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Débat Ruffin / Besancenot sur le protectionnisme : notre parti doit sortir du tabou

Le Collectif « Le temps des Lilas » a organisé mardi 3 octobre un débat sur le protectionnisme entre Olivier Besancenot et François Ruffin qu'on peut regarder ici : https://tendanceclaire.org/breve.php?id=25427. C'était un débat intéressant, d’autant plus qu’il est d’actualité (TAFTA, CETA, crise grecque…), et qu’il fait écho à de nombreux débats dans les syndicats. Nous pensons que ce débat est révélateur, bien sûr des désaccords que nous avons avec Ruffin, mais aussi des faiblesses programmatiques du NPA, paralysé par une série de tabous et incapable de poser de manière concrète la question du pouvoir.

Le protectionnisme : une condition nécessaire pour tout projet politique alternatif

Ruffin a d'emblée voulu désamorcer une série de mauvais procès qui lui sont faits par l'extrême-gauche et une partie de ses amis antilibéraux : pour lui, le protectionnisme n'est pas « la solution », mais un moyen. C'est une « condition nécessaire » pour tenter de rendre viable un projet politique alternatif au capitalisme néolibéral. Il a pris l'image d'une « boîte à outils » qu'il faudrait utiliser pour ne pas se soumettre aux lois du capitalisme pur. Comment lui donner tort sur ce point ? Que l'on défende un projet de rupture avec le capitalisme (ce qui est notre cas) ou que l'on défende un projet de réformes et de redistribution dans le cadre du capitalisme (ce qui est le cas de Ruffin), ne pas remettre en cause le libre échange est se condamner à l'échec automatique. Si on ne remet pas en cause la liberté de circulation des marchandises et des capitaux, la loi du marché condamne tout projet politique qui heurte un tant soit peu les intérêts du capital.

Ruffin ne veut pas abolir la loi du marché, il veut simplement se donner des marges de manœuvre, en contrôlant les mouvements de capitaux ou en augmentant les droits de douanes sur les marchandises. Cela vise à permettre l'écoulement de la production de l'économie nationale, en compensant la perte de compétitivité liée à l'application de mesures sociales sur le territoire national par des mesures pénalisant la production étrangère. Taxer un tel programme de « nationaliste » ou de « chauvin » n'a strictement aucun sens : un programme keynésien de redistribution et de réformes sociales ne peut pas s'envisager sans protectionnisme. Ruffin cherche donc des marges de manœuvre pour rendre viable un projet antilibéral. La critique que nous devons lui faire n'est pas celle du protectionnisme ou du nationalisme, mais celle de l'impasse du projet antilibéral : avec ou sans protectionnisme, il n'y a pas de marges de manœuvre pour des réformes sociales dans un capitalisme en crise. Si Mélenchon essayait d'appliquer son programme, il y aurait alors une chute de la rentabilité du capital, et donc une chute de l'investissement et une hausse du chômage... et donc un retour très rapide à une politique d'austérité pour rétablir le taux de profit, moteur de l'économie capitaliste. La seule rupture envisageable avec l'austérité implique (dans un capitalisme en crise) la rupture avec le capitalisme.

Mais cela, le NPA ne le porte pas clairement, et donc Besancenot ne l’a pas expliqué. Il a effectivement donné quelques éléments qui montrent que le problème est plus profond que celui de la mise en concurrence, puisque des secteurs non délocalisables (comme la Poste) subissent aussi de nombreuses suppressions de postes et la précarisation. Mais il s’est contenté d’en conclure qu’il fallait rester centrés sur la lutte des classes, ce qui répond à côté.

Il est certain que de nombreux partisan-e-s du protectionnisme opposent de bons patrons (français) à de mauvais patrons (étrangers), ce qui détourne de la lutte de classe. Mais soulignons qu’il y a une réelle différence de traitement avec d’autres thèmes : quand nos porte-parole débattent avec des antilibéraux plus classiques (à la Pierre Laurent), elles/ils ne leur rappellent presque jamais qu’il ne faut pas oublier la lutte des classes. Nous pensons pour notre part que les prétendues solutions avancées depuis des années par ces antilibéraux, comme « taxer la finance », sont des impasses, qui peuvent elles-aussi faire croire à un accord avec de bons patrons (entrepreneurs) contre de mauvais capitalistes (spéculateurs).

La lutte de classe ne peut déboucher sur une transformation de la société que par une révolution, c’est-à-dire concrètement par la saisie par les salarié-e-s eux/elles-mêmes des grandes entreprises, pour pouvoir produire selon les besoins sociaux et écologiques, en dehors de la concurrence. Si notre parti portait vraiment ce discours, il pourrait défendre une position plus compréhensible sur le débat protectionnisme/libre-échange. Nous devons expliquer à la fois que dans le cadre du capitalisme, un protectionnisme même « de gauche » ne suffira pas, et à la fois qu’un pouvoir révolutionnaire sortirait de la concurrence nationale et internationale, donc de fait du libre-échange.

