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Chapitre 2.3: « Une politique antiterroriste rationnelle »
La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.
Billets précédents :
2. 3) « Une politique antiterroriste rationnelle »... mais qui ne peut être pleinement efficace ni sans moyens techniques modernes, ni sans la participation active de tou-te-s les citoyen-ne-s
Loin de contourner la question forcément délicate du terrorisme (en renvoyant seulement, comme le font en général les gauchistes, au fait que le terrorisme est dû à l’impérialisme, etc. – ce qui est exact, mais ne suffit pas pour le contrer), le programme AEC a raison de l’affronter et de faire des propositions. De plus, il est indéniable que, « depuis trente ans, une loi contre le terrorisme a été adoptée tous les deux ans. Ces dernières années, le rythme a été plus proche d’une loi par an. Toutes ces lois avaient la même stratégie : lutter contre les attaques terroristes en réduisant les libertés individuelles et en misant sur la surveillance technologique. C’est un échec. Nous proposons de miser sur les moyens humains. »
Il est clair que, dans la lutte contre le terrorisme, les succès ne sont pas dus aux « dispositions liberticides qui ont instauré un état d’urgence permanent », qu’il faut donc « revenir » sur celles-ci et que, plus généralement, il est juste de vouloir « procéder à l’évaluation des résultats des lois déjà adoptées » comme de « garantir le contrôle par le juge judiciaire des opérations de lutte contre le terrorisme ». De même, il est certainement juste de « lutter contre l’embrigadement et soutenir les programmes de prise en charge des personnes suspectées », de « faciliter les poursuites contre les entreprises ou associations en cas d’activités illicites ou de fraude fiscale permettant le financement du terrorisme » et de réquisitionner les entreprises qui collaborent avec les agresseurs ».
Par ailleurs, on peut vouloir aussi « renforcer les moyens humains de la plateforme PHAROS en charge de la prévention et de la surveillance des violences sur Internet », à condition que cela conduise non à des mesures de censure arbitraires de la part de la police, mais à de vraies procédures judiciaires, s’il s’agit de délits caractérisés. En réalité, PHAROS n’a pas pour principale fonction de lutter contre les « violences sur Internet », mais est une plateforme qui permet à n’importe quel-le internaute de signaler des escroqueries et extorsions en ligne (51,2% des signalements en 2018, selon Wikipedia), des atteintes aux mineurs (12,5%), des discriminations (8,6%), tandis que ceux concernant « l’apologie et la provocation à des actes terroristes » ne s’élèvent qu’à 4,8%. On ne saurait s’opposer à l’existence de cet outil en soi, qui équivaut pour internet aux commissariats où l’on a le droit de porter plainte ou de déposer des mains courantes (même si les fonctions de police devraient selon nous être confiées à tou-te-s les citoyen-ne-s, comme nous le verrons dans le point suivant). Cependant, l’expérience montre que PHAROS est souvent utilisé aujourd’hui par la police pour faire pression sur les propriétaires des réseaux sociaux et des sites afin qu’ils censurent non seulement des propos délictueux, mais aussi des propos politiques, par exemple ceux de l’anti-racisme politique, qu’ils effacent hors de toute instruction judiciaire.
De façon plus générale, cette section du programme AEC tend à réclamer plus de moyens pour la lutte contre le terrorisme sans voir le danger que cela implique pour les libertés démocratiques. Plutôt que de participer à l’escalade sans fin dans l’adoption de nouvelles dispositions judiciaires et policières contre le terrorisme, il faudrait revendiquer une certaine déflation, à l’heure où les dispositifs répressifs en général se multiplient avec souvent comme prétexte cette lutte contre les « liens avec le terrorisme », qui finit en réalité par mettre en cause la liberté d’expression sur Internet, voire à interdire des organisations comme le CCIF.
Enfin, sur la question policière en général, le programme AEC propose de « renforcer les moyens humains du renseignement en revenant sur la fusion de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (RG), et privilégier l’infiltration au mirage du tout-technologique ». Plusieurs questions différentes sont ici mélangées : le renforcement des moyens technologiques de surveillance des terroristes est indispensable avec l’essor du numérique, des réseaux sociaux, etc., et il est donc insensé de lui opposer les méthodes anciennes, alors qu’il faut évidemment les combiner. Le problème de la DCRI, née de la fusion entre la DST et les RG, ce n’est pas qu’elle ait recours à des moyens techniques sophistiqués, mais c’est qu’elle constitue une agence secrète, qui échappe à tout contrôle, alors même qu’elle a des fonctions judiciaires, et non seulement opérationnelles, et qu’une bonne partie de ses activités ne relèvent pas du « secret défense » constamment invoqué. Il faut placer l’activité judiciaire des services de surveillance sous l’autorité directe de juges spécialisé-e-s (comme le propose le programme AEC à juste titre) et de la CNIL, eux-mêmes contrôlé-e-s par des commissions du parlement et du système judiciaire démocratisés (comme nous le proposons aux points précédents). Quant aux services de renseignements, ils doivent être intégrés dans une activité policière radicalement transformée par la participation de tou-te-s les citoyen-ne-s : sans parler ici des mesures de transformation sociale et économique plus globales, qui restent à long terme la condition pour mettre fin au terrorisme, la démocratisation radicale des fonctions policières est la meilleure manière de « lutter contre l’embrigadement » et de prévenir les dérives par la vigilance active de tou-te-s et la discussion collective permanente. C’est ce que nous verrons dans le point suivant.