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Hommage à notre camarade Yves
Yves s’était depuis longtemps engagé dans un combat sans relâche contre le capitalisme. Contre ce système économique fauteur de guerres entre les peuples, exploitant sauvagement les travailleur.se.s, détruisant l’environnement et menaçant la survie de l’humanité sur terre, alimentant les idéologies réactionnaires.
Né dans une grande fratrie élevée par une mère seule, cuisinière de son métier, lui-même prolétaire et précaire toute sa vie, la lutte de classe n’était pas pour Yves un passe-temps, mais un combat qu’il portait dans son cœur et dans sa chair et dans lequel il s’est investi jusqu’à ses derniers jours avec une énergie débordante. Ce combat, il l’a mené dans différentes organisations, dans différents cadres, sous diverses formes, avec des hauts et des bas, des moments d’enthousiasme, mais aussi de frustration et parfois de découragement. Mais il ne l’a jamais lâché. Il s’est efforcé de toujours rester fidèle à ce qui semblait être l’intérêt de sa classe, souvent avide d’apprendre des autres mais ne se laissant jamais impressionner par l’autorité des bureaucrates et des petits chefs de toutes sortes.
Si nous avons eu la chance de faire sa connaissance, c’est d’abord pour ces quelques phrases qu’il avait écrites alors qu’il était secrétaire fédéral de l’Yonne du Parti des Travailleurs en janvier 2005 :
« Il nous faut nous battre contre ce gouvernement. (…) écrivait-il, mais il nous faut aussi nous battre contre les appareils syndicaux vendus ! Contre les appareils qui bloquent la lutte en dépolitisant le débat. Nous battre contre le syndicalisme de confort et pour un syndicalisme de lutte. Pour reconquérir la confiance des travailleurs. Ici dans l'Yonne, à Auxerre, à Tonnerre demain aux côtés de salariés licenciés de Thomson ». Et, s’adressant aux adhérent.e.s de son parti d’alors, il poursuivait : « Quelles solutions pouvons nous apporter ? A nous, à vous de le dire. Il faut apporter des solutions des propositions si nous voulons avancer. Nous ne pouvons nous contenter de commentaires, il nous faut des actes, du concret. Aujourd'hui et pour les semaines et les mois à venir ».
Ces mots résonnent avec une acuité particulière en cette période où les appareils syndicaux ont une nouvelle fois et d’une façon particulièrement honteuse fait bloc avec le gouvernement Macron-MEDEF contre le soulèvement prolétarien et populaire des Gilets Jaunes, creusant un peu plus le fossé entre eux et les travailleur.se.s. Et dans le même temps, à la base, « le syndicalisme de lutte » qu’il appelait de ses vœux, et plus largement les militant.e.s révolutionnaires, ont cherché à construire le mouvement des GJ, son auto-organisation, et à forger les convergences pour dresser toute la classe ouvrière contre le pouvoir du capital. Et ce n’est pas un hasard si Yves s’est senti dès le début GJ et s’il a contribué avec toute la passion qu’on lui connaît à animer la mobilisation, l’auto-organisation, et susciter l’élaboration programmatique, d’abord à Dijon, puis à Auxerre. Pas un hasard non plus si nous nous sommes retrouvés avec lui au cœur de ce mouvement où les exploité.e.s et les opprimé.e.s avaient décidé de se lancer eux-mêmes dans l’action sans attendre l’autorisation des chefs syndicaux, de prendre la parole eux-mêmes et elles-mêmes et de poser la question du pouvoir politique, en affirmant bien haut : Macron dégage ! C’est au peuple de gouverner !
Mais ces vérités sur le rôle des appareils syndicaux, on ne pouvait pas les exprimer et les maintenir dans un parti aussi profondément lié aux appareils syndicaux. Bureaucratiquement exclu du mal nommé Parti des Travailleurs, Yves chercha une autre organisation pour poursuivre son combat. Et c’est ainsi qu’il se lia au groupe C.R.I, puis y entra. Il ne perdit pourtant pas le contact avec ces anciens camarades du PT de l’Yonne, à leur tour exclu.e.s massivement de façon tout aussi bureaucratique pour s’être opposé.e.s à l’exclusion d’Yves, et en particulier avec Michel Villerey avec lequel il avait noué un lien particulièrement étroit. Il continua de participer à des activités à leur côté, notamment en animant les manifestations anti-militaristes, tout en polémiquant contre l’idéologie pacifiste comme dans cette lettre à la Libre Pensée de 2007 : http://groupecri.free.fr/imprimable.php?id=332
La première grande lutte à laquelle Yves participe comme militant du groupe CRI, c’est l’immense mobilisation contre le CPE qui, ayant débuté dans la jeunesse scolarisé et étudiante, tend à entraîner le prolétariat, malgré tous les obstacles mis par les directions syndicales. Bien que seul sur Auxerre, il déploie beaucoup d’énergie à diffuser les tracts du groupe et nouer des contacts avec des travailleur.se.s en lutte.
