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Macron peut-il nous protéger ? Militarisme bourgeois, pacifisme impuissant et nécessité d’une défense révolutionnaire
Ce texte vise à réagir et à prendre position dans le débat sur la question militaire. Il ne s’agit pas d’une analyse des impérialismes américain, russe ou européens. Il ne s’agit pas non plus d’une analyse de l’impérialisme français. Le/la lecteur/trice qui le souhaite peut prendre connaissance de nos positions sur la guerre en Ukraine, celles sur les guerres au Moyen-Orient, ou de notre élaboration pour un programme militaire défensif, transitoire et révolutionnaire.
La centralité nouvelle des questions stratégiques dans le débat public français ne doit rien au hasard. Le retour des guerres de très haute intensité, la rivalité sino-américaine, la guerre d’invasion prolongée en Ukraine et l’instabilité continue au Moyen-Orient sur la base du génocide à Gaza ont dissipé l’illusion d’une Europe durablement pacifiée. Le pouvoir exécutif et particulièrement Macron ont tenté de réagir en multipliant les prises de parole, les alertes et les postures martiales. Pourtant, la prolifération discursive (annonces, allocutions, interviews, mises en garde) ne saurait masquer l’évidence : l’impérialisme français déclinant n’est pas structurellement préparé à un conflit majeur comme celui qu’anticipe l’état-major d’ici 2030. L’appareil militaire bourgeois est affaibli, l’industrie de défense, bien que technologiquement avancée, est fragmentée, la défense civile quasiment inexistante, et la société massivement désarmée, au sens matériel comme au sens politique.
Depuis l’été 2025, cependant, le tournant militariste s’est accéléré. La question militaire est devenue l’un des axes centraux du discours de l’Élysée et de son appareil gouvernemental. La mise à jour de la Revue nationale stratégique, les annonces sur la « préparation des hôpitaux à la guerre », la publication du livret « Tous responsables » [1], les déclarations choc affirmant que « la France doit accepter de perdre ses enfants », l’instauration d’un livret d’épargne défense soutenu par la Banque publique d’investissement, l’introduction de « classes défense » dans les collèges et les lycées, ou encore la création d’un Service national volontaire forment un ensemble cohérent. Ce continuum idéologique est accompagné d’un continuum matériel : augmentation du budget des armées (qui ne peut, à l’heure actuelle se faire qu’aux dépens des services publics), mobilisation de 800 milliards d’euros à l’échelle européenne pour l’investissement militaire, augmentation des quantités produites et envolée boursière des entreprises de défense soutenues par des fonds publics.
Cette démarche est celle du « signalement stratégique », dont le but est de « démontrer les intentions, la détermination et les capacités de la France, sans toutefois franchir le seuil d’un conflit ouvert ». En clair, Macron veut montrer qu’il a pris acte de la situation militaire dans laquelle la France se trouve selon lui et qu’il s’engage à mettre en œuvre les moyens pour y faire face. Pourtant, rien de tout cela ne vise réellement à la protection des travailleurs/euses ; tout converge à l’inverse vers l’objectif de la récupération d’une capacité impérialiste affaiblie.
I/ La France au pied du mur stratégique ?
L’Europe et la France dépendantes des États-Unis
Les Etats d’Europe occidentale (puis de l’ensemble de l’Europe) – dont l’État français –se sont jetés depuis la Seconde guerre mondiale dans une stratégie de dépendance militaire structurelle à l’égard des États-Unis. Depuis 30 ans, cette dépendance n’est pas seulement diplomatique ou technique : elle est aussi industrielle. Les Etats européens, ayant démantelé ses industries lourdes au profit de la mondialisation néolibérale, ne peut plus produire dans la durée les volumes nécessaires à un conflit de haute intensité. La bourgeoisie française, tout en restant dépendante pour ses composants électroniques, ses métaux stratégiques, ses réseaux logistiques et pour une part son énergie, du fait d’infrastructures qui ne sont pas sous son contrôle, liquide ses fleurons industriels [2].
L’« autonomie stratégique européenne » n’est, pour l’heure qu’une illusion. En définitive, l’Europe s’est insérée dans le système militaro-industriel américain comme un sous-traitant politique et technologique [3]. Le discours macroniste sur la souveraineté ne peut masquer la dépendance matérielle profonde dans laquelle la bourgeoisie française a volontairement placé le pays.
Service militaire volontaire contre Service national universel
L’armée française est l’une des plus opérationnelles d’Europe, mais elle n’a pas été conçue pour protéger le territoire national dans la durée. Professionnelle, technologiquement avancée, expérimentée au combat, elle est aussi sous-dotée en effectifs, séparée du reste de la société et dépourvue de « profondeur humaine » en cas de crise majeure. Le Service national universel (SNU) n’a constitué en rien une réponse à ce problème. Il ne forme pas, ne prépare pas, et ne fournit aucune compétence utile pour une défense efficace, qu’elle soit militaire ou civile : c’est la raison pour laquelle il a été abandonné par son fondateur, Macron lui-même.
