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Chapitre 4.5 : "Souveraineté alimentaire et révolution agricole : pour une agriculture écologique et paysanne"
La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.
Billets précédents :
Chapitre 1.1, Chapitre 1.2, Chapitre 1.3, Chapitre 1.4, Chapitre 1.5, Chapitre 1.6
Chapitres 2.1 et 2.2, Chapitre 2.3, Chapitre 2.4, Chapitre 2.5, Chapitre 2.6
Chapitre 3.1, Chapitre 3.2, Chapitre 3.3, Chapitre 3.4
Chapitre 4.1, Chapitre 4.2, Chapitre 4.3, Chapitre 4.4
Chapitre 4.5 : « Souveraineté alimentaire et révolution agricole : pour une agriculture écologique et paysanne »... mais comment serait-ce possible si l’on maintient la propriété privée ?
Là encore, le constat actuel et l’objectif général sont justes : « L’agro-business détruit tout : les écosystèmes, notre santé et celle des paysans. Les maux sont connus : pesticides, gigantisme agricole, soumission aux marchés financiers. Ce système met à mal notre capacité à nourrir l’humanité. L’agriculture écologique et paysanne doit nourrir la population et ceux qui en vivent. » La mesure clé est d’« instaurer une agriculture relocalisée, diversifiée et écologique, et créer 300 000 emplois agricoles. » Et nous sommes d’accord pour « planifier la réduction progressive des doses d’engrais et de pesticides, interdire immédiatement les plus dangereux (glyphosate, néonicotinoïdes) » comme pour « lutter contre l’artificialisation des sols pour empêcher la disparition de surfaces agricoles utiles » ou pour « développer les circuits courts pour réduire la circulation des marchandises et l’utilisation d’emballages. »
Mais le programme AEC raisonne en restant dans le cadre de la propriété privée de la terre, du marché et même de la grande distribution, qu’il ne remet nullement en cause (alors que ce secteur compte parmi les plus grandes entreprises du pays, plusieurs étant même multinationales). Il veut juste limiter les profits de la grande distribution en rééquilibrant la rémunération des agriculteurs : « encadrer les prix alimentaires par des prix maximaux établis par un coefficient multiplicateur et limiter les marges de la grande distribution » ; « garantir des prix rémunérateurs aux producteurs par des prix planchers pour les agricultures, interdire les ventes à perte et mettre en place une caisse de défaillance pour reprendre les dettes agricoles des convertis au 100% bio »...
Le programme AEC ne veut même pas empêcher la concurrence internationale des produits agricoles, mais ne parle que de façon vague d’« instaurer un protectionnisme écologique en fonction des conditions de production et de rémunération du travail agricole ». Rien ne peut justifier pourtant qu’on continue d’importer en masse des produits identiques à ceux qui sont produits localement, au motif des lois désastreuses de la concurrence et au détriment de la loi naturelle des saisons. La « souveraineté alimentaire », avec une quantité suffisante et une qualité optimale des produits, devrait être le principe de la politique vivrière dans tous les pays, au lieu de tourner les agricultures vers l’exportation (et, dans les pays dominés, vers la monoculture, alors que bien des populations ne peuvent subvenir à leurs besoins alimentaires). Cela passe par la diversification des productions dans chaque pays et les exigences écologiques impliqueraient certainement une baisse de la productivité dans bien des cas. Au niveau international, seuls des échanges de produits en surplus par rapport aux besoins de la population dans chaque pays devraient être autorisés, dans des limites écologiques à définir. S’il y avait un gouvernement révolutionnaire en France, il devrait donner à l’État le monopole des importations et des exportations agricoles, en privilégiant des relations d’échange équitable et de solidarité politique avec les pays dominés par l’impérialisme.
Le programme AEC n’envisage pas plus d’abandonner la PAC (un des piliers de l’Union européenne), ni de mettre fin en général à la subvention des agriculteurs par des fonds publics : « Refondre la PAC (politique agricole commune) et orienter les aides publiques agricoles pour favoriser la production écologiquement soutenable, l’intensité en main-d’œuvre des exploitations et le développement des protéines végétales. » Mais, ici comme ailleurs, pourquoi faudrait-il que l’argent des impôts, payés pour l’essentiel par les travailleur/se-s, continue de financer la propriété privée, quelle que soit sa taille ? Il faut au contraire mettre fin immédiatement à toutes les subventions, organiser de cette façon l’asphyxie des grands propriétaires agricoles (qui en sont les principaux bénéficiaires) et nationaliser leurs terres pour mettre en œuvre une politique agraire fondée sur les besoins de la population, le respect de l’environnement et de la biodiversité.
Alors que le titre de ce point parlait de « révolution agricole », la suite se contente de promettre une vague « réforme agraire pour encourager l’installation de nouveaux agriculteurs et permettre le développement d’un tissu de nombreuses exploitations à taille humaine ». Cette confusion sur les concepts concentre l’inconséquence du programme AEC. Pour notre part, nous sommes pour une véritable révolution fondée sur la nationalisation d’un maximum de terres, et que celles-ci soient confiées aux agriculteurs et agricultrices qui souhaitent les cultiver. Ceux/celles-ci pourraient très bien accepter de n’être pas propriétaires (rappelons que, aujourd’hui en France, 70% des terres sont louées à des fermiers, voire sous-louées, sans compter les centaines de milliers d’ouvriers agricoles, majoritairement saisonniers), car ils seraient assuré-e-s du droit d’usage de leur terre et bien sûr de leur ferme, selon des critères précis en termes de conditions de travail et d’écologie. De plus, ils/elles auraient accès à un crédit gratuit pour leur équipement professionnel – machines et moyens techniques, dont une partie pourraient en outre être utilisés en commun par des coopératives de production. Enfin et surtout, au lieu de dépendre de subventions étatiques de toute façon insuffisantes pour les petits, ils auraient une garantie de revenus, en étant rémunéré-e-s par un système de caisses communes, hors marché, abondées par une cotisation non seulement des consommateurs et consommatrices, mais aussi de toutes les entreprises et des unités de production socialisées ; en effet, celles-ci ont besoin de travailleur/se-s bien nourri-e-s pour fonctionner et elles doivent donc contribuer à la production de leur alimentation. Dans ces conditions, nul doute qu’on n’aurait aucun mal alors à créer « 300 000 emplois agricoles » – et que les petits propriétaires exploitants ou les petits fermiers qui pourraient vouloir rester, au début, dans le cadre du marché libre, s’apercevraient bien vite de leur intérêt à rejoindre ce système socialisé !