Formateur en informatique dans un CFA (centre de formation d’apprentis) et pour des programmes d’insertion de jeunes, il suit de près la situation des jeunes des milieux populaires que cette société prive d’avenir. Il avait écrit un article à ce sujet pour le Groupe CRI, sous le nom de plume militant, Wilbur Schäfer : http://groupecri.free.fr/article.php?id=282. Avant cela, sans diplômes, il avait fait de nombreux petits boulots, notamment participé à des chantiers de fouille archéologique à Auxerre, où il fut notamment chargé de classer les objets recueillis, acquérant sur le tas, au fil des années, une grande compétence. Celle-ci ne fut jamais reconnue ni validée professionnellement et Yves fut finalement remercié du jour au lendemain.
Venu à la politique à partir d’une révolte profonde contre les injustices et les inégalités produites par le capitalisme, militant actif et énergique, Yves se montre avide de formations théoriques et politiques, sans jamais perdre son propre regard sur le monde et sans jamais renoncer à tenter ses propres élaborations.
Lorsque le groupe CRI décide de participer au processus lancé par la LCR pour la formation d’un nouveau parti anticapitaliste, Yves y joue un rôle central dans l’Yonne. Il rassemble peu à peu un fort groupe de militant.e.s et sympathisant.e.s, celles et ceux qui veulent construire un parti révolutionnaire, et participe à la fondation de la Tendance CLAIRE du NPA. Il joue un rôle d’animateur du NPA sur Auxerre, et en particulier de moteur dans les liens noués avec les ouvriers de l’usine de batteries Fulmen, en lutte contre sa fermeture en 2009. Plus largement, il contribue à essayer d’implanter le NPA de l’Yonne naissant dans le prolétariat industriel et dans ses luttes, avec la mise en place de diffusions en direction des boîtes des alentours.
C’est une période difficile, car il ne peut consacrer toute son énergie à la lutte de classe directe : il est en permanence en butte aux attaques incessantes de la part des principaux dirigeants locaux de la LCR — qui ont finalement quitté le NPA en 2012 passant ainsi ouvertement au réformisme, après avoir accusé pendant quatre ans Yves et la TC de n’être au NPA que de passage. Ces derniers font peu de choses sur le terrain sinon des réunions unitaires avec les dirigeants syndicaux et les partis de gauche, mais ne cessent de mettre des bâtons dans les roues des initiatives lancées par les camarades de la TC. Yves retrouve cette atmosphère pesante qui règne dans tout parti où un petit appareil prétend imposer ses vues en ayant recours à toute forme de méthode bureaucratiques. Ces conditions pénibles pour militer, bien loin de la fraternité et de la sororité entre militant.e.s révolutionnaires, l’insupportent plus que tout autre, lui qui aura toujours refusé de sacrifier sa liberté de penser à quelque organisation que ce soit. Certes, ce harcèlement continu est aussi comme un hommage à la qualité et aux résultats de son activité militante. Le poids acquis par la TC à Auxerre et dans l’Yonne menace de faire passer la majorité de la fédération de l’Yonne à la TC et à ses sympathisant.e.s. Mais il est aussi particulièrement usant et démoralisant pour Yves sur lequel les coups se concentrent.
C’est à la lumière de cette expérience icaunaise qu’Yves interprète l’affaiblissement généralisé du NPA. Peut-on vraiment dans un tel cadre regrouper les exploité.e.s et les opprimé.e.s ? N’est-ce pas plutôt un cadre qui risque de les faire fuir et de décourager les bonnes volontés, comme la sienne ? C’est ce qui le conduira à un premier éloignement du NPA qui n’est en aucun cas un renoncement à l’activité militante révolutionnaire.