Le Service militaire volontaire que celui-ci vient d’annoncer réussira sûrement à séduire quelques franges de la jeunesse. En effet une récente enquête sociologique [4] montre qu’une partie significative de celle-ci a un regard positif sur l’armée et souhaite s’engager, tout en soulignant toutefois que cela ne concerne, pour l’instant, que quelques segments. De plus, il est établi que le sentiment antimilitariste qui prévalait dans la gauche et dans la jeunesse post-68 s’estompe. S’il est possible que les objectifs de recrutement, fixés dans un premier temps à 3000 jeunes par an, soient atteints: on est loin de l’objectif initial du SNU, qui était l’encadrement de 800 000 jeunes par an. L’échec de Macron est flagrant et s’explique en partie par son absence complète de légitimité.
II/ L’impasse du pacifisme de gauche : morale contre matérialisme
Le pacifisme moral comme renoncement stratégique
Face à cette offensive idéologique, l’extrême gauche et la gauche françaises adoptent trop souvent un pacifisme moral, incarné par le slogan « guerre à la guerre ». Ce pacifisme, louable en lui-même bien qu’idéaliste, refuse d’analyser la guerre comme un phénomène inscrit dans les contradictions du capitalisme mondialisé. Il se contente de dénoncer la violence en bloc, d’espérer une paix abstraite, en contradiction totale avec les fondements de l’analyse faite par Lénine du stade impérialiste du capitalisme. La thèse qu’il formulait au début du XXe siècle, selon laquelle « l’impérialisme est la période des crises, des guerres et des révolutions » prend à nouveau sens aujourd’hui, dans un contexte d’affaiblissement chronique de la profitabilité du capital aiguisant les rivalités autour du contrôle des chaînes d’approvisionnement et des ressources. Cela signifie, entre autres, que la guerre entre puissances impérialistes est inévitable, à moins que des révolutions prolétariennes ne viennent mettre un coup d’arrêt à la transposition, sur le terrain militaire, des rivalités inter-impérialistes. Cela veut dire que si nous, en tant que révolutionnaires, devons tout faire pour éviter la guerre, nous devons aussi tout faire pour nous préparer à la possibilité de la guerre.
S’il y a une part d’instrumentalisation et d’exagération de la « menace russe » dans le débat médiatico-politique européen et français, il est clair que l’impérialisme de Poutine sera encouragé en cas de défaite de l’Ukraine et que ses visées expansionnistes sur les anciennes républiques soviétiques en seront décuplées. De plus, nous considérons que la puissance impérialiste dominante, plus encore depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, représente un immense danger, politique et militaire, pour les travailleurs du monde, à commencer par ceux/celles d’Amérique latine et du Moyen-Orient, mais aussi à terme d’Asie et même d’Europe [5]. Dès lors, nous devons nous tenir prêt.e.s à ce que les travailleurs/euses soient un jour confronté.e.s à une guerre dévastatrice et meurtrière. Refuser de réfléchir à ce qu’il faut faire dans cette perspective et notamment aux moyens de nous préparer, y compris sur le plan militaire, et de protéger au mieux les populations, c’est laisser à la bourgeoisie le monopole des questions militaires, comme si la population n’avait pas à s’en saisir. En définitive, le pacifisme abandonne la question militaire à l’État bourgeois et déserte un terrain que la classe ouvrière devrait occuper, dans la mesure où elle sera la première concernée par un conflit de haute intensité en Europe – et sera en outre un jour amenée à prendre le pouvoir et donc à assumer une stratégie militaire de l’État ouvrier.
L’absence d’une doctrine militaire de gauche
Le pacifisme moral entraîne une incapacité structurelle à produire une doctrine militaire alternative. Les révolutionnaires ne réfléchissent ni à la défense civile, ni à la résilience territoriale, ni à la logistique, ni à la formation de masse, ni à la constitution d’une force populaire autonome. Ils et elles refusent même de penser l’usage légitime de la force dans une perspective révolutionnaire.
Cette absence de doctrine laisse la bourgeoisie libre de définir seule ce que signifie « protéger la nation ». Les travailleurs/euses deviennent dès lors captifs/ves d’un appareil militaire qui ne défend pas leurs intérêts et qui peut, dans certaines circonstances, être utilisé contre eux. C’est pourtant précisément ici que se joue l’une des contradictions fondamentale de l’armée : qui la compose et qui la dirige ? Le Service militaire volontaire est en ce sens un signal que nous devons être capables d’analyser comme un signe de faiblesse de notre ennemi. En effet, si Macron et l’armée s’en contentent, c’est d’abord parce qu’ils ne veulent absolument pas mettre en place un service national obligatoire qui formerait au maniement des armes, à la discipline et à l’utilisation de techniques et technologies militaires des centaines de milliers de travailleurs/euses et de jeunes chaque année. Si le coût financier d’une telle réforme suffit à expliquer que le gouvernement et l’état-major aient décidé d’écarter cette hypothèse, il faut prendre en compte aussi qu’elle pourrait, en soi, constituer un risque pour le pouvoir lui-même. En effet, une armée populaire, ancrée dans la société car imbriquée en permanence avec celle-ci est un couteau à double tranchant : la bourgeoisie ne veut pas que les travailleur/se-s sachent se battre, car ils/elles pourraient utiliser ce savoir-faire contre elle.
