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Chapitre 1.5: « Une République laïque »
La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.
Billets précédents :
1. 5) « Une République laïque »... oui, mais il est ambigu et dangereux de reprendre le vocabulaire idéologique du « combat contre les communautarismes »
Nous sommes d’accord avec le rappel et l’interprétation du principe de laïcité qu’avance le programme AEC, notamment contre son instrumentalisation islamophobe : « La laïcité est le principe qui garantit la liberté de conscience, l’égalité entre tous les citoyens et rend ainsi possible notre vie commune. Elle est indissociable de la souveraineté populaire. Nous devons la faire respecter et nous en tenir aux principes très clairs énoncés par la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. La laïcité interdit l’ingérence des religions dans les affaires publiques. Elle ne peut être confondue avec un athéisme d’État et prétendre organiser les religions. Elle ne doit jamais servir à montrer du doigt les croyants d’une religion, comme dans la période récente, cela été fait contre les musulmans. »
Il en découle que nous approuvons les revendications suivantes du programme AEC : « Interdire aux élus locaux, parlementaires, ministres et préfets d’assister à des cérémonies religieuses au titre de leurs fonctions ou de recevoir des titres religieux, refuser l’attribution du titre de chanoine de Latran au président de la République. [...] Refuser les financements publics pour la construction d’édifices religieux, d’activités cultuelles et d’établissements confessionnels. Garantir la présence d’une école publique laïque dans chaque commune du pays. Rétablir et augmenter les moyens et l’autonomie de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Mividules). »
Nous sommes évidemment d’accord aussi pour « abroger le concordat d’Alsace-Moselle ». Rappelons que, loin d’être une curiosité anodine, ce concordat ou plutôt le « régime spécifique des cultes en Alsace-Moselle », qui concerne les religions catholique, luthérienne, réformée et juive (et est donc en lui-même discriminatoire à l’égard des musulmans et des autres religions), coûte 54,7 millions par an au budget de l’État. De plus, non seulement, comme le rappelle la note *5 du programme AEC, « 70% des Français sont pour la suppression du financement des cultes par l’argent public en Alsace-Moselle [...] » (sondage Harris Interactive, juillet 2021), mais en outre le concordat n’est même pas soutenu par une majorité localement : « selon un sondage IFOP commandé par le Grand Orient de France, publié en avril 2021 [...], 52 % des Alsaciens-Mosellans souhaitent l'abrogation du Concordat. Localement, tous les partis plaident pour le maintien du Concordat hormis La France insoumise. »
En revanche, en ce qui concerne la revendication d’« abroger [...] les divers statuts spécifiques en vigueur dans les Outre-mer », que le programme AEC mélange avec le concordat d’Alsace-Moselle, nous la subordonnons pour notre part à la libre décision des populations de chaque territoire concerné (en l’occurrence les départements de Guyane et de Mayotte et la plupart des « collectivités d’outre-mer »). En effet, contrairement à l’Alsace et la Moselle, les territoires d’outre-mer sont des colonies de la France et il appartient donc à leurs habitant-e-s de s’autodéterminer, jusqu’au droit à l’indépendance s’ils/elles le souhaitent (voir à ce sujet notre critique à venir du chapitre 6, point 4).
Enfin, le programme AEC déclare vouloir « combattre tous les communautarismes et l’usage politique des religions ». Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Et en quels projets politiques concrets ce « combat » s’incarne-t-il ? Au moment où le gouvernement Macron mène une campagne sur ce thème, essentiellement islamophobe, il est pour le moins urgent de préciser – même si LFI a évidemment combattu la « loi contre les séparatismes » du gouvernement et dénoncé le fait qu’elle vise en réalité surtout des musulman-e-s. Certes, nous combattons politiquement les intégristes et fondamentalistes des différentes religions, qui sont porteurs de valeurs réactionnaires et prétendent régenter la vie des gens. Mais c’est semer la confusion que de reprendre à son compte le mot « communautarisme », forgé assez récemment dans le but principal de s’en prendre aux musulman-e-s (et aussi à des minorités LGBTI+ obligées depuis longtemps de s’organiser en « communautés » pour s’auto-défendre et imposer leurs droits). Ce vocabulaire idéologique, politicien et médiatique, est par là même confus et essentiellement stigmatisant. En aucun cas nous ne combattons les gens qui se reconnaissent dans des « communautés », religieuses ou non, et qui adoptent des croyances, des valeurs et des pratiques qui leur sont propres. Ces « communautés » sont même souvent des moyens de résister à l’isolement, à l’atomisation, aux discriminations, voire à la pauvreté, que provoquent l’idéologie libérale et la société capitaliste en crise.
Par ailleurs, certaines communautés peuvent être aussi politiques, comme c’est le cas non seulement d’associations musulmanes, mais aussi d’organisations juives et surtout bien sûr des églises chrétiennes, à commencer par la plus puissante d’entre elles, l’Église catholique. En effet, elles n’hésitent pas à se prononcer sur des sujets de société, des projets de lois, voire à manifester, à exercer des pressions diverses sur le gouvernement, les députés, les préfets, etc. En tout cas, il est absurde de prétendre combattre « l’usage politique des religions » en général : les gens qui ont une religion, tout comme ceux qui n’en ont pas, ont le droit de s’en servir pour faire de la politique, pour défendre leurs valeurs, pour traduire leurs croyances en propositions, etc. De ce point de vue, il n’y a aucune raison de « combattre » par principe des partis musulmans ou chrétiens car tout dépend de leurs positions (et si l’on combat la démocratie chrétienne, peut-être majoritaire au niveau de l’UE, ce n’est pas pare qu’elle est « chrétienne », mais parce que c’est un mouvement bourgeois de droite...).
Enfin, nos propres syndicats, associations et partis du mouvement ouvrier sont évidemment eux aussi des « communautés » : et alors ? De plus, nous n’exigeons pas que nos « communautés » se subordonnent systématiquement aux lois de la République – ou, plus exactement, il en va d’un débat profond au sein du mouvement ouvrier, qui divise notamment le réformistes ou certains d’entre eux et les révolutionnaires ! Ainsi n’hésitons-nous pas pour notre part à préconiser ou soutenir la désobéissance aux lois injustes ou illégitimes à nos yeux, comme naguère les dispositions de l’état d’urgence qui nous interdisaient de manifester ou comme telle loi qui interdit de venir en aide à des migrant-e-s, etc. Et nous redisons que Jean-Luc Mélenchon et les dirigeant-e-s de l’Union populaire feraient bien de réfléchir dès maintenant à ce qu’ils/elles feront quand la bourgeoisie s’appuiera sur la loi pour l’empêcher de réaliser ne serait-ce que le début de leur programme, à commencer par la convocation d’une constituante...