En 2013, Yves, toujours attentif aux luttes concrètes qui se développent dans sa région, décide de s’impliquer fortement dans le lancement de la ZAD de la forêt du Tronçais – initiée notamment par Muriel, une de ses sœurs, militante écologiste de longue date. Cette ZAD visait à s’opposer à la construction d’un incinérateur et d’une scierie géante menaçant l’ensemble de l’écosystème local. Une bataille de longue haleine qui sera d’ailleurs largement bénéfique, le projet d’incinérateur géant ayant été annulé par décision de justice.
Baladé, comme de plus en plus d’entre nous dans cette société pourrie, de travail précaire en travail précaire, Yves se retrouve à travailler dans une blanchisserie où règne une exploitation particulièrement noire. Avec sensibilité et patience, il parvient à nouer des liens forts avec les salarié.e.s et à aider à l’émergence d’un esprit de révolte contre les conditions de travail particulièrement pénibles. Il en parle avec autant de passion que de précision dans la série d’interviews données à la TC : https://tendanceclaire.org/article.php?id=all&auteur=W.%2C%20ouvrier%20pr%C3%A9caire
Après un temps d’éloignement, Yves revient au NPA en 2014. Il s’intéresse à des multiples sujets, au gré de ses lectures. Il fait ainsi un compte-rendu enthousiaste du livre de Mary Nasch, Femmes libres ». Espagne 1936-1939 : https://tendanceclaire.org/utils/pdf.php?id=439 À l’occasion de la mort du comédien et militant amérindien Russell Means, il s’intéresse à la culture et aux combats des Amérindiens, il fait un exposé enthousiaste lors d’une AG de la TC, qui en publie le texte en 2013 : https://tendanceclaire.org/article.php?id=479 Ou encore, il s’intéresse à la cause de la souffrance animale, qu’il veut lier à celle du combat contre le capitalisme : https://tendanceclaire.org/article.php?id=924...
Yves contribue avec enthousiasme à l’élaboration de la plateforme 5 pour le congrès de 2015, avec les camarades de la fédération de la Meuse, dont la sensibilité fait écho à la sienne. Il apprécie tout particulièrement la ferveur, la simplicité et la fraternité des camarades meusiens du NPA. Les moments d’échanges et d’élaboration politique se font dans un climat de confiance et avec un souci tout particulier d’être lié aux souffrances vécues par notre classe. La vibrante introduction de cette plateforme permet aussi de comprendre pourquoi il n’aura pas fallu longtemps à Yves, aux ex-animateurs du NPA de la Meuse, et à la TC pour se plonger dans le mouvement des GJ. Mentionnant les révoltes de notre époque, elle affirmait : « Ces refus et ces combats, ce sont les nôtres ! Une nouvelle génération militante de travailleur·se·s, chômeur·se·s et opprimé·e·s contribue souvent à leur animation. C’est pourquoi notre parti, qui se veut celui des exploité·e·s et opprimé·e·s, doit rechercher l’unification de ces révoltes en un combat contre la société capitaliste. Nous devons porter haut et fort le projet d’une société sans classe, sans État, sans guerre, sans oppression, et qui stoppe d’urgence le suicide écologique. »
Lors des rencontres organisées en Meuse, Yves nous avait fait profiter de ses talents artistiques en jouant en avant-première son spectacle musical antimilitariste, puis en nous faisant un concert avec poésie dans l'univers de Bashung, Rodolphe Burger, Kat Onoma. Il développa ensuite largement son spectacle Crosse en l’air (https://www.youtube.com/watch?v=2eDoZzPk1X8 ), aux côté de Laurence Gemble, dans lequel les écrits des soldats sont mis en scène : refus de la hiérarchie, des horreurs de la guerre, des petits chefs, de l’absurdité de charnier que fût la boucherie de 14-18, c’est avec beaucoup d’émotion qu’ont été retransmises ces paroles, pour la plupart issues de fusillés pour l’exemple. Mêlées aux chansons antimilitaristes populaires, c’était un spectacle très fort, pour lequel il consacra beaucoup d’énergie, et dans lequel il s’accomplit totalement, jusqu’à son décès.
Dans l’Yonne, il s’efforce de reconstruire la fédération à partir de rien, notamment avec l’aide de ses fils Thomas et Tristan qui ont comme leur père la fibre révolutionnaire et une énergie débordante. Un groupe de jeunes lycéen.ne.s rejoint le NPA, notamment à travers l’intense activité déployée sur Auxerre avec la création d’un comité contre l’Etat d’urgence début 2016 et de l’intervention active des mobilisations contre la loi Travail en 2016, contribuant à des cortèges plus dynamiques et festifs que les traditionnels tristes défilés syndicaux et favorisant des prises de paroles en fin de parcours. C’est toujours là son souci de faire du prolétariat un sujet politique, fidèle à cette idée porté par la Ière Internationale que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Il a également contribué à animer le mouvement Nuit Debout sur Auxerre, laboratoire d’idées pour l’émancipation.