III/ Pour une défense populaire : rupture avec le militarisme bourgeois et le pacifisme impuissant
Réarmer la société civile et démocratiser les dispositifs de sûreté
Les questions de sûreté en général et de défense en particulier ne peuvent être laissées entre les mains de l’État bourgeois. Une défense véritablement populaire suppose un réarmement civil et démocratique : constitution de réserves territoriales intégrées aux communes, formations populaires aux premiers secours, cyberdéfense et logistique, renforcement de la défense civile, organisation de la continuité des services essentiels, construction d’un réseau d’abris et d’alertes, implication des travailleurs/euses dans la planification territoriale. Dans un tel modèle, la protection du pays ne dépend plus seulement de la bourgeoisie mais d’un tissu social organisé, permettant à la population d’être formée et actrice.
Macron ne peut pas protéger la population française – pas plus qu’européenne –, parce que sa stratégie n’est pas pensée pour elle. Son militarisme est celui d’une bourgeoisie en crise qui tente de reconstituer un appareil de puissance sans remettre en cause les logiques économiques qui ont détruit les fondements matériels de la souveraineté. La remilitarisation qu’il impulse est idéologique, verticale et fondamentalement impérialiste. Elle prépare davantage les guerres extérieures que la défense du territoire.
Le pacifisme moral de l’extrême gauche ne constitue pas davantage une réponse. En refusant de penser la guerre comme phénomène matériel et stratégique, il laisse la bourgeoisie maîtriser seule les questions de la sûreté et de la défense. De fait, il désarme politiquement et matériellement les travailleurs/euses.
Entre ces deux impasses, nous défendons un programme militaire défensif, transitoire et révolutionnaire, fondé sur la réappropriation démocratique de la question militaire. En particulier, contre le Service national volontaire de Macron, nous revendiquons un service militaire pour toutes et tous, par une formation militaire initiale, avec droit d’expression et de réunion des conscrit.e.s. Nous revendiquons la formation militaire continue sous le contrôle des citoyen-ne-s/soldat-e-s eux/elles-mêmes, sous la forme de séquences régulières de formation militaire, avec droit d’expression et de réunion, contrôle et élection des officiers et des militaires professionnels. Nous revendiquons de plus la mise en place de formations « santé et sécurité » pour toutes et tous, la prise en charge financière par l’État du « sac de survie » et sa distribution à l’ensemble de la société via la sécurité civile.
Notes
Légende de la photo : Marseille, 11 novembre 2019 @cametoulouse
[1] Sur lequel nous reviendrons spécifiquement dans un prochain article et que nous incitons à consulter (https://www.info.gouv.fr/risques/se-preparer-a-une-situation-durgence#guide)
[2] Le dernier exemple en date étant le géant de l’acier Arcelor Mittal, dont les député.e.s LFI ont courageusement défendu et obtenu, bien que symboliquement, la nationalisation (https://lafranceinsoumise.fr/2025/12/02/nationalisation-darcelormittal-le-gouvernement-doit-respecter-le-vote-de-lassemblee/)
[3] Voir par exemple ici au sujet de l’armement (https://www.publicsenat.fr/actualites/international/defense-la-dependance-des-europeens-aux-armes-americaines-un-tres-gros-probleme-collectif), ici au sujet du numérique (https://marcendeweld.substack.com/p/leurope-en-passe-de-devenir-un-protectorat).
[4] Anne Muxel, Les jeunes et la guerre – Représentations et dispositions à l’engagement, Étude 116, IRSEM, avril 2024 Evidemment, la disposition à l’engagement militaire apparaît proportionnellement plus présente parmi les jeunes de 18-25 ans qui se positionnent « à droite » ou « ni à gauche, ni à droite », mais, même parmi les jeunes qui se positionnent « à gauche », 40% se sentent disposés à un engagement militaire, contre 56% pour les jeunes en général, soit un écart de seulement 16 points de pourcentage.
[5] Voir notamment le document « Stratégie de défense nationale » publiée par l’administration Trump le 5 décembre dernier : https://www.lemonde.fr/international/article/2025/12/05/l-administration-trump-alerte-sur-un-effacement-civilisationnel-de-l-europe_6656111_3210.html