Malheureusement, Besancenot ne veut pas poser la question du pouvoir. Lors du débat, il a ironisé : « on n'est pas à Pétrograd en 1917 », donc cela ne sert à rien de se poser la question de ce que ferait un gouvernement des travailleur-se-s. Donc inutile de se poser la question des moyens pour rendre viable une transition socialiste. Si nous nous posions cette question, nous ne pourrions que dire qu'il faudrait qu'un gouvernement des travailleur-se-s rompe immédiatement avec l'Union européenne, avec l'euro, crée sa propre monnaie, contrôle strictement les échanges extérieurs (monopole étatique du commerce extérieur). Mais Besancenot préfère parler abstraitement de la révolution, tout en défendant un « programme d'urgence » (interdiction des licenciements, hausse des salaires, etc.) qui n'a aucune crédibilité à partir du moment où la question des moyens pour le réaliser n'est pas posé. Trotsky n'avait pas peur du mot « protectionnisme ». Il était très ferme sur la nécessité d'un protectionnisme socialiste pour ne pas mettre la production nationale de l'économie socialiste en concurrence avec la production des États capitalistes : « nous sommes résolument partisans du protectionnisme socialiste, sans lequel le capital étranger pillerait notre industrie »1.

De mauvais arguments contre le protectionnisme

Besancenot a repris à son compte des arguments qu'on retrouve de façon caricaturale chez LO, en opposant la « lutte contre le capitalisme » à la « lutte contre le libre-échange ». Trop lutter contre le libre-échange, ce serait dédouaner le système capitaliste, oublier que l'important c'est le rapport capital/travail. Et d'ailleurs, que le capitalisme soit mondialisé ou non, cela ne changerait rien de fondamental. Et les patrons seraient tout autant pour le capitalisme national qui leur irait très bien. Cette façon de raisonner pose de gros problèmes. D'une part, il ne faut pas opposer la lutte contre le capitalisme à la lutte contre le libre-échange. Le libre-échange, c'est la liberté du capital. C'est le cadre institutionnel qui facilite l'exploitation du prolétariat, puisqu'il met en concurrence les travailleur-se-s du monde entier et tire donc les salaires vers le bas. La lutte contre le capitalisme ne consiste pas simplement à lutter dans son entreprise, mais aussi à lutter contre les dispositifs institutionnels de la bourgeoisie qui nous placent dans une situation plus difficile pour lutter. Il n'y a pas à opposer la lutte pour « l'interdiction des licenciements » ou « la réquisition des entreprises » avec la lutte contre les dispositifs de libre-échange : il faut les articuler au lieu de les opposer. En outre, le patronat n'est pas « neutre » entre libre-échange et protectionnisme : il veut que toutes les entraves à la liberté du capital soient levées. Même si des secteurs minoritaires (les perdants de la mondialisation) du patronat plaident pour le protectionnisme, la très grande majorité du patronat veut le TAFTA, le CETA, la liberté de circulation des marchandises, la fin de tout contrôle des investissements étrangers, etc.

Besancenot a aussi repris à son compte les études des économistes bourgeois qui vantent le libre échange et qui expliquent que les délocalisations ne sont responsables que d'une part minoritaire des suppressions d'emplois en France. Mais cela ne consolera pas les travailleur-se-s des secteurs entiers qui sont concernés. Et même si le libre-échange crée « globalement » des emplois (toujours plus « flexibles »), nous devons être contre le libre-échange, car c'est un cadre qui permet la convergence vers le bas de tous les droits sociaux ! Entre parenthèses, et contrairement à ce que nous racontent les économistes antilibéraux, la loi travail XXL permettra de créer des emplois car elle sera bonne pour les profits des capitalistes, et donc bonne pour l'investissement et la croissance. Mais les économistes antilibéraux essaient de nous faire croire que le capitalisme doit bien traiter ses salariés pour se refaire une santé...

Enfin, Besancenot a cédé à la facilité en associant les mesures protectionnistes (sur les marchandises) et les mesures contre la liberté de circulation des humains. Raisonner ainsi, c'est faire croire qu'il y aurait d'un côté ceux qui sont pour la « liberté de circulation » (les bons et les généreux) et ceux qui veulent s'enfermer dans leurs frontières nationales (les méchants et les aigris). Ce type d'amalgame est martelé par une certaine gauche bourgeoise, trop contente de faire passer tous les protectionnistes pour d'horribles nationalistes. Pourtant, un gouvernement des travailleur-se-s devra prendre des mesures protectionnistes pour empêcher la circulation des marchandises et des capitaux... mais cela n'a strictement rien à voir avec la liberté de circulation des personnes.

Cette assimilation entre « libre-échange » et « liberté de circulation » est aussi faite par l’extrême-droite qui diffuse habilement son venin en accusant l’extrême-gauche de collusion avec le « mondialisme » du patronat, qui serait toujours pour l’accueil des migrant-e-s (pour faire pression à la baisse sur les salaires). Besancenot a évidemment combattu fermement cette idée, en déplorant qu’elle ait un écho. Mais pour mener cette bataille idéologique notre parti doit éviter de se retrancher dans des formules comme « abolition des frontières » dès qu’il y a un débat économique sur le protectionnisme, et revendiquer plus clairement une économie sans patrons.