Mais Yves se trouve à nouveau en but à l’hostilité des dirigeants bourguignons de l’ex-LCR, regroupés au sein de la plateforme 1 et de leurs relais nationaux qui, au lieu de se réjouir qu’une fédération commence à renaître, lui mettent systématiquement des bâtons dans les roues, allant jusqu’à empêcher les camarades d’Auxerre de voter au congrès. Malgré tout, il s’engage dans le lancement de la campagne Poutou dès le printemps 2016, organisant un meeting à Auxerre : https://tendanceclaire.org/article.php?id=984
A cela s’ajoutent certaines divergences avec la TC. Il n’y a là rien de plus normal au sein d’une organisation révolutionnaire qui, si elle veut être vivante, ne saurait être monolithique. Mais un événement envenime ces divergences plus qu’il n’aurait été raisonnable. Choc d’idées, mais aussi choc des caractères entiers des militant.e.s révolutionnaires que nous sommes. On s’engueule, on se fâche, mais on ne perd pas le contact.
Après la blanchisserie et jusqu’à sa mort, Yves est embauché par une association de cinéma itinérant qui projette des films dans les villages de l’Yonne et au-delà. Il s’y investit avec passion et prend des responsabilités dans l’association. Il s’agit de diffuser la culture dans les milieux populaires qui en sont privés. Beaucoup de mairies accueillent avec enthousiasme le projet et participent au financement pour offrir des billets bon marché, contribuant à la vie locale.
C’est avec passion qu’il s’engage corps et âme dans la lutte des Gilets Jaunes dès le 17 novembre, d’abord sur Dijon, aux côtés de Thomas qui entraîne avec lui un groupe de lycéens et contribue à la mise en place d’AG de GJ sur la ville. Il est présent à Commercy, première Assemblée des Assemblées de GJ, envoyé à titre d’observateur par les GJ de Dijon. Il brûle de pouvoir parler, discute beaucoup aux pauses, participe avec enthousiasme aux commissions. C’est aussi l’occasion de retrouvailles en chair et en os avec les camarades de la TC, dont certain.e.s sont aussi délégué.e.s par leur groupe à Commercy : elles sont la suite logique des retrouvailles politiques liées aux analyses convergentes sur le mouvement des GJ. L’épreuve de la lutte de classes permet de dégager les convergences politiques essentielles. Il s’est ensuite plus investi dans la mobilisation sur Auxerre, contribuant à l’élaboration de propositions programmatiques très avancées avec l’AG local des GJ en vue de la coordination de Montceau-les-Mines dans la Saône-et- Loire voisine : il avait été élu comme délégué pour représenter l’AG de l’Yonne.
Malheureusement, il n’aura pas vécu assez longtemps pour pouvoir y participer. Il est mort bien trop tôt, à 56 ans, en ce lundi 24 juin 2019.
Mais il aura contribué avec toute sa sensibilité, toute sa passion et toute son intelligence de la situation au combat communiste révolutionnaire pour en finir avec l’exploitation et l’oppression, avec la guerre, avec toutes les formes d’injustice, aux côtés de sa classe. Avec des hauts et des bas, des moments d’exaltation et d’abattement, mais avec une énergie toujours renaissante, une attention au concret toujours renouvelée, une imagination toujours vivante.
Yves, tu étais entier, bien têtu, impatient, souvent râleur, mais toujours indigné par les injustices, sincère, créatif, énergique, plein de sensibilité, ouvert, accueillant. Tu auras contribué à communiquer ta révolte à bien d’autres contre ce monde à l’envers et à susciter de nouveaux désirs de se dresser contre le pouvoir du capital pour établir enfin une société juste.
Yves, nous n’oublierons pas ce que tu as fait pour ce combat, et surtout, nous ne t’oublierons pas, toi.
Nous pensons également à ta famille, à Sandrine, ta compagne, à tes enfants, Tristan et Thomas, nos camarades, Jacques, Camille, Chloé, et à tout.e.s les autres que nous ne connaissons pas et leur transmettons toute notre solidarité dans ce moment de douleur.