du Royaume-Uni dans l’échiquier des nations.

Si l’ouvrage se concentre sur Churchill, il ne parle pas que de lui, mais le situe au sein de sa classe, classe qui s’est battu contre les travailleurs du Royaume-Uni, contre les dissidents à travers le monde pour asseoir sa domination et bâtir un empire. Dans sa préface, Tariq Ali évoque la répression d’un groupe de travail sur “Churchill, la race et l’empire”, et nous parle du déboulonnage des statues de colons à travers le monde, de la statue de Churchill repeinte en rouge durant des manifestations. Ces actes symboliques remettent en question les célébrations publiques de personnalités historiques impliquées dans des actes de domination coloniale, d’oppression et d’exploitation. Ils permettent de remettre en question l’héroïsation de ces sombres personnages et d’exiger une réévaluation critique de l’histoire officielle. En remettant en question les mythes et les figures traditionnellement glorifiés, Ali met en lumière les intérêts de classe qui sous-tendent la construction de l’histoire et dévoile les mécanismes de domination qui façonnent nos sociétés. La lutte des classes à de nombreux terrains et l’historiographie en est un. L’ouvrage de Tariq Ali mène, dans ce sens, une bataille importante.