Ni libre-échangiste, ni protectionniste ? Une position confortable mais gravement erronée

Besancenot n’a pas réussi à sortir d’une contradiction intenable : d’un côté, il dit que le NPA a été de toutes les mobilisations contre les traités de libre-échange ; d’un autre côté, il dit qu’il est « ni libre-échangiste, ni protectionniste ». LO est sur une posture « ni/ni », et ils en tirent une conclusion logique : l’indifférence à l’égard des traités de libre-échange qui ne sont ni bons, ni mauvais, puisque l’essentiel est de « lutter contre le capitalisme ».

Ruffin a eu raison de souligner la position étrange de Besancenot : il est d’accord pour lutter contre les traités de libre-échange, mais une fois que ceux-ci entrent en application, plus question de lutter pour leur abrogation car cela serait céder aux sirènes protectionnistes. Pourtant, si nous estimons que ces traités sont mauvais, il faut exiger leur abrogation… et donc assumer le fait que nous préférons une situation où des dispositifs protectionnistes n’ont pas été démantelés.

Comme l’a expliqué Ruffin avec précision, il y a une réelle coupure entre les catégories frappées de plein fouet par la concurrence internationale (surtout les ouvrier/ères peu qualifié-e-s), et les couches supérieures du salariat qui tiennent le coup, voire ont partiellement bénéficié de la mondialisation. Cela a fracturé profondément le bloc qui s’identifiait « à gauche » depuis les années 1980, et conduit ce mot à une forte perte de sens. Ruffin a raison de chercher un remède à ce problème, et de souligner que cela doit passer par une remise en question de la couche relativement favorisée du salariat. Celle-ci est surreprésentée dans le milieu militant et ce n’est pas sans conséquence idéologique.2

Le discours « ni/ni » nous coupe de l’écoute des catégories populaires. Celles-ci sont massivement hostiles au libre-échange, à l’Union européenne car elles perçoivent bien que ce sont des armes de la bourgeoisie pour mieux les exploiter. Ruffin a expliqué qu’il y avait deux approches : « soit on leur dit c’est pas bien [le protectionnisme, la rupture avec l’UE, etc.], soit on s’appuie sur ce potentiel pour l’accompagner et porter un autre discours ». Le discours de Besancenot choisit la première option, et il se coupe alors d’un désir profond de rompre avec le rouleau compresseur de la mondialisation capitaliste ; pire, il prend alors le risque d’être assimilé à ceux qui font l’apologie de la mondialisation, au nom de « l’ouverture », de l’antiracisme et qui stigmatisent tous ceux qui s’y opposent comme des affreux réactionnaires ou des gros cons. En revanche, Ruffin adopte la deuxième démarche, et il explique (à juste titre) qu’il adopte la démarche de Lénine dans les « Thèses d’avril » : partir des aspirations populaires pour les inscrire dans un projet politique progressiste de rupture avec l’ordre établi. Ruffin a rappelé que le FN était dans les années 1980 libre-échangiste et pro-UE. Mais il a eu l’intelligence politique de changer radicalement son discours et de surfer sur les aspirations populaires pour les associer à son projet xénophobe nauséabond. Cette intelligence politique a fait défaut à l’extrême-gauche qui n’a pas vu le potentiel anticapitaliste de ce refus de la mondialisation. Et Ruffin a parfaitement raison de pointer la responsabilité du NPA (bien sûr à un degré bien moindre que le PS et le PCF) et d’autres dans le succès du FN. Nous n’avons tout simplement pas été à la hauteur.

La posture « ni/ni »est une position de surplomb confortable. Mais elle traduit une impuissance politique, un refus de se coltiner avec la réalité. On juxtapose alors un programme minimum (catalogue de revendications) et un programme maximum (la révolution, le communisme, renvoyés aux calendes grecques). Aujourd’hui, nous ne défendons évidemment pas un protectionnisme dans le cadre du capitalisme, mais cela ne doit pas nous empêcher de mener une bataille politique conséquente (et non à reculons) contre le libre-échange.

Avec son journal Fakir, Ruffin a eu l’immense mérite de traiter sérieusement de questions taboues (le protectionnisme, la rupture avec l’UE) dans la gauche antilibérale et anticapitaliste. Bien sur, il les traite dans le cadre de son projet réformiste antilibéral qui n’est pas le nôtre. Nous espérons que le prochain congrès du NPA sera l’occasion de lever un certain nombre de tabous et d’avancer sérieusement dans l’élaboration d’un programme révolutionnaire concret. En rester à des abstractions et à des formules toutes faites ne peut que nous confiner à la sclérose et à la marginalité.


1 https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1923/04/lt19230420.htm

2 Dans un sujet parallèle, on peut faire l’analogie avec la sous-représentation des Noir-e-s et des Arabes dans la gauche militante, qui conduit à des sous-estimations profondes de l’oppression post-coloniale. Comme par exemple l’attitude injustifiable de Ruffin disant devant Assa Traoré qu’il n’en savait pas assez pour se positionner sur l’assassinat de son frère Adama par la gendarmerie